À la fin de l'année 2018, une patiente a subi un examen gynécologique à la polyclinique de Bezannes (Marne), qui l'a traumatisée. Elle n'a pu livrer son témoignage que cinq années après les faits.
Pour un examen aussi sensible que celui de l'appareil reproducteur féminin, de la douceur et de la patience semblent toutes indiquées. Mais ce n'est pas toujours le cas. Loin de là.
On parle alors de violences obstétricales et gynécologiques (VOG). Le tabou commence à disparaître et le sujet monte depuis plusieurs années, des patientes accusant leur gynécologue (parfois une femme) de les avoir maltraitées. Que ce soit par un refus de consentement, par une brutalité excessive, ou encore par des pratiques condamnées.
Le collectif StopVOG, dont Sonia Bisch est la fondatrice et porte-parole, relaie ces témoignages sur un compte Instagram. L'un des plus récemment publiés remonte à 2018, quand Louise a vécu un examen gynécologique très difficile à la polyclinique de Bezannes (Marne, voir la publication ci-dessous).
Louise (prénom d'emprunt car elle souhaite garder l'anonymat) rapporte être rentrée chez elle "en me sentant sale. Je savais que ce qu'il m'avait fait n'était pas normal." Nous sommes à la fin de l'année 2018. Un gynécologue, "assez âgé", l'examine pour "des grosses douleurs de ventre" survenant pendant et après ses règles. Elle se questionne sur une éventuelle endométriose, une maladie douloureuse répandue mais quasi systématiquement ignorée.
"Il a commencé par me faire une échographie pelvienne, en me pénétrant avec une sonde de manière brutale. Il a ensuite regardé l'intérieur de mon vagin avec le spéculum, en écartant les parois pour, je cite, bien voir. Il a fini par y mettre ses doigts, et m'a doigtée, selon lui pour vérifier la muqueuse."
Louise se sent extrêmement mal à l'issue de cet examen. "Après avoir subi ces gestes brutaux, j'ai voulu aller uriner et essuyer le gel que j'avais sur moi. Je me suis mise à hurler." Elle rapporte "des petites déchirures. Mais le gynécologue m'a dit que ce n'était rien, qu'il n'y avait aucun problème chez moi : tout était parfait, mes douleurs allaient partir."
De retour chez elle, elle n'arrive plus à s'asseoir pendant "deux jours". Il lui faudra une année entière pour oser en parler à son conjoint. Et une année supplémentaire pour oser aller revoir un gynécologue (un autre, évidemment).
Au total, elle passe deux ans avec ces douleurs dont elle ignore l'origine, jusqu'à un nouveau praticien (qui va qualifier son prédécesseur de "brute") lui apprenne qu'elle souffre d'un syndrome des ovaires poly kystiques (SOPK). Elle consulte toujours cette personne plus sensible et respectueuse actuellement, et il ne fait pas un usage automatique (par ailleurs de plus en plus discuté) de spéculum.
Elle estime avoir été violée
Louise a donné des précisions à France 3 Champagne-Ardenne. "Il m'avait déjà vu plusieurs fois pour un contrôle de base." Et ça ne s'était pas extrêmement bien passé, même si on était loin de ce qui allait suivre fin 2018. "Je m'étais déjà sentie... gênée." Elle évoque des palpations de la poitrine particulièrement brutales. "Il me disait souvent qu'il allait vérifier ma poitrine... mais il n'y avait aucun tact, c'était Brutus."
Depuis qu'elle ne le voit plus, ça va mieux. "Je n'ai pas le choix de vivre avec, et je préfère presque oublier." Jusqu'à son désir de vouloir témoigner, en tout cas. La diffusion du documentaire Écartez les jambes : enquête sur les violences gynécologiques sur la chaîne 6Ter (la 22) est l'élément déclencheur. Et elle désire pouvoir prévenir d'autres femmes concernées par ce gynécologue (pour peu qu'il exerce encore). "Peut-être que si j'ai parlé, d'autres parleront ? C'était compliqué pour moi de vivre avec ça toute seule pendant aussi longtemps." (voir l'hôpital concerné sur la carte ci-dessous)
Lanceuse d'alerte, Louise a ressenti un soulagement en écrivant son témoignage à StopVOG. "Même à mon conjoint, je n'avais pas tout dit. Ma mère l'ignore encore à ce jour. Le plus dur, ça a été de voir écrit le mot viol. Ce que j'ai ressenti, c'était ça."
