Coronavirus : pour les personnes addictes aux drogues, l'épreuve de force du confinement

En période de confinement, les personnes addictes aux drogues éprouvent de nouvelles difficultés dans leur quotidien. Suzel Balthazard-Olette est addictologue à l'Anpaa à Reims et continue de les soigner. Elle nous raconte comment ils affrontent cette épreuve parfois douloureuse.

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Tous les jours, le docteur Balthazard-Olette s'active. L'addictologue à l'Anpaa de Reims (association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) s'empare de son téléphone et comme beaucoup, le confinement a conduit la praticienne à continuer son activité en télétravail. Elle appelle quotidiennement ses patients pour s'assurer de leur suivi médical, qu'ils soient addictes à des drogues licites, comme le tabac ou l'alcool, ou à des drogues illicites dont le trafic s'est adapté au confinement.

Comme pour elle, leurs habitudes ont changé. Le confinement restreint les mouvements de chacun et dans un contexte parfois anxiogène de crise sanitaire, ses patients se retrouvent démunis. 

France 3 CA : En temps de confinement, comment font les personnes dépendantes pour s'approvisionner en drogues illicites?

Suzel Balthazard-Olette : "Pour le moment, le confinement vient de commencer et nous n'avons pas encore de recul. Nous pourrons vous en dire plus dans les semaines à venir, ou à la fin du confinement."
 


Est-ce que le confinement vous poussera à avoir recours plus facilement aux traitements de substitution ?

S.B.O : "Pour l'heure, je n'ai pas encore eu de demandes de mise en place de traitement de substitution des opiacés. A priori, les usagers doivent avoir leurs réserves ou parviennent à s'approvisionner d'une manière ou d'une autre. D'ailleurs, la mise en place d'un traitement de substitution des opiacées est une démarche qui est très réglementée. À voir comment les choses vont évoluer."

Comment continuez-vous à suivre vos patients ? 

S.B.O : "L'idée est vraiment de limiter au maximum les contacts et les déplacements. Mais il ne faut pas qu'ils se retrouvent sans aide. Pour le moment, on ne fait que des consultations par téléphone. Peut-être que dans les jours à venir, nous ferons des consultations par vidéos." 

"On continue à fonctionner au service de nos usagers et de nos patients déjà suivis. Pour ceux qui ne le sont pas encore, on fait en sorte de répondre aux rendez-vous qui étaient fixés en les appelant et en les soutenant, en attendant de pouvoir les rencontrer une fois le confinement terminé."

Est-ce que les personnes addictes sont plus vulnérables au covid-19?

S.B.O : "Il existe des facteurs de fragilité. D'une part, parce que certains usagers de drogues illicites (pas tous), vivent dans la précarité et la promiscuité, ce qui rend plus difficile l'application des mesures barrières. D'autre part, les comportements de consommation de drogues ou d'autres produits peuvent entraîner des modifications psycho-comportementales qui font qu'on applique moins bien ces mesures barrières. À partir du moment où on n'est plus en pleine possession de ses moyens, on peut moins bien appliquer les gestes barrières." 

"Il existe également des risques liés à la manière de consommer certaines drogues. On préconise, comme le reste du temps, de ne pas partager son matériel pour se droguer, de nettoyer la surface sur laquelle on fait ses préparations, d'éviter les réunions. On le fait déjà de manière générale, et cela s'applique d'autant plus avec le covid." 
 


Ont-ils plus de fragilités immunitaires que le reste de la population ? Notamment respiratoires ?

S.B.O : "C'est le cas pour toutes les personnes qui consomment des drogues inhalées, comme le tabac par exemple. Fumer crée une inflammation des voies respiratoires, cela les fragilise et peut rendre vulnérable face au covid ou augmenter le risque de complications respiratoires du virus."

"La gestuelle rentre également en compte. Le geste main bouche, que ce soit pour une cigarette ou un joint, représente un risque supplémentaire puisqu'il est fortement déconseillé de se toucher le visage."

Avec les mesures de confinement, certains patients vont se voir privés de leurs substances. Est-ce qu'un sevrage forcé représente des risques?

S.B.O : "Un sevrage forcé est toujours compliqué à gérer. Il y a des substances pour lesquelles un sevrage non médicalisé peut engager le pronostic vital. Arrêter l'alcool brutalement peut être très dangereux, cela peut conduire à la mort dans des cas extrêmes, tout comme le fait d'arrêter certains médicaments psychotropes."

"Pour d'autres produits qui ne sont pas létaux si on les arrête, les stopper brutalement peut se révéler particulièrement difficile à gérer. Cela reste très inconfortable pour la personne et son entourage, car cela peut entraîner des comportements violents et difficiles. C'est pour cela qu'on n'arrête pas les consultations, qu'on est toujours joignables et disponibles pour les accompagner dans une réduction des risques et les aider dans ces moments plus difficiles."

Est-ce que le confinement et le contexte actuel ne sont pas propices aux angoisses et à la consommation de drogues ?

S.B.O : "C'est effectivement une de nos craintes. On commence à constater que nos patients fragiles sur le plan psychique, qui peuvent être très angoissés ou très déprimés, commencent à avoir recours à l'alcool ou à d'autres drogues. Comme ils peuvent le faire dans d'autres circonstances de leur vie, pour essayer d'apaiser des angoisses ou des moments dépressifs. C'est pour cela qu'on garde le contact avec eux, pour que ça ne prenne pas trop d'ampleur et pour continuer à les encourager."

Ce sont des craintes ou des personnes vous ont contactée dans ce sens ?

S.B.O : "Je commence à avoir des retours lors de mes consultations par téléphone. J'ai des patients qui se retrouvent en difficulté, qui ont des angoisses, qui ont du mal à gérer leurs émotions dans ces moments. D'autant plus qu'ils sont enfermés et qu'ils ont moins accès à ce qui leur fait du bien d'habitude. Il y a des gens qui peuvent soit augmenter leur consommation de produits, soit qui luttent ​beaucoup contre leurs envies de consommer. Cela peut arriver également que des personnes bien dans les soins ​mais encore un peu fragiles, se retrouvent dans un moment de lutte pour essayer de se maintenir sans drogue." 
 

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