Couvre-feu et Covid, pas facile d'être jeunes et de vivre avec des mesures barrières. Dans la Marne, deux spécialistes, Antoine Menet, hypnothérapeute, et Emeric Lambrecht, pédiatre, proposent des conseils pour aider les enfants, les adolescents et les jeunes adultes à affronter la crise sanitaire.
Antoine Menet est installé à Reims. Il est hypnothérapeute et préparateur mental de sportifs. Pour l'hypnose, il collabore avec des médecins, des professionnels de santé, mais aussi des associations de patients, majoritairement du Grand Reims. Pour la préparation mentale, il est partenaire de clubs locaux et intervient sur tout le territoire national.
Emeric Lambrecht est endocrinopédiatre à la polyclinique de Bezannes (Marne). Chaque semaine, il suit 80 enfants concernés par sa spécialité d'endocrinologue et plus de 700 patients en pédiatrie générale. L'endocrinopédiatrie est une discipline médicale qui s'occupe des pathologies hormonales de l'enfant. Elle prend en charge les troubles de la croissances et de la puberté, les désordres nutritionnels (obésité, hypotrophie).
Antoine Menet et Emeric Lambrecht collaborent ensemble pour apporter un bien-être aux enfants que le pédiatre prend en charge.
Comment vous êtes-vous rencontrés et comment se déroule votre collaboration ?
Emeric Lambrecht (endocrinopédiatre) : J’ai rencontré Antoine au cabinet. Il est venu nous présenter à mes collègues et à moi son activité et son expérience de l’enfant et du sportif de haut niveau. Très rapidement, nous avons pu échanger sur des impasses thérapeutiques dans certaines pathologies ou sur des personnalités où l’hypnothérapie pourrait avoir un impact et un effet positif. Je lui adresse des enfants de tout bord quand je n’ai pas de solution thérapeutique à proposer, quand le soutien psychologique n’est pas suffisant parce que l’enfant et sa famille sont en souffrance.
J’adresse l’enfant en général à partir de 3-4 ans pour l’instant. Les principales indications à l’hypnothérapie dans mon cas sont surtout les troubles anxieux, les déficits de l'attention avec ou sans hyperactivité de l'enfant (TDAH) en souffrance, les troubles du sommeil, les phobies envahissantes. J’ai testé l’hypnose également dans les énurésies (troubles urinaires nocturnes) et en soutien dans ma prise en charge de l’obésité afin de travailler le rapport de l’enfant à la nourriture.
Antoine Menet (hypnothérapeute) : Peu après mon installation, j'ai contacté le Dr Lambrecht ainsi que ses collègues pédiatres afin de me présenter et de présenter ce que pouvait apporter l'hypnose pour la qualité de vie de leurs patients. Nous avons eu des échanges très riches autour des situations de vie des jeunes enfants et des problématiques pour lesquelles l'hypnose peut être un atout. Notre travail est un travail de complémentarité.
Lorsque le Dr Lambrecht identifie des besoins qui peuvent être pris en charge de manière non-médicamenteuse, mais qui nécessitent une intervention extérieure, il propose différentes solutions aux familles, dont celle de l'hypnothérapie. Je reçois donc généralement ces familles sur avis médical, puis nous entamons le travail autour du sujet identifié. Cela ne suspend pas le suivi médical, mais agit en complément de la prise en charge.
Comment se déroule une séance d'hypnose avec un public jeune ?
Antoine Menet (hypnothérapeute) : L'objectif de la séance en hypnose est toujours d'explorer les ressources de la personne, et de lui permettre d'atteindre la transformation qu'elle souhaite. Avec des enfants, je commence toujours par une discussion avec le ou les parents en présence. Nous prenons ensuite un temps de séance avec l'enfant uniquement. C'est l'occasion de mieux comprendre sa perception des choses, puis d'explorer ensemble les ressources dont il dispose. L'ensemble dure en général une heure, mais cela peut être plus bref selon les capacités de concentration liées à l'âge par exemple.
