Jacques Cohen est professeur émérite à l'URCA de Reims et immunologiste. Pour lui, la situation sanitaire actuelle demande des tests massifs et des confinements ciblés pour maîtriser la fin de cette seconde vague et anticiper la troisième à venir. Entretien.
Médecin, scientifique, chercheur au laboratoire de recherche en nanosciences, professeur émérite de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, immunologiste, Jacques Cohen a passé plusieurs dizaines d’années à l’étude des réponses immunes contre des virus comme l’EBV, l’HIV ou l’hépatite B. Il a également contribué à la lutte contre le sida et figure parmi les inventeurs du brevet de l’un de ses variants. Pour lui, face à la situation sanitaire actuelle, les tests massifs sont une priorité. Entretien.
Selon vous, quelles mesures faut-il prendre pour venir à bout de ce virus ?
Pour gagner la guerre, il faut se débarrasser de ses habitudes et des généraux des temps de paix. Le gouvernement n'a pas su adapter et multiplier les infrastructures pour dépister suffisamment la population. Pour l'instant, nous sommes dans la fin de la seconde vague. La troisième n'est toujours pas là mais il ne s'agit pas de penser à un confinement total.
En France, nous avons une discussion assez restreinte et très focalisée qui est "on confine, on ne confine pas". Et quand on ne confine pas, on confine quand même parce qu’on réduit considérablement la diversité sociale des contacts et il y a des retentissements en tout genre, dont des retentissements psychologiques majeurs comme on le voit à la longue. Je vous dis tout de suite que j’approuve le fait de ne pas s’être lancé à l’aveuglette dans un nouveau confinement national à un moment qui ne me parait pas opportun pour cela.
Quand sera donc le bon moment ?
Quand vous voyez par exemple à Mulhouse, la zone la plus atteinte en première vague, que l’épidémie actuelle n’a pas donné, en octobre, de deuxième pic, mais une montée lente. Et cette montée lente qui a duré plus de deux mois et demi vient seulement d’arriver à son maximum et de commencer à plafonner. Donc on peut prévoir, comme la redescente est toujours un peu plus lente, qu’il y en a encore là-bas pour trois à quatre mois. Va-t-on confiner trois à quatre mois ? C’est quelque chose d’insoluble et il ne faut pas raisonner uniquement comme cela.
Je plaide pour une vie sociale restaurée basée sur des tests massifs comme les Français l’ont fait pour Noël. Les Français se sont débrouillés pour faire un million et demi de tests en plus que d’habitude pour pouvoir rencontrer leurs familles à Noël, et il n’y a pas eu de pic. Et je crois qu’on peut multiplier cela très largement si on se donne la logistique de tests nécessaire. Plus nous pourrons tester, plus nous pourrons restaurer la vie sociale.
Des variants et des vagues successives, il y en aura. En attendant, le scénario le plus probable, c’est plutôt maintenant qu’on sait qu’il y a des variants qui échappent, qu’on va avoir un certain nombre de vagues, mais des vagues pour de bon, c’est-à-dire des épidémies de ré-infestation. Cependant, il n’est pas certain que chaque variant ait le même potentiel que notre Sars-CoV-2 que nous connaissons maintenant bien. Notre Sars-CoV-2 a une curiosité en matière de pandémie, il se moque de la saison, il se moque de la température et il se moque de la géographie : il a une diffusion mondiale sans grande difficulté. Je vous rappelle que son cousin proche, le MERS, celui des chameaux d’Arabie Saoudite, n’a jamais quitté le sable malgré le pèlerinage de la Mecque, les gens ne l’ont pas ramené à la semelle de leurs souliers. Mais de toute façon, il y aura des tas de variants et il y aura des variants autochtones chez nous. D’ailleurs, il y en a déjà.
"Des variants, il y en aura chez nous !"
