À Reims, clap de fin pour l'enseigne Photo Devert, témoin de l'âge d'or et du déclin de la photographie

Cette institution familiale de la photographie rémoise, fondée en 1975 par Bernard et Odile Devert, repris par ses enfants, fermera ses portes le 31 mars 2023. Après avoir connu l'âge d'or de l'argentique, l'enseigne voit son chiffre d'affaires diminuer à l'ère du numérique. Rencontre avec ses gérants.

C’est une devanture bien connue des Rémois qui va disparaiîre du centre-ville. Photo Devert fermera ses portes le 31 mars, emportant avec elle près de 50 années de souvenirs. Aucun photographe ne reprendra l’affaire, devenue de moins en moins rentable à l’heure du numérique et du smartphone.

Sur leur vitrine, les gérants annoncent la nouvelle à leurs clients. "Notre histoire va s’arrêter là, écrivent-ils. Nous allons explorer un autre chapitre de la vie." Alors forcément, cela va faire un vide, alors que ce commerce avait pignon sur rue, près de la mairie. "Ce magasin, c’est une institution, assure Martine, retraité et cliente fidèle depuis plusieurs décennies. Cela me fait de la peine de le voir s’en aller."

L'un des derniers magasins de photo à Reims

La boutique, née en 1975, sous la houlette de Bernard et Odile Devert, est l’une des dernières du genre à Reims. S’il existait plus d’une vingtaine de vendeurs d’appareils photo il y a près d'un demi-siècle, il en existe plus que cinq aujourd’hui. "On s’éteint à petit feu", confesse Benoit Devert, fils des fondateurs, qui a repris l’entreprise quelques années plus tard, avec son beau-frère Olivier, et sa sœur Isabelle, qui partira à la retraite cette année.

Photo Devert a réussi à traverser les âges et s’adapter aux innovations sucessives quand beaucoup d’autres ont mis la clé sous la porte. L’entreprise rémoise, par sa longévité, est donc un témoin privilégié des évolutions qui ont bouleversé le monde de la photo.

Numérique et smartphone remplacent l'argentique

Première des grosses évolutions : l’émergence du numérique. "Avant, tout le mur était rempli de pellicule argentique, lance Benoît Devert. Aujourd’hui regardez…" Une vingtaine de boîtes seulement. Si un regain de mode pour la photo argentique est observé depuis plusieurs années, rien à voir avec la période pré-numérique.

L’arrivée du premier appareil photo numérique en 1981 – le Sony Mavica – va laisser progressivement l’argentique et les tirages papiers sur le carreau. La diapositive, largement utilisée pour projeter les photos de voyage, ou par les professeurs en classe, par exemple, tombera aux oubliettes. "La diapo c’était l’âge d’or de la photographie, remarque Benoît Devert. Le numérique l’a tué."

Autre révolution, le smartphone. Un appareil photo que tout le monde possède dans sa poche. Il a fait lourdement chuter les ventes d’appareils numériques. Selon des chiffres publiés par CIPA, les principaux fabricants ont vu leurs ventes chuter de 84 % entre 2010 et 2018. Au cours de notre reportage, sur la quinzaine de clients entrés dans le magasin, aucun ne s’est renseigné sur du matériel photo.

La photo d'identité, pilier de l'activité

Désormais, le business repose principalement sur les photos d’identité et de passeport. "Cela représente entre 35% et 40% de notre chiffre d’affaires, note le gérant. C’est notre matelas aujourd’hui." Entre 30 à 60 personnes viennent se faire tirer le portrait chaque jour pour des besoins administratifs.

Alors quand, en 2008, un projet gouvernemental visant à équiper des mairies de machines prenant gratuitement des photos d’identité aux normes européennes, la profession s’insurge, craignant de perdre une manne financière. Dans un reportage réalisé à l'époque par France Télévisions, Benoît Devert en personne prenait la défense des photographes professionnels. Le projet ne verra finalement pas le jour.

Autre astuce pour pallier la baisse des ventes, l’enseigne est devenue point de retrait pour les colis, depuis environ cinq ans. "C’est pour ramener une clientèle plus jeune, pour faire du passage, et éventuellement susciter des achats parallèles, comme un appareil jetable ou un cadre photo." Mais tout cela n’empêche pas le chiffre d’affaires de "baisser sans cesse".

La photo souvenir est-elle morte ?

Tous ces progrès, au fil des années, ont-ils tué la photo souvenir ? Celle qui joue un rôle de mémoire dans les familles. Celle que l’on regarde pour se replonger dans un instant – un mariage, un baptême, un anniversaire… - et refaire le récit de ce temps-là. Qu’en reste-t-il de cette photo souvenir ? "Avec les générations, je trouve que cela se perd, observe Benoît Devert. Maintenant, c’est plutôt de l’ordre de la consommation."

Martine V., médecin retraitée, tient à cet usage de la photographie. Elle se rend régulièrement chez Photo Devert pour faire imprimer des clichés pris avec son téléphone portable. "On a plein de souvenirs dans nos smartphones, mais on ne pense pas forcément à les faire imprimer, constate-t-elle, à regret. Les souvenirs s’estompent à la longue, les photos servent à les raviver."

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