Si elle a un message aux femmes qui hésitent sur leur ressenti, leur expérience, elle leur confie "que quand il y a un doute... c'est qu'il n'y a pas de doute. Il faut se faire confiance. Quand on sent que ça ne va pas, ce n'est pas nous, le problème. Cette question, je me la suis longtemps posée. Jusqu'à ce que je vois le témoignage d'une personne sur Instagram. Tout ce qu'elle avait écrit, c'était tout ce qu'on m'a fait." Elle écarte en revanche l'idée d'une plainte : ça la gênerait de devoir évoquer ce sujet à nouveau, en public, devant un tribunal, surtout devant le gynécologue concerné. Et en comptant la difficulté de prouver ce qui s'est passé...
Collecter des témoignages et sensibiliser
Également sollicitée, Sonia Bisch explique à France 3 Champagne-Ardenne qu'elle a créé le collectif StopVOG en 2017, à la suite "des violences subies lors de mon accouchement et surtout l'impunité pour le médecin derrière." Elle cite notamment un spécialiste contre lequel 32 plaintes ont été déposées, "et qui est toujours en poste" malgré sa mise en examen. "Si on a ça avec 32 plaintes, imaginez quand il n'y a qu'un seul signalement..."
"À l'époque, on nous disait qu'on n'avait pas compris, ou que c'était normal d'avoir mal. Il y avait une image d'Épinal des médecins, qui savent forcément mieux que nous. Un tabou. Et on n'ose pas se plaindre, parce qu'on attend ce rendez-vous depuis longtemps, ou parce qu'on se dit que c'est important pour notre santé... Voir qu'on ne veut pas passer pour une chieuse, disons-le. Et ensuite, on vient nous demander avec étonnement pourquoi on est restée lors du rendez-vous."
Sonia Bisch a voulu rendre ces violences visibles pour éviter que ça n'arrive à d'autres personnes. Ainsi que contribuer, via le collectif, aux propositions de loi sur le sujet, ainsi qu'à la formation des nouvelles générations de médecins et gynécologues.
Le collectif reçoit 200 témoignages émanant de toute la France par mois. Un chiffre glaçant, mais pourtant bien en deçà du chiffre réel de ces VOG dont beaucoup de victimes n'osent jamais parler. Depuis les prémices du collectif, le Haut-conseil à l'égalité a publié un rapport en juin 2018 "reconnaissant le caractère généralisé et systémique de ces violences en France. Mais depuis, il n'y a eu aucune mesure du gouvernement. Rien ne change."
Demander le consentement, ça devrait être automatique
Le travail mené avec les spécialistes, dans les écoles de médecine, doit leur permettre de prendre conscience qu'il y a une possibilité "de co-construire la consultation avec sa patiente, l'intégrer dans le processus. On rappelle aussi aux médecins que respecter le consentement, c'est dans la loi Koucher depuis 2002. Mais comme il n'y a pas de contrôle, les étudiants n'apprennent pas à appliquer cette loi, même s'ils savent qu'elle existe... Beaucoup croient que ce consentement est implicite. Mais non, on doit leur réapprendre qu'il ne l'est jamais." Elle dresse un parallèle avec le viol conjugal : le Code civil n'oblige en rien l'épouse à accepter tout ce que lui propose son mari, elle peut dire non. "Ici aussi, dans un couple, on pourrait se dire que le consentement est implicite. Mais non, notre corps nous appartient toujours."
Notre corps nous appartient toujours.