Quand le virus bat la campagne et qu’il est dans le Far West, qu’il ne rencontre aucune opposition, il n’a pas de raison de changer. Puis, quand il commence à rencontrer des difficultés, parce qu’il se confronte quand même à une immunité qui s’installe, à ce moment-là, il y a une pression de sélection et il génère un certain nombre de variants. Certains sont plus mortels, d’autres moins, mais la grosse question, c’est "est-ce qu’un variant donné échappe à l’immunité acquise qu’elle soit naturelle ou qu’elle soit vaccinale?" Parce que finalement, c’est un peu à cela que servent les variants du point de vue du virus. Le variant britannique, qui est mis en vitrine, n’est pas finalement pas un variant bien gênant, les vaccins fonctionneront contre lui comme l’immunité naturelle.
Je rappelle aussi que les variants les plus mortels ont un handicap : ils ne se propagent pas bien
En revanche, il y a déjà des variants qui échappent à l'immunité en Afrique du Sud, il y en a en Amazonie, il y en aura ailleurs, il y en aura chez nous. Il ne faut pas penser que les variants, c’est les autres! Des variants, il y en a chez nous. Voyez l’histoire de ce variant à Chauny, dans l'Aisne, dans une maison de retraite, qui a tué 27 pensionnaires sur 110, c’est un variant probablement plus mortel. Je rappelle aussi que les variants les plus mortels ont un handicap : ils ne se propagent pas bien. Parce que quand on est mort ou qu’on est cloué au lit, on transmet beaucoup moins que quand on est en pleine santé et qu’on ne sait même pas qu’on a du virus dans le nez.
Donc, les variants avec le temps finissent par voir gagner un variant qui n’est pas bien méchant et qui est adapté à l’espèce. C’est ce qui nous est arrivé avec OC 43, le coronavirus des rhumes de l’enfant, qui a dû rentrer dans notre espèce vers la fin du 19e siècle en étant beaucoup plus méchant, puis qui s’est assagi. Aujourd'hui, c'est une rhinopharyngite banale et qui ne foudroie plus.
Il est donc possible d'arriver à bout de ce virus, même si les variants se multiplient ?
Oui, c'est possible, mais il faudra du temps. Ce virus peut disparaître comme il est arrivé. On pouvait espérer, avec le début des vaccinations, qu’on allait enfin en finir avec cette sale bête. Malheureusement, c’est un peu plus compliqué ! Alors, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas vacciner maintenant avec ce que l’on a sous la main ! Il faut absolument vacciner les personnes à risques avec les deux catégories de vaccins existants, mais il faut se préparer. Il faut se préparer pour la mi-temps suivante parce que certains des variants soit qui existent déjà, soit qui vont émerger, échapperont à ce vaccin et il faut donc concevoir des vaccins qui ensuite pourront contrôler ces mutants connus, voir même les mutants encore inconnus, parce qu’on peut faire des prédictions de structure à partir de l’étude du virus.
Est ce que les vaccins sont efficaces même sur les variants?
On ne sait pas pour combien de temps les vaccins RNA (à ARN messager ndlr) induisent des anticorps protecteurs, puisqu’ils sont complètement nouveaux. Pour les vaccins adénovirus (qui utilisent des adénovirus inoffensifs comme moyens de transport dans le corps humain ndlr), on peut penser que c’est un peu plus long, parce qu’on est dans un modèle relativement classique d’un vecteur viral vivant. Point très important dont on n’a pas encore la réponse : on sait que le variant sud-africain échappe au vaccin AstraZeneca (adénovirus ndlr). Reste à savoir si ce variant échappe également aux vaccins à ARN messager : il y a de très forts risques que totalement, ou en partie, il y échappe également. On peut donc penser que le vaccin AstraZeneca risque d'être arrêté si d'autres variants se multiplient. La question aujourd'hui, c'est quels sont les vaccins qu’il faut préparer pour la suite ?
#vaccins #COVID19 Tous les vaccins à base de spike sont à risque d'échappement par des variants. Revue rapide des variants viraux et du potentiel des principaux vaccins pour une vaccination périodique répétée.https://t.co/fFiM1nWfPH pic.twitter.com/9Oy7qkqX93
— Jacques HM Cohen (@jhmcohen) February 17, 2021
Les vaccins à ARN messager sont moins efficaces ?