L'hypnose ne se résume pas à l'hypnose de scène. Personne ne vous demandera en cabinet de faire la poule.
L'hypnose est une technique de communication qui utilise les états et les fonctionnements naturels du cerveau pour le reprogrammer. Elle fonctionne si une alliance se crée entre l'hypnothérapeute et la personne. Autrement dit : l'hypnothérapeute ne peut pas changer à votre place, il ne peut que vous accompagner vers le changement. L'hypnose n'est pas de la magie. L'hypnose vous permet de créer vous-même le changement, avec vos ressources propres et vos solutions. L'hypnothérapeute n'est pas la personne qui apporte la solution.
L'hypnose ne se résume pas à l'hypnose de scène. Même si les spectacles ou les émissions télé sont très connues du grand public, elles ne sont pas représentatives de ce qui se déroule en cabinet. Personne ne vous demandera en cabinet de faire la poule. L'hypnose est un outil de plus en plus utilisé dans le milieu hospitalier par le personnel médical et para-médical.
La situation sanitaire persiste et les mesures gouvernementales se durcissent, notamment avec la mise en place d'un couvre-feu dans certains départements. Est-ce que cela peut avoir des répercussions psychologiques plus fortes?
Emeric Lambrecht (endocrinopédiatre) : Concernant la situation stressante actuelle, toutes les tranches d’âge sont à surveiller. Mais il est clair que l’adolescent est particulièrement à risque de décompenser de façon plus ou moins bruyante. Le dialogue reste une bonne écoute et pourquoi pas un accompagnement extérieur. Évidemment, nous sommes entrés dans une période de contraintes de doutes et d’incertitudes sur l’évolution sanitaire et la reprise d’une vie normale. Difficile de se projeter dans ces conditions.
Après, nous ne sommes pas non plus en temps de guerre. Je pense qu’il faut relativiser aussi un peu les choses. Nous sommes surtout impactés sur nos libertés de déplacement et nos loisirs. Même si nos ados n’ont pas un pronostic vital engagé, il ne faut pas négliger pour autant leur santé mentale. D’où le soutien et l’accompagnement sous toutes ses formes.
Antoine Menet (hypnothérapeute) : Notre cerveau n'aime pas l'inconnu. C'est un fonctionnement basique, primaire du cerveau : il a besoin de sécurité, sinon il génère du stress. Ne pas savoir ce qui va se passer, ni à quoi vont ressembler nos vies... c'est une épreuve difficile à vivre psychologiquement. La gestion de la crise en flux tendu est donc un vrai facteur d'inquiétude.
Pour faire face à cela, la première démarche peut être d'accepter l'existence de cet aléa, cet avenir incertain, et de retrouver des opportunités dans le présent. Vivre dans le passé conduit à l'immobilisme, et n'être tourné que vers l'attente du futur conduit à de l'anxiété. Il est important de se réancrer dans le présent pour retrouver une capacité d'action.
Comment orientez-vous les parents vers un accompagnement supplémentaire ?
Emercic Lambrecht (endocrinopédiatre) : La demande vient généralement des parents inquiets pour leur enfant et souvent eux aussi en proie à l’angoisse et le stress. Ils se sentent démunis et ne savent pas comment les aider.
Antoine Menet (hypnothérapeute) : C'est effectivement souvent sur demande des parents que je reçois un enfant ou un adolescent. Mais dans tous les cas, puisque c'est le jeune qui va devoir travailler avec moi, il doit être volontaire pour venir me voir. Lorsque les jeunes grandissent, il arrive qu'ils viennent suite à une demande spontanée d'être accompagnés. Enfin, je reçois aussi des étudiants qui viennent sans l'accompagnement de leurs parents.
Quels sont les symptômes évoqués par les enfants et adolescents concernant leurs angoisses vis-à-vis de la crise sanitaire ?
