TEMOIGNAGE. Victimes de sexting : "Recevoir la photo du pénis d'un inconnu, ça n’a jamais illuminé ma journée"

Le "sexting" désigne le fait d'envoyer des propos ou des images sexuellement explicites (pour ne pas dire pornographiques) à un ou une destinataire non consentant(e). Un phénomène qui tend à se multiplier depuis le début des années 2010 et la montée en puissance des réseaux sociaux.

"Ça n’a jamais illuminé la journée de qui que ce soit de recevoir la photo du pénis d’un inconnu en plein déjeuner..." Recevoir des images à caractère sexuel de manière non-consentie, c'est ce qu'on appelle du sexting. Partager une image intime de quelqu'un sans son consentement (à ce sujet, lire cette petite bande-dessinée peut être instructif), c'est aussi du sexting. Et c'est un phénomène qui ne cesse de croître, particulièrement chez les jeunes, si prompts à utiliser les réseaux sociaux. C'est via les réseaux sociaux que sont envoyées ces images problématiques, le plus souvent de la part d'inconnus. France 3 Alsace a recueilli les témoignages de quatre victimes de sexting, quand l'auteur envoie des images explicites de lui-même sans qu'il y ait eu consentement, ce qui constitue une forme de harcèlement. Attention, certains propos ou visuels peuvent choquer les personnes les plus sensibles.


Rebekah, 22 ans, étudiante: "ça a commencé vers les 13-14 ans"

"Je reçois depuis de trop nombreuses années maintenant des messages de ce type... Le dernier, en réponse à une de mes photos, était du genre "tu es comme un biscuit dans du lait et j'aimerais te croquer"... Cela va de ça jusqu'à des photos de nus (absolument pas demandées !) En général, c'est via Facebook.

J'ai beaucoup d'amies qui subissent ça. Pour ma part, je dirais que ça a commencé vers les 13-14ans. J'ai d'abord été choquée, puis je suis passée par une phase plutôt blasée. Mais depuis l'an dernier, cela m'outre de plus en plus. Je n'ai jamais osé répondre à l'un des messages par peur de la confrontation, je pense. Mais si je le faisais, dirais à ces personnes que certaines réflexions sont parfois violentes et dégradantes."


Marianne, 22 ans, développeuse web: "j’essaye de me venger du gars en publiant sa photo sur son profil Facebook en public"

"A peu près une fois par mois, je reçois une photo d’un pénis en érection, parfois accompagné de messages. Sur Facebook essentiellement, sinon Snapchat: mais j’ai désactivé la possibilité pour les inconnus de m’envoyer un snap, maintenant. Et quand j’active mon profil sur Tinder, c'est quasi une fois par semaine. J'en reçois depuis aussi longtemps que je me souvienne être sur Facebook, à mes 14 ans. J'en recevais quelques fois sur MSN avant ça. J’étais très jeune quand j'ai reçu le premier, donc je ressentais un peu de culpabilité, comme si j’avais fait un bêtise, et j’avais peur de regarder. J’essayais de tout supprimer et de bloquer la personne le plus vite possible. 

Aujourd'hui, c’est devenu tellement habituel que des fois, j’essaye de me venger du gars, en publiant sa photo sur son profil Facebook en public par exemple, ou en lui renvoyant une photo de mes potes mecs qui se marrent. Maintenant, j’en rigole avec mes potes quand ça arrive, ou je bloque juste la personne sans ouvrir. Je suis pas spécialement énervée quand j’en reçois, mais je suis énervée d’en être arrivée à ce point: que ça soit tellement habituel que j’y suis indifférente... Je ne comprends pas cette pratique. Toutes les filles que je connais en ont déjà reçu au moins une fois. Il faut arrêter ça, s'il vous plaît.

La pire fois, c'est quand j’ai répondu à un gars après avoir eu sa photo: "je veux pas voir ça". Le fait que je lui réponde que je ne veuille pas l’excitait encore plus, et il m’a renvoyé une photo de son engin après éjaculation. Je pense que c’est la fois ou ça m’a vraiment mise mal... C’est aussi déjà arrivé qu’un homme vienne me parler et que je lui réponde que je ne suis pas intéressée, et qu'il m’envoie quand même la photo à la fin. J’aimerais pouvoir les avoir en face de moi pour voir si ils assument dans la réalité ce qu’ils envoient: comme tous les cons sur Internet, à mon avis, ils se sentiraient toute de suite bien minables."
 

Séphorah, 21 ans, étudiante et entraîneuse de fitness: "c’est bien plus dégradant que flatteur"

"Ça m’est arrivé de recevoir des dickpics - photos de pénis - ou de torses nus. Mais le plus souvent, ce sont des propositions, parfois même des menaces, d’actes sexuels; ou des commentaires sur mon physique. J’en reçois au grand minimum une par jour, le plus souvent sur Facebook et Instagram de la part d’inconnus. J’ai réduit mon Snapchat à quelques contacts principalement à cause de ça... Malheureusement, je ne crois pas connaître de fille dans mon entourage qui n’a pas vécu ce type d’expérience... J’en ai reçu un pour la première fois à l’âge de 14 ans et ça m’avait beaucoup choquée: je me suis tenue à l’écart d’Internet pendant un moment.

