Christophe Strady médecin infectiologue au groupe Courlancy- Reims et Hervé Leturgie medécin biologiste, pour le laboratoire Bioxa Bezannes, font le point sur les variants et la situation sanitaire. Pour eux, la progression des variants est déjà très importante.
24 cas de variants anglais et 1 cas de variant sud-africain, dans la région Grand Est ont d’ores et déjà été détectés (15 par test RT-PCR dit de criblage et 10 par séquençage). Ces chiffres, communiqués le 02 février par l'ARS ( Agence Régionale de la Santé) préoccupent les soignants dans le Grand Est. La répartition géographique suivante : Marne (8 cas), Aube (6 cas), Bas-Rhin (6 cas), Ardennes (2 cas), Meurthe-et-Moselle (1 cas), Moselle (1 cas) et Haut-Rhin (1 cas), place Reims en tête.
Pour Christophe Strady, médecin infectiologue au groupe Courlancy- Reims, la progression du variant anglais est déjà beaucoup plus importante et l'alerte est de mise : " Plus proche de chez nous en Île de France, la proportion des variants anglais atteignaient 15 à 20 % la semaine dernière. Il est indéniable que ce variant va devenir majoritaire dans les semaines qui viennent. Donc, oui, les autorités sanitaires sont en état d’alerte avec un suivi épidémiologique de cette progression ".
Une course contre la montre
Seulement pour diagnostiquer ces variants, il faut du temps, car les analyses de ces nouveaux variants ne se font pas partout.
" Les méthodes diagnostiques de référence type PCR COVID19 ne sont pas adaptées pour mettre en évidence les variants. Ce sont des méthodes de séquençage utilisées notamment dans les laboratoires des centres nationaux de référence qui permettent de les mettre en évidence. Les prélèvements de patients positifs au COVID 19- revenant de zone à haute prévalence de ces variants sont envoyés dans ces laboratoires pour réaliser ces techniques de séquençage. Par ailleurs, des échantillonnages de prélèvements positifs de diverses régions sont maintenant régulièrement envoyés à ces laboratoires pour le suivi de cette progression des différents variants. Il existe depuis peu des méthodes de PCR permettant de détecter ces nouveaux variants dans les laboratoires qui faisaient du diagnostic d’infection COVID19" explique Christophe Strady.
Alors doit-on s'inquiéter de ces nouveaux variants ? Pour le médecin infectiologue, les mutations génétiques des virus dont le COVID 19, sont un phénomène naturel obligatoire et régulier. La majorité des mutations sont délétères pour le virus avec des nouveaux variants moins pathogène que le virus initial. Mais parfois, certaines mutations permettent au virus d’être plus virulent et ainsi de s’adapter pour pouvoir continuer à progresser rajoute Christophe Strady.
De plus, ajoute l'infectiologue " ces mutations lui permettent d’échapper aux contraintes, c’est-à-dire d’être par exemple plus transmissible ou d’échapper aux réponses immunitaires (réponse qui permet de se défendre contre l’infection) des hôtes qu’il infecte. Les virus comme tous les micro-organismes ont des capacités d’adaptation par leurs modifications génétiques pour continuer à se multiplier. C’est aussi une forme d’intelligence comme l’intelligence humaine. Par ses mutations, le variant anglais a des capacités de transmission et probablement de pathogénicité supérieure au virus qui circulait jusque-là. Compte tenu de ces caractéristiques, ce nouveau variant va donc devenir majoritaire car il est "meilleur" , excusez-moi du terme.., et "va prendre "la place du virus qui circulait jusque là. Eh oui, la nature est implacable !!"
Pour le biologiste, Hervé Leturgie du laboratoire Bioxa, à Bezannes, le variant anglais est déjà présent sur l’ensemble du territoire et comme il est plus contagieux, il va forcément supplanter les autres formes du virus. " Ni inquiet, ni en état d’alerte, mais nous sommes toujours vigilants. La chaîne de diagnostic s’est adaptée pour mieux les surveiller et être plus réactifs. Nous sommes en relation très régulière avec l’ARS(depuis le début d’ailleurs). Tous les tests PCR positifs d’une journée sont transmis au patient, aux ARS, à la CNAM. Le lendemain, ils sont testés à nouveau sur une technique de criblage qui permet de détecter les variants. La technique est effectuée depuis cette semaine au laboratoire Bioxa. Le contact tracing prend en charge de manière spécifique les cas de variants afin de freiner au mieux la transmission de ces souches" explique le scientifique.