Antoine Menet (hypnothérapeute) : Les symptômes sont très variés, mais on retrouve quelques thèmes récurrents : les troubles du sommeil, la peur de la maladie ou de la mort, les changements alimentaires, l'angoisse du monde extérieur, la création de comportements compulsifs de réassurance... Ces symptômes proviennent de plusieurs facteurs générateurs de stress. On peut d'abord citer à ce titre le climat menaçant que les enfants perçoivent très tôt et qu'ils "captent" en écoutant les informations ou les discussions des parents. À ce titre, si les gestes barrière sont globalement assez facilement intégrés par les enfants, ils peuvent aussi être à l'origine d'obsessions et d'angoisse, voir de comportements compulsifs.
Mais on trouve aussi la perte de lien social, le changement brutal lié à l'arrêt de l'école lors du premier confinement, ou à l'arrêt des activités sportives comme lors du second confinement. Enfin, on peut aussi avancer l'angoisse liée à la sortie de la cellule familiale lors du déconfinement : la cellule familiale agissait comme une sphère de protection que l'enfant a l'impression de perdre lorsqu'il retourne à l'école.
Vous avez eu des prises en charge après le déconfinement. En ce qui concerne ce suivi, le travail devient visible en combien de temps ?
Antoine Menet (hypnothérapeute) : En début de prise en charge, nous convenons d'un objectif, d'un thème que la personne souhaite améliorer. Généralement, il s'agit d'un des symptômes cités précédemment. Il est difficile de généraliser la durée des suivis, mais l'idée de quatre à cinq séances est un bon repère. Chez les enfants, dont le cerveau est plus prompt à l'évolution, les progrès sont néanmoins souvent plus rapides. L'accompagnement peut se poursuivre si la personne décide de continuer à faire évoluer d'autres aspects de sa vie.
Concernant les étudiants qui viennent vous voir directement, le constat est-il préoccupant ?
Antoine Menet (hypnothérapeute) : Les étudiants sont une population très fragilisée par la crise du COVID. Je vois trois impacts négatifs du confinement pour ces jeunes. L'isolement social : beaucoup de jeunes habitent loin de leur cellule familiale et ont été privés de contacts avec leurs amis, leurs loisirs. Ils ont expérimenté une grande solitude. Cette solitude a pu conduire à développer une image négative de soi ou de la société. Le ralentissement dans l'émancipation : les années d'étudiants sont des années où le jeune adulte se découvre autonome. Il s'exprime, se construit, expérimente, rentre en contact avec le monde. Toute cette phase est mise à mal par la crise sanitaire, et est un poids pour l'évolution psychologique, sociale et affective des jeunes générations.
La peur de l'avenir : nous sommes loin des trente glorieuses, et la période actuelle est déjà plongée dans une inquiétude face à l'avenir, notamment écologique. Mais cette crise sanitaire et économique semble encore assombrir l'horizon pour les jeunes étudiants qui peinent alors à se projeter de manière positive et volontaire. Le sens de leur propre avenir peut leur échapper, entraînant ainsi des phases de doute et de rejet du monde extérieur. Le repli sur soi, la méfiance, le fatalisme ou la perte de confiance générale peuvent naître facilement dans un tel contexte
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Si vous deviez donner trois conseils aux parents, quels seraient-ils?
Emeric Lambrecht (endocrinopédiatre) : Aménager un programme hebdomadaire avec des temps d'activités physiques à respecter et à mener avec son enfant (minimum 30 minutes par jour ou selon la disponibilité des parents 2 fois par semaine pendant au moins 1 h). Essayer de maintenir un lien avec son club de d'activités via des visioconférences, des communautés sur des réseaux sociaux. Limiter les temps d’écrans et l'alimentation à la baisse globale d'activité.
Antoine Menet (hypnothérapeute) : Diminuer l'exposition aux informations, et prendre le temps d'expliquer à l'enfant ce qui se passe. Il peut être aussi intéressant de chercher à le faire exprimer ce qu'il a compris de la situation, pour pouvoir répondre à ses inquiétudes. Les enfants écoutent tout et la situation peut les impacter bien plus qu'il n'y paraît.