Aujourd’hui, ça m’énerve et me blase complètement. Je supprime souvent le message dès réception et bloque l’expéditeur sur le champ. Lorsque je reçois beaucoup de messages de ce type, souvent après avoir publié quelque chose sur un groupe ou publié une photo, ça m’arrive de perdre mon sang froid (et mon temps) pour me moquer d’eux ou confronter l’auteur du message. Mais ça n’a jamais été constructif car je pense qu’eux-mêmes ne savent pas vraiment pourquoi ils font ça. Ils finissent bien souvent par m’insulter ou me menacer de viol ou d’agression. C’est même arrivé que l’on menace de s’en prendre à ma famille La pire chose que j’ai reçu, je pense que c’était la photo du pénis d’un homme en train de se masturber avec en arrière-plan une de mes photos sur son écran d’ordinateur. Ça m’a vraiment dégoûtée et fait flipper.

Même en essayant d’ouvrir le dialogue, je n’ai jamais vraiment réussi à comprendre ce qui peut pousser quelqu’un à faire ça. Par manque de confiance en soi ou simplement par stupidité et manque de savoir-vivre. Mais au-delà du côté où c’est chiant de recevoir ce type de messages sur des réseaux où l’on veut se détendre, je pense que ça peut vraiment être dangereux et traumatiser certaines personnes. C’est un vrai manque de respect et je n’en vois absolument pas l’intérêt. Ça n’a jamais illuminé la journée de qui que ce soit de recevoir la photo du pénis d’un inconnu en plein déjeuner... Ces génies m’ont souvent dit que je devrais être flattée, mais c’est bien plus dégradant que flatteur. Et je doute fortement qu’une fille ait déjà cédé à ce type d’avance..."
 

 

Ludivine, 23 ans, étudiante: "s'exhiber sexuellement dans un rapport de force, même virtuel, est une agression"

Ça peut varier de "simples" paroles à connotation sexuelle, à des photos explicites de la personnes ou à des photos pornos prises sur Internet, des vidéos. J'en reçois régulièrement, et plus régulièrement encore quand on multiplie les réseaux sociaux. Quand j'avais Snapchat il y a trois ans, il m'arrivait de recevoir des invitations aux pseudos... explicites que je refusais d'emblée. Sinon, j'en reçois principalement sur Facebook, et beaucoup moins sur Instagram... pour l'instant.

Je ne saurais dire quand ça a commencé: j'ai l'impression que ça a toujours été le cas. Depuis que j'ai Internet, en fait! Quand j'étais gamine et que je traînais sur Habbo, certaines personnes dépassaient déjà les limites en privé ou même dans des conversations publiques. Ensuite, pendant la vague Skyrock, il y a eu la grande mode des blogs et des "Coucou, tu veux voir ma bite?" sur le chat du site...J'étais (très) jeune quand c'est arrivé pour moi la première fois, donc j'ai réagi comme un enfant pourrait réagir: j'ai été choquée, très gênée. Je ne savais pas encore comment me défendre face à ces adultes qui avaient l'air de me trouver déjà à leur goût. Alors forcément, on n'ose pas en parler, on l'enterre au fond de soi et on passe à autre chose.

Mais maintenant? Hors de question de garder ma langue dans ma poche! Beaucoup de personnes pensent que je perd mon temps avec ces agresseurs. Oui, utilisons le terme approprié: s'exhiber sexuellement dans un rapport de force, même virtuel, est une agression. Ils peuvent peut-être comprendre pourquoi NON, une "dickpic" n'est pas quelque chose d'"agréable" quand ce n'est pas consenti. Je préfère jouer au gilet pare-balles et perdre dix minutes à expliquer pourquoi cela ne se fait pas, plutôt que de ne rien faire et laisser l'exhib aller embêter une personne plus fragile que moi. Je réagis de six manières. (voir encadré ci-dessous)

Je dirai presque qu'à chaque fois qu'on en reçoit, c'est la pire. Mais c'est particulièrement décevant quand on discute déjà depuis un moment avec la personne et que d'un coup d'un seul, POF, dickpic. Non là, vraiment, c'est un coup à nous faire perdre foi en l'humain. Toutes les pratiques sont possibles et acceptables si elles n'entament pas l'intégrité physique ou psychologique des personnes concernées. Libres à chacune et chacun d'envoyer des sextos lorsque les deux sont consentants. Seulement, si ce n'est pas le cas, c'est purement une agression: "On ne porte pas tort à celui qui consent."

À peu près toutes les femmes que je connais sont touchées... Plus encore lorsque l'on est une femme qui s'"expose" en faisant de la scène, de la photo, etc. Un corps exposé, ce n'est pas un corps public! Alors STOP; vraiment, STOP. Ça ne nous fait vraiment pas "plaisir"

Les six manières de réagir à la réception d'une "dickpic", selon Ludivine:
  • La blasée, laisser pisser. MAIS rarement. Car je pense que l'adage "qui ne dit mot, consent" s'applique: le type derrière son écran ne va pas s'arrêter si personne ne dit rien. Il va juste aller emmerder une autre personne.
  • L'option délation, j'utilise les options des réseaux sociaux pour signaler un comportement inapproprié: je peux choisir cette option en plus d'une autre.
  • L'option agression, histoire de leur faire comprendre que non, on ne montre pas son service trois pièces à tout bout de champ comme ça.
  • L'option culpabilisation: "Mais que dirait ta mère si elle te voyait faire ça? Aimerais-tu que l'on fasse la même chose à tes amies, sœurs ou cousines?"
  • L'option "Allô la police" qui marche plutôt bien et qui consiste à... copier-coller des textes de loi sur l'exhibition sexuelle sur Internet. (ou l'atteinte sur mineur; ndlr) 
  • Après il reste toujours l'option éducation. Mais pour la plupart d'entre eux, ce sont des cas perdus. Sans rire.
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