Coronavirus : dans un Ehpad de la Marne, le récit d'une descente aux enfers

Depuis des semaines, tout le monde en parle à Cormontreuil (Marne). De nombreux résidents du "Bord de Vesle" sont morts du covid-19 et plus de la moitié sont infectés. La direction de l'établissement avait pourtant pris des mesures de confinement avant tout le monde. Un récit effroyable.

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Comment le covid-19 a-t-il frappé l'Ehpad de Cormontreuil ? Cet homme d'une cinquantaine d'années raconte :"Mon père résidait dans cet Ehpad mais il n'y est plus. Il a attrapé le covid-19, il a été soigné aux urgences du CHU de Reims, puis placé en convalescence dans une clinique. Cela fait plus de deux mois que je ne l'ai pas vu. Il a toujours le Covid mais ça a l'air d'aller mieux."

Tous les résidents n'ont pas eu la chance d'en réchapper. A la résidence "Bord De Vesle" de Cormontreuil, il y a eu seize décès, selon les chiffres du département de la Marne. Peut-être vingt-deux, selon d'autres sources, "22 patients décédés dont la dernière serait décédée le 3 mai." Des chiffres que la direction conteste avec véhémence.

Mais quels que soient les chiffres, ce qui frappe, c'est l'augmentation du nombre de décès à cause du virus, comme le souligne Guy Carrieux, directeur général des services au département de la Marne. "En temps normal, une résidence comme Cormontreuil enregistre 20 décès pas an, cette fois on déplore 16 décès en sept semaines. Après cette crise, nous serons en mesure d'analyser l'impact du virus sur la mortalité dans les structures d'accueil pour personnes âgées."
 



La directrice, Laurence Sartor, évoque une situation de crise inimaginable même si heureusement, elle semble désormais stabilisée :"Nous avons testé tout le monde, les résidents et les salariés," explique-t-elle.
 

65% des résidents sont positifs, 30% des personnels le sont également. La situation semble stabilisée. Mais nous avons connu l'horreur.
- Laurence Sartor, la directrice


Un établissement confiné pourtant avant les autres

Laurence Sartor a pris ses fonctions de direction de l'EHPAD de Cormontreuil le 16 janvier 2020, après une reconversion professionnelle. Lassée de la politique et de l'économie, elle voulait retrouver "de l'humain et de la compexité" dans un poste de management. Elle n'a pas été déçue. "C'est de l'humain à tous les étages. On ne fait pas semblant et on assume ses décisions."

Début mars, avant même l'annonce du confinement général, elle va anticiper en fermant son établissement. "Je sentais que c'était "puant". C'était un week-end. J'ai téléphoné à l'Agence Régionale de Santé et au département pour les prévenir et j'ai tout fermé. J'ai appelé les familles une à une pour les avertir. Plus personne ne devait entrer. La nourriture, le linge, nous étaient transmis à l'extérieur."

La directrice et l'infirmière coordonnatrice imposent les masques. Seuls les personnels de santé peuvent désormais entrer. Les salariés prennent leur température trois fois par jour. Un médecin extérieur à l'établissement témoigne mais préfère rester anonyme : "Ils avaient pris des dispositions au moins dix jours avant le confinement dans cet Ehpad. Quand je venais voir mes patients, je devais porter un masque. J'avais moi-même alerté le médecin référent et le maire pour que du matériel de protection soit distribué et que le confinement soit assuré. Mais il y a eu un problème de masques que l'on a rencontré partout."
 

Un résident positif et c'est l'engrenage


Mais le premier avril, c'est le choc. Le CHU téléphone pour prévenir qu'un des résidents, traité pour le diabète, s'est révélé positif au covid-19. Le cauchemar commence. Un cas positif et c'est l'engrenage. Le ballet incessant des urgences et des morts devient inéluctable.

"Je m'en souviens très bien, se rappelle la directrice, c'était le premier avril. Le premier décès, le premier cercueil dans l'établissement, je ne l'oublierai jamais." Et ce n'est pas le dernier. D'autres résidents sont envoyés aux urgences.
 

On ne dort pratiquement plus. On surveille le moindre petit symptôme, un début de rhume, un mal de tête, une perte d'odorat. Je me confine chez moi, je ne vois plus mon mari et mes enfants. C'est l'horreur.
- Laurence Sartor, la directrice

 


"Je passe de directrice d'Ehpad à directrice de prison"

La directrice décide alors de renforcer le confinement."Je décide de confiner tous les résidents dans leur chambre. Seuls les "déambulants", les personnes désorientées, ne sont pas confinés et errent de couloir en couloir. Je suis passée de directrice d'Ehpad à directrice de prison. Je demande à l'ARS de tester les résidents. L'agence m'octroie deux tests. Je me débrouille pour en obtenir une vingtaine. Il s'avère que 40% sont positifs, 60% négatifs."

La situation est exrêmement tendue. Les résidents ne voient plus leurs familles, ne partagent plus les repas, ne se retrouvent plus pour des animations."Les résidents sont tristes. Nous avions mis en place des échanges sur les réseaux sociaux avec les familles mais pour des personnes de quatre-vingt dix ans, ça ne remplace pas une visite, ni une présence."
 

Et maintenant, on fait quoi ?

La situation devient ingérable. La résidence est vieillissante, elle n'est pas adaptée.Au départ, c'était simple maison d'accueil pour les personnes âgées puis l'établissement est devenu un Ehpad public, destiné à accueillir des résidents dépendants. La résidence du Bord de Vesle n'était pas conçue pour gérer correctement une situation de crise virale. Construite sur quatre niveaux, elle dispose d'une seule salle de restauration, d'une salle d'animation et d'un salon. Pour les soixante-sept résidents qu'elle accueille et les soixante-cinq salariés, le confinement n'est pas possible. Se pose alors la question de regrouper les personnes positives, mais pour cela il faudrait déménager les résidents. Laurence Sartor y renonce.
 

