Covid 19 : "la troisième dose, il ne faudrait pas forcément la faire en vaccin ARN", selon le professeur Jacque Cohen

Jacques Cohen, professeur émérite à l'URCA de Reims et immunologiste, répond à trois questions sur l'intérêt d'un rappel de la vaccination. D'autant qu'une cinquième vague menace le pays.

Médecin, scientifique, chercheur au laboratoire de recherche en nanosciences, professeur émérite de l’Université de Reims Champagne-Ardenne, immunologiste, Jacques Cohen a passé plusieurs dizaines d’années à l’étude des réponses immunes contre des virus comme l’EBV, l’HIV ou l’hépatite B. Il a également contribué à la lutte contre le sida et figure parmi les inventeurs du brevet de l’un de ses variants. Entretien.

 

Le Président de la République, Emmanuel Macron, s’est exprimé la semaine dernière. Il a conseillé aux Français, même presque obligé certains Français, à aller prendre une troisième dose de rappel. Est-ce qu'il est utile de faire une 3ème injection de vaccin Jacques Cohen?

Il y a des immunités plus ou moins durables selon les agents infectieux et selon les vaccins. Le covid actuel, avec ses variants, présente des agents infectieux qui demandent des rappels de vaccins, mais pas à toutes les populations. On constate que l’immunité vaccinale diminue, y compris pour les vaccins qui étaient présumés avoir la plus longue durée d’action, à savoir les ARN messager et, en conséquence, il faut des rappels. La question, c’est quelle population faut-il vacciner avec ce rappel ? Certainement, comme cela a été dit, les sujets de plus de 65 ans. On pourrait nuancer en commençant par regarder si les gens ont encore beaucoup, pas beaucoup ou pas du tout d’anticorps.

Mais on fonctionne, vous l’avez vu ces temps-ci, un peu comme autrefois à l’armée "la même chose pour tout le monde à l’entrée !"  On aurait pu tester les gens pour savoir s'ils avaient assez d'anticorps avant de les vacciner une 3ème fois. Mais on a préféré vacciner tout le monde à savoir ceux de plus de 65 ans et les personnes atteintes de comorbidités car plus à risque de faire une forme grave du covid. Le souci, c'est qu'en France, on ne dispose que de vaccins ARN qui ont des effets à risques. Il aurait mieux valu vacciner avec des vaccins à virus entier tué classique, comme celui de la polio de 1954. Ce qu'ont fait les Chinois qui ont injecté dès le plus jeune âge puisque les enfants sont vacccinés dès deux ans. Ils ont tellement peu d'enfants qu'ils ne prendraient pas le risque de les perdre si ce vaccin était dangereux. 

 

Est-il donc raisonnable en France de penser à vacciner les 5-11 ans ou de faire un rappel de 3ème dose pour les moins de 65 ans?

Pour les 50- 65 ans, il est préférable de faire un rappel puisque c'est une population qui risque de faire une forme grave. Probablement que le rappel sera proposé ensuite aux 30-50 ans. Mais cette tranche, comme celle des moins de 30 ans, devrait être vaccinée avec un vaccin à virus entier tué. Surtout les moins de 30 ans qui ont subi beaucoup trop d'effets secondaires des deux premières doses alors qu'ils se portaient bien avant ces vaccinations successives. On ne sait pas pourquoi, mais c'est surtout les garçons qui ont subi des effets secondaires. Les complications sont des myocardites, des péricardites ou encore des troubles du rythme cardiaque.

On a vacciné avec un certain nombre d’incidents. Mais si on met une troisième dose, là, c’est un peu tenter le diable, c’est-à-dire augmenter le taux d’effets secondaires. 

Jacques Cohen, professeur émérite à l'URCA de Reims et immunologiste

 

Ensuite, la question qui va se poser un peu plus largement c’est que l’on va devoir revacciner tous les gens qu’on a vaccinés, sinon, ce n’est pas très logique de l’avoir fait. Et là, on tombe sur un os. Comme vous le savez, j’avais dit que la vaccination des moins de 30 ans, en particulier des garçons avec les vaccins ARN, était d’un mauvais rapport qualité-prix et que ce n’était pas justifié, qu’il fallait focaliser sur les sujets à risque dans cette phase d’âge et sur tout le monde au-dessus de 30 ans. Egalement reprendre le problème des très vieux dont une bonne partie n’est pas vaccinée, et là, on a un sérieux trou. Mais ce qui est fait est fait.