Continuer à valoriser l'extérieur comme un lieu joyeux et plein d'opportunités, en le mettant en contact avec sa famille ou des amis via des outils numériques par exemple.
Enfin, partager des moments riches d'activités sportives ou artistiques afin d'entretenir un lien de sécurité, mais aussi de continuer à valoriser l'enfant dans ses réussites. L'idée est de lui montrer qu'il n'est pas juste un objet qui subit le monde, mais bien qu'il est capable de créer et d'agir.
Pour les étudiants, les conseils sont assez proches ?
Antoine Menet (hypnothérapeute) : Diminuer la consommation d'information. La sur-information est une sollicitation émotionnelle forte. Elle peut remplir le temps, mais ne satisfait jamais vraiment. En diminuant le temps passé devant l'écran, en choisissant ses sources d'informations, l'étudiant pourra se consacrer à d'autres tâches plus nourrissantes pour l'esprit, mais aussi prendre du recul par rapport au flux d'information.
Renforcer les interactions sociales. Dans le cadre de ce qui est autorisé bien sûr... Mais profiter de la technologie ou de la liberté disponible pour multiplier les contacts. Idéalement pour échanger sur d'autres sujets que la déprime ambiante ou le manque de perspectives.
Agir. Créer des projets. Sortir de la passivité, de l'état d'esprit qui ne fait qu'attendre toutes les semaines les annonces du gouvernement. Se mobiliser autour d'un projet. Le passage à l'action va permettre de mobiliser les ressources et de les diriger vers un but constructif, renforçant ainsi la confiance en soi et la résilience.
Antoine Menet, vous avez créé une chaîne Youtube, que peut-on y découvrir ?
J'ai créé une chaîne Youtube autour de la préparation mentale, pour aborder des sujets à destination de sportifs.
Mais cette chaîne Youtube est aussi un moyen de parler de sujets plus quotidiens pour tous les publics : confiance en soi, gestion du stress, création d'objectifs de vie etc.
2021 s'annonce comme 2020 avec pourtant des nouvelles positives comme l'arrivée du vaccin mais tardivement pour la population jeune ?
Emeric Lambrecht (endocrinopédiatre) : Le début de 2021 va ressembler beaucoup à 2020. L’espoir du vaccin nous permettra d’entrevoir une reprise d’une vie normale plus rapidement. À condition que les Français jouent le jeu...
Je pense que les enfants seront les derniers à être vaccinés. Mais si déjà, on limite les formes graves de l’adulte, les hospitalisations en réanimation et les décès, on aura tout gagné et nous pourrons reprendre une vie normale. Le coronavirus redeviendra un virus banal. À noter que les gestes barrières ont apporté de bonnes nouvelles. Le port du masque n’a rien d’enthousiasmant mais, grâce à ça, nous n’avons quasiment aucune virose sévère. Très peu de bronchiolites. Peu de grippe et de gastro. Bref, des enfants en bonne santé physique.
Antoine Menet (hypnothérapeute) : Pour les enfants, les adolescents et les adultes, notre cerveau va retenir l'émotion avec lequel nous le nourrissons. S'il se nourrit de négatif, il va être envahi par ce négatif et ne plus voir que ce qui va mal. S'il se focalise sur du positif, si chacun décide de voir les opportunités et le positif de chaque situation, alors l'état émotionnel et le niveau d'énergie va tout de suite s'en ressentir.
Je ne sais pas quelles vont être les orientations politiques des prochains temps, mais il est certain que les choix actuels ont conduit à malmener sur le plan psychologique toute la population, avec des effets terribles sur les enfants, les préadolescents, les adolescents et les étudiants. Je souhaite de tout cœur que la santé mentale, psychologique et affective de ces jeunes soit remise dans le cœur du débat.
Et de manière plus globale encore, ayons l'ambition de continuer à donner à la jeunesse les moyens de s'épanouir. Nous avons besoin d'une génération forte, ouverte, confiante et éduquée, pour faire grandir un monde qui a besoin de lien, de contacts, d'aventure, d'ambition, de solutions.