La question, c’est celle des vaccins à virus entier inactivé. Les virus entiers inactivés ont du spike, la protéine présente à la surface du SARS-CoV-2, mais ils ont d’autres motifs antigéniques. Et on ne sait pas si ces motifs, qui ne changent pas quand le spike change (modification à l'origine du variant ndlr) et qui sont introduits dans l'organisme avec le vaccin, vont protéger l'individu ou pas. C’est très important et je vous rappelle que les deux vaccins chinois sont des virus entiers, que le vaccin indien est un virus entier et qu’il y en a en préparation un peu partout. Il y a même déjà un qui est produit au Brésil, il y en a un qui va passer en essai de phase 3 au 15 mars, je pense, en Russie.
Le vaccin chinois est sans doute plus sûr, car le plus éprouvé : c’est la copie du vaccin antipolio des années 50.
Nous en avons un aussi, si j’ose dire, parce que la firme Valneva est franco-autrichienne, mais qui fait ses essais et qui fera sa production en Grande-Bretagne faute de financement continental. Il est très important de voir si ces vaccins traditionnels vont avoir une largeur de couverture plus grande que les vaccins basés sur le spike. Parce que finalement tous les autres vaccins, en dehors des virus entiers, sont basés sur le spike que ce soit par l’intermédiaire de l'ARN messager ou par l’intermédiaire d’un vecteur. Donc, première et grande question, est-ce que les vaccins virus entiers ont une largeur de protection plus importante que la souche de référence qu’ils contiennent ? Alors s’ils ont une largeur plus importante, ce serait certainement la solution à privilégier. Mais tout cela, cela demande de l’étudier le plus vite possible.
Par rapport aux autres pays, est ce que le gouvernement a adopté la bonne stratégie en matière vaccinale?
Pour les politiques, comme la situation économique est catastrophique, on pré-réserve beaucoup de doses des vaccins, au moins jusqu’à juin 2021. Le raisonnement est de dire : " On prend ceux qui arrivent en tête ". Le gouvernement britannique, lui, n’a pas fait le même choix. Il compte disposer dès la fin du premier trimestre 2021 de 3 types différents de vaccins. Notamment celui de Valneva, production pour laquelle une usine a été construite en Ecosse. Les Anglais en ont pré-commandé 60 millions de doses. Hélas, je n’ai pas entendu dans les annonces gouvernementales, que l’on prévoyait une part de marché en France pour ce vaccin qui, à tout prendre, me paraît plus sûr que les deux autres Moderna et Pfizer retenus par le gouvernement français.
Le vaccin chinois est sans doute plus sûr, car le plus éprouvé : c’est la copie du vaccin antipolio des années 50. Il est diffusé largement en Chine par deux firmes et commence à être exporté. Ils nous en vendraient pour peu qu’on le leur demande…. La vaccination doit commencer, par exemple, pas loin de chez nous au Maroc ces jours-ci.
En France, il y a aussi Sanofi et l’Institut Pasteur qui seront sans doute prêts pour une diffusion mondiale : ils savent faire. C’est un autre procédé que ceux des vaccins qui courent en tête. Pour l'instant, leurs vaccins ne sont pas prêts, mais ils seront peut-être plus efficaces. Et statistiquement il est peu probable que les résultats des premiers partis dans la course soient parfaits.
Finalement, pensez-vous que le vaccin suffira à stopper l’épidémie ?
Il ne faut pas imaginer que le vaccin va régler tout cela dans les premiers jours de 2021. Je ne suis même pas persuadé que le vaccin, quel qu’il soit, à une telle échelle, soit capable d’enrayer potentiellement l’épidémie. Les choses changeront peut-être pour 2022. Mais je voudrais dire qu’en l’état, seules les solutions, non pas de vaccination, mais de prévention par les mesures de distanciation, d’hygiène, de dépistage, d'isolement sont les solutions éprouvées et efficaces d’éradication du virus de nos jours pour en finir avec cette épidémie.