Plusieurs variants circulent à Reims
À la question si des mutations ont été repéré à Reims? " Même si on n’a pas de chiffre précis à l’échelle de Reims, je ne doute pas pour toutes les raisons expliquées ci-dessus que ce nouveau variant anglais ait commencé à circuler sur Reims" alerte le spécialiste desmaladiesinfectieuses. Pour le médecin infectiologue Christophe Strady, le variant Sud-Africain, comme le variant anglais, parait plus transmissible. Plusieurs études s’intéressant à la neutralisation du virus à partir de sérum de patients vaccinés semblent montrer un maintien de l’efficacité de la réponse vaccinale sur le variant sud-africain comme sur le variant Anglais reconnaît-il.
Pour la communauté scientifique, les données « en vie réelle » d’Israel sont attendues avec un grand intérêt. Il s’agit d’observer le niveau de protection en comparant la survenue d’infection COVID 19 chez les vaccinés et non vaccinés avec un focus sur les nouveaux variants. " Ce pays présente un intérêt particulier compte tenu de l’avancement de la campagne de vaccination et la large circulation des variants, notamment anglais dans ce pays " enchaîne Christophe Strady.
En revanche, pour le variant brésilien, l'infectiologue est plus inquiet, car la moitié de la population avait déjà été affectée par le virus COVID 19 initial. "La situation au Brésil à Manaus en Amazonie pose effectivement interrogation et mérite une vigilance très particulière. Il s’agit d’une ville très peuplée qui a été très largement touchée par la première vague. Des études suite à cette première vague chez les donneurs de sang montrent qu’au moins 50 % de la population a développé une immunité naturelle vis-à-vis du virus COVID19 qui circulait à l’époque. Cette ville est actuellement touchée de plein fouet par une 2e vague encore plus importante avec ce nouveau variant Brésilien. Plusieurs hypothèses ont été émises par des chercheurs brésiliens, de San Francisco et de Londres dans un article publié dans le Lancet début février. Une des hypothèses tout à fait plausibles est celle d’un échappement de ce nouveau variant à l’immunité naturelle conférée par l’infection au virus COVID 19 initial. Cela nécessite des études complémentaires, notamment de regarder de plus près l’efficacité de l’immunité conférée par les vaccins actuels contre ce nouveau variant".
Par contre, la bonne nouvelle est que l’immunité développée quand on a été infecté par le virus qui circulait jusque-là reste efficace contre ce nouveau variant anglais précise le scientifique. De même l’immunité développée après l'injection des vaccins utilisés actuellement semble rester efficace pour lutter contre l’infection de ce nouveau variant anglais.
Pour le biologiste, Hervé Leturgie, les variants n'ont rien de nouveaux dans l'histoire des virus. " Un variant est une forme du virus présentant de légères modifications au niveau du code génétique. Autrement dit, plus un virus se réplique, plus il commet de petites erreurs en reproduisant son matériel génétique". Pour le scientifique, ces modifications peuvent être sans conséquence, délétère pour le virus ou apporter des fonctions différentes. "
En ce qui concerne les variants anglais et sud-africains, il y a une modification de la protéine du virus qui lui sert à s’accrocher aux cellules humaines et qui l’ont rendu plus contagieux mais pas plus virulent a priori. Personnellement, je ne parlerais pas d’ "intelligence", car ce sont des erreurs de recopiage qui un jour font surgir une forme mieux adaptée".
Pour le biologiste, ce type de scénario des variants a déjà existé. " Ce n’est pas nouveau. C’est la même histoire de l’évolution depuis Darwin. Dans le cas des virus, c’est une fréquence de reproduction tellement élevée que l’apparition de mutants mieux adaptés est plus fréquente. Toutefois, si on le laisse se répandre, comme certains pays l’on fait, nous aurons les mêmes résultats. Plus de cas entraîne plus de cas graves et plus de cas mortels. Il faut donc freiner le virus et accélérer sur les vaccinations".
Vers une injection tous les ans ?
Christophe Strady partage l'avis de Hervé Leturgie. Pour l'infectiologue, le développement d’une immunité vaccinale à grande échelle peut être une solution à cette crise. Par contre, il est trop tôt pour le dire, mais il n’est pas impossible à l’avenir d’avoir recours à des injections de rappel (à un rythme annuel ?) avec des nouveaux vaccins développés pour être encore plus efficace contre des nouveaux variants, potentiellement « résistants » aux vaccins actuels. La recherche en vaccinologie s’attèle déjà cette tâche pour avoir une réponse si besoin. "Il ne faut ni mésestimer ce virus COVID19 et ses capacités d’adaptation, ni désespérer de l’intelligence humaine et de ses capacités à trouver des solutions scientifiques".
Faudra-t-il se faire vacciner tous les ans ? Cela fait presqu'un an et ça continue, c'est long non ?