Sonia Bisch, fondatrice et porte-parole du collectif StopVOG
"Ce n'est pas parce qu'on sait que le spéculum existe, qu'on sait à quoi il sert, qu'il ne faut pas nous demander. Il y a une manière de faire. Alors qu'on se retrouve avec des propos ou des gestes déplacés, des actes douloureux, des médecins qui n'arrêtent pas alors que les patientes leur disent avoir mal et d'arrêter." Elle rappelle le terme de la loi, à savoir que "toute pénétration par violence, sans consentement, est un viol". Et que le traumatisme vécu par les victimes est le même. "Elles se sentent sales après, n'ont plus envie d'avoir une sexualité, n'osent plus retourner consulter..."
Esprit de corporation VS écoute des victimes
Malgré ce ressenti, le tabou peut demeurer. "C'est comme au début de MeToo. On dénonce, et on a des réactions des gynécologues qui vont nous dire qu'ils ne sont pas tous comme ça." Comme les hommes essayant de se justifier que tous les hommes ne sont pas des violeurs, ou qu'il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier; c'est le phénomène NotAllMen (pas tous les hommes), ce qui fait une belle jambe aux victimes même si elles savent évidemment qu'ils ne sont pas tous des violeurs. Elles rappellent juste le caractère systémique et global de leurs agressions (d'où le "tous les hommes"), et que quand une publicité cible la consommation d'alcool au volant, tous les conducteurs (et conductrices) ne s'amusent pas à arguer que tout le monde ne boit pas au volant (par exemple).
"On nous a aussi avertis que plus personne ne voudra être gynécologue, nous examiner, que ce sera un danger pour nous... Vous vous rendez compte ? Au lieu de vouloir faire taire les patientes, on devrait changer les pratiques." Sonia Bisch s'étonne que les VOG puissent être perpétrées par des sages-femmes, médecins généralistes... "Mais seuls les gynécologues se victimisent. On a une profession qui surréagit et veut se protéger en renvoyant la faute. Ils y voient une attaque personnelle. Mais pourquoi ? Ça pose question. Justement, dans leur formation, il n'y a pas d'échanges avec les patientes. Ça manque aux étudiantes et étudiants. Alors qu'au Canada, ça existe depuis 30 ans..."
Il faut déconstruire "tout un environnement pas vraiment propice à la lutte contre les violences faites aux femmes. Et ça se ressent sur les patientes. Les hommes comme les femmes reprennent des codes très sexistes, peu à l'écouter de la parole des femmes. On va leur répondre qu'elles sont des chochottes car elles se plaignent des douleurs. Que le médecin sait mieux que la femme si elle a mal." Exemple classique de mansplaining (ou pénisplication), où l'homme se sent obligé d'expliquer ou de corriger auprès d'une femme qui sait bien mieux que lui ce dont elle parle (et qui est plus fondée à le savoir). "Et après, certaines femmes médecins reproduisent ces comportements qu'elles ont intégré." Elle évoque un système d'études où il faut "se fondre dans le moule" pour avoir ses diplômes ou son avancement. Et donc perpétuer de ce qui ne va pas.
On peut aussi s'interroger sur le caractère asymétrique de la prise en compte des témoignages et des violences gynécologiques. Et d'éventualité des hommes allant chez le proctologue dans le cadre d'un examen de la prostate. Ne sont-ils pas rassurés ? Le médecin ne leur demande-t-il pas leur consentement ? Que se passe-t-il s'ils affirment être mal à l'aise ou avoir mal ? Sonia Bisch n'a pas l'impression de demander la Lune. "Demander le consentement, savoir si la patiente est prête, lui expliquer ce qu'on va faire, arrêter si elle dit avoir mal... Ça paraît hyper simple. Et je ne pense pas qu'on ferait la même chose avec un homme lors d'un toucher rectal."
Tout ce travail se fait en parallèle de ses activités professionnelles. Une tâche éreintante pour Sonia Bisch et les bénévoles de son association, mais nécessaire. Pour que la parole continue à se libérer au sujet des violences gynécologiques, et que les pratiques médicales changent. Enfin.