Cela représentait trop de stress pour les résidents, déjà confinés, abreuvés du matin au soir d'informations anxiogènes. La résidence était pleine.Les chambres doubles occupées, avec un cabinet de toilette commun. A chaque fois, les deux résidents qui vivaient côte à côte se sont transmis le virus.
- Laurence Sartor, la directrice

 

Aux urgences du CHU, les résidents de Cormontreuil affluent

Au CHU, les soignants s'alertent. De nombreux patients qui passent aux urgences viennent du même Ehpad de Cormontreuil. "Il en arrivait tous les jours, souvent dans un état de maladie avancée, nous confie un soignant, vu leur grand âge, ils étaient condamnés. A cause du covid-19, certains se sont retrouvés seuls dans leurs derniers instants. C'était triste à pleurer."

Le 4 avril, l'infirmière coordonnatrice de Cormontreuil doit s'arrêter. Elle est épuisée. Le médecin de l'établissement est absent pour plusieurs semaines. La directrice est seule pour gérer une situation devenue ingérable. Une situation qu'elle a tenue à bout de bras, avec professionnalisme mais aussi avec son coeur et son courage, malgré les doutes, la solitude, les critiques, l'épuisement physique et psychologique. Un engagement sans faille. Heureusement, les médecins du CHU vont lui apporter une aide et un soutien précieux.

La directrice reçoit un nouveau coup de fil du CHU. "Ils m'ont demandé pourquoi tous les résidents arrivaient dans un état de Covid avancé. Ils m'ont dit qu'ils allaient m'aider." Plusieurs médecins sont venus sur place : infectiologue, gériatre, bactériologiste, spécialiste des soins palliatifs."A partir de là, ils m'ont soutenue. J'ai pu faire appel à eux en cas de difficultés, ils se sont toujours montrés disponibles." Grâce à eux, la situation à l'EHPAD se stabilise enfin
 

Une situation en équilibre précaire

L'intervention des médecins a été décisive. Depuis, la situation se stabilise. La vie reprend petit à petit, "avec prudence," nous explique Laurence Sartor :"Pour les 60% de résidents qui sont porteurs du virus, nous sommes à plus de trois semaines et pour ceux qui ne présentent pas de symptômes, nous avons pu remettre en place des activités en petits ateliers de quatre ou cinq personnes." 
 

Les résidents négatifs vont bien. Ils restent confinés dans leur chambre pour éviter la contamination.
- Laurence Sartor, la directrice


Tous les résidents avaient perdu du poids durant le confinement. Avec la reprise d'activité, mais aussi des repas pris en commun (en respectant les mesures de protection et les gestes barrière), ils recommencent à manger. Les visites des familles sont autorisées, une fois par semaine et pendant une heure, limitées à deux enfants et deux adultes maximum.

Prochaine étape, autoriser les visites pour les résidents négatifs. "Je songe à reprendre les visites des familles pour les patients négatifs. Il faudra encore davantage de protections. Des masques, des blouses, des gants, des sur-chaussures. Il faudra aussi convaincre les résidents car beaucoup ne veulent plus sortir, ils ont trop peur."

 


Le maire ne comprend pas

Jean Marx, maire socialiste de Cormontreuil, se dit le premier surpris par la tournure qu'ont pris les évènements. "C'est la directrice qui m'a proposé de confiner avant tout le monde. On a pris toutes les précautions possibles. On a mis en place des tests. Et malgré ça, on a été touché par le virus".

"Nous travaillons sur un nouvel Ehpad de. Celui-là est trop vieux. Il n'est plus adapté. Nous avons obtenu les autorisation de l'ARS et du département. On cherche un architecte. Nous tiendrons compte de ce qui s'est passé pour adapter notre nouvelle aux situations de pandémie. "

La moitié des maisons de retraite de la Marne sont touchées, selon le département qui gère les résidences d'accueil de personnes âgées. Il y en a soixante dix-huit dans la Marne. "La moitié des établissement sont touchés par le virus, dont six sont particulièrement éprouvés, précise Guy Carrieux du Conseil Départemental.

Les chiffres sont catastrophiques, c'est une catastrophe humanitaire pour les personnes âgées.
- Guy Carrieux, médecin du Conseil Départemental de la Marne
 

Ce médecin intervient sur cinq résidences. Il confirme : "Les chiffres sont catastrophiques partout, un peu comme en Lombardie, en Italie, où 30 % des gens ont été touchés. Ici c'est pareil, et ça continue à monter. Est-ce dû à un problème de matériel, de personnel ? Est-ce la faute à pas de chance? Pour les personnes âgées, c'est une catastrophe humanitaire."
 

La bataille n'est pas gagnée

La directrice le sait, il n'y a aucune certitude. "Si la situation parait stabilisée dans l'établissement , rien ne dit que cela va durer. Personne n'est en mesure de dire si le virus circule encore." Dans ce contexte et ce flou, que faut-il faire ? Confiner des personnes âgées, les couper de toute relation avec des proches pour les protéger du virus ? Comment concilier sécurité et petits plaisirs de la vie ? Comment se préparer à des pandémies ? Les personnes âgées seront-elles les sacrifiées du coronavirus ou reprendront-elles toute leur place dans notre société ?

Ces questions essentielles restent sans réponse pour le moment mais elles mériteront un débat de société, dans le "monde d'après". En se rappelant cette maxime: "Dis-moi comment tu t'occupes de tes aînés, je te dirai qui tu es."
 
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