Oui, c’est long…je partage votre sentiment, reconnaît Christophe Strady. En 1890, un coronavirus de la même famille que le COVID19 avec des similitudes cliniques sur les descriptions de l’époque a été probablement à l’origine d’une pandémie avec des vagues sur 4 ans. Ensuite, il a vraisemblablement perdu en pathogénicité pour devenir un coronavirus saisonnier à l’origine de rhumes qui circulent toujours de nos jours sous le nom de souche OC43. Cette pandémie avait été nommée pandémie de grippe russe. Plusieurs études récentes nous laissent penser que cette pandémie était due à un coronavirus émergent en 1889 et non un virus grippal.
La situation actuelle est différente par les décisions de mesures barrières et de confinement prises dans de nombreux pays pour limiter la diffusion et donc limiter le fardeau de cette pandémie. L’immunité collective ne se développe donc pas à la même vitesse qu’à cette époque. Mais le développement d’une immunité vaccinale à grande échelle peut être une solution à cette crise. Par contre, il est trop tôt pour le dire, mais il n’est pas impossible à l’avenir d’avoir recours à des injections de rappel (à un rythme annuel ?) avec des nouveaux vaccins développés pour être encore plus efficace contre des nouveaux variants, potentiellement « résistants » aux vaccins actuels. La recherche en vaccinologie s’attele déjà cette tâche pour avoir une réponse si besoin. Il ne faut ni mésestimer ce virus COVID19 et ses capacités d’adaptation, ni désespérer de l’intelligence humaine et de ses capacités à trouver des solutions scientifiques.
Différents modes d’actions pour les vaccins
Face à la multitude de vaccins, ne risque-t-on pas de se sentir perdu ? Pour les vaccins, les deux scientifiques partagent le même avis. " Il existe différents modes d’actions pour les vaccins et notamment ceux contre la COVID19 . Il y a les vaccins à ARN messagers, les vaccins utilisant comme vecteur un virus inoffensif chez l’homme (adénovirus du chimpanzé). Ces deux types de vaccin permettent de coder la protéine spike du COVID19 qui sert au virus à s’accrocher sur les cellules respiratoires humaines et c’est cette protéine en particulier qui induit la réponse immunitaire donc les processus de défense de l’organisme. Il n’y a pas de virus entier dans le vaccin. Donc ce type de vaccin ne peut donner d’infection comme effet secondaire comme on peut l’entendre ou le voir dans les forums de discussion.
Il y a d’autres modes d’actions des vaccins comme les vaccins à virus entier inactivé. Donc il n’est pas étonnant , que les études de phase 3 de développement, visant à étudier l’efficacité vaccinale, donnent des résultats différents compte tenu des modes d’action différent. L’absence de recommandation par l’HAS du vaccin d’AstraZeneca pour les plus de 65 ans est la conséquence d’une proportion de sujet de plus de 65 ans insuffisante dans l’étude de phase 3. Il n’y a donc pas assez de données d’efficacité et de tolérance sur cette population pour faire une recommandation. Une étude complémentaire sur les plus de 65 ans est en cours avec ce vaccin".
Pour conclure, la 3e vague menace. Le confinement total serait il vraiment la meilleure des solutions en sachant que la fermeture des écoles, collèges et lycées ne se feraient pas ? En quoi la 3e vague sera-t-elle plus terrible dans ce contexte ?
Pour Christophe Strady, comme pour Hervé Leturgie, prédire l’avenir est difficile. "Pour l’instant, les chiffres au niveau de la Marne sont stables. Il est vrai que la progression du variant anglais plus contagieux laissent penser à une dégradation de la situation à venir. Est-ce que cette dégradation sera terrible ? " Je ne sais pas" admet Christophe Strady . Le terme est peut être un peu fort. Faut-il s’y préparer ? Probablement pensent les deux scientifiques .Selon eux, en effet des modélisations prenant en compte les variants, semblent prédire une dégradation de la situation début mars 2021. En outre ils ajoutent qu' il est très difficile de mesurer l’impact réel de chaque mesure (couvre-feu 20 h puis 18 h, fermeture commerce, fermeture des écoles, effet vacances scolaires). Toutes ces mesures se sont chevauchées les unes les autres, et il est difficile d’évaluer l’effet propre de chaque décision.
Le premier confinement strict a eu une efficacité incontestable pour casser la première vague notamment dans les régions les plus touchées. Néanmoins, la situation est différente actuellement. Les conséquences sociales et économiques sont là ainsi que l’usure psychologique de la population. Hervé Leturgie alerte aussi sur ces risques psychologiques. Néanmoins, ils attirent l'attention sur la charge de travail dans les hôpitaux. " Pour les soignants, il faut assurer la continuité des prises en charge des autres pathologies en absorbant la prise en charge des patients atteints par la COVID19 " rappellent-ils de concert.