Maintenant, on a vacciné avec un certain nombre d’incidents. Mais si on met une troisième dose, là, c’est un peu tenter le diable, c’est-à-dire augmenter le taux d’effets secondaires. Donc ce qu’il faut regarder, c’est qu’il faudrait vacciner effectivement largement, mais il ne faudrait pas forcément le faire en vaccin ARN. Les vaccins inertes, c’est-à-dire virus entier ou polypeptide Spike, existent ailleurs. Il y en a même un aux États-Unis qui n’a pas été autorisé sur place, mais qui l’est à l’export. Et puis surtout, il faut regarder ce qu’il se passe ailleurs.

Il y a chez nous une discussion pour savoir s’il faut vacciner les enfants à partir de 5 ans, etc. En Chine, la question ne se pose pas. Tout le monde est vacciné à partir de 2 ans en virus entier tué, un vaccin extrêmement classique qui a beaucoup moins d’incidents et d’effets secondaires que les autres. Ils ont quand même déjà dépassé le milliard d’individus vaccinés ainsi. Il faudra probablement une troisième dose. La question se pose de savoir s’il faut la faire avec la même chose ou avec un boost du ARN, c’est ce qu’ils sont en train de regarder avec cette 3ème dose.

Les Indiens ont aussi fabriqué plus d’un milliard de doses en virus entier tué, et je crois qu’ils ont vacciné à peu près à 500 millions de personnes. En zone occidentale, il n’y a, en virus entier tué, que le vaccin developpé par Valneva. Pendant très longtemps, on les a totalement snobés, c’est une boîte franco-autrichienne, je vous rappelle. Les Anglais en avait pris et finalement ont dit qu’ils avaient assez d’autres choses, que ce n’était plus la peine. Et enfin, l’Union européenne vient de passer un accord de précommande après une négociation qui a duré, excusez du peu, de janvier à novembre pour, je crois, 27 millions de doses en 2022 et autant plus tard. Ce n’est qu’un début, je pense, parce que cela va partir comme des petits pains.

Parce que c’est la solution pour pouvoir vacciner les jeunes, et que l’on devrait se remuer pour faire une nouvelle usine ou demander à des fabricants classiques qui ont de grosses capacités de production, comme Sanofi, de produire ce vaccin en masse. Donc là, j’espère que l’on va mettre le deuxième pas après le premier et que l’on va s’engager à disposer d’un vaccin tué qui permettra de revacciner les sujets fragiles, de vacciner et revacciner les jeunes à partir de 2 ans. Pour l’instant, on n’en est pas encore là au point de vue doses. La seule solution, c’est le vaccin ARN puisque c’est la seule chose dont on dispose, de façon regrettable, mais c’est ainsi. Il faut que les gens aient un rappel, donc une 3ème dose de façon à garder une bonne immunité.

Ce qui se dessine, c'est que nous n'allons pas vaincre ce virus tout de suite, contrairement à ce qui avait pu être pensé au début de la pandémie.  Il faudra bien deux ans encore. Ou un an si les nouveaux traitements fonctionnent.

 

Ces nouveaux traitements seront ils plus efficaces que la vaccination ?
Trois d'entre eux ont fait la preuve de leur efficacité, préventive dans deux cas, et curative des formes à oxygène pour la troisième pilule. Ce qui ne veut pas dire qu'on pourrait en donner à tout le monde dès demain. Nous n'avons pas encore assez de recul sur le bénéfice/risque de ces nouveaux traitements et de leurs effets secondaires. Mais leur efficacité démontrée encourage à les administrer dès que possible sur les sujets à risque de formes graves. 

Il y a le Molnupiravir Lagevrio (Merck), un inhibiteur ribonucleosidique interférant donc dans la synthèse du génome viral et comme tel gênant sa replication et ritonavir Paxlovid (Pfizer) C’est un inhibiteur de la protéase virale qui clive un précurseur polypeptidique en protéine active. Il est associé à un produit connu comme actif contre le virus HIV le ritonavir qui est un inhibiteur de protéase également mais qui ici semble utilisé pour allonger la durée de vie de l’antivirus spécifique du Sars-Cov2. Le ritonavir lui-même n’est pas dénué d’effets secondaires.

Dans les deux cas, il s’agit de simples comprimés à prendre deux fois par jour. L’efficacité revendiquée par le produit de Pfizer (89% d’évitement des formes graves) est légèrement supérieure à celle du produit de Merck, mais il s’agit d’un trompe l’œil car le produit Merck a été donné jusqu’à cinq jour après le début de l’infection dans son essai clinique tandis que le produit de Pfizer l’a été dans les trois premier jours seulement. L’utilisation réellement préventive n’est pas testée et ne peut l’être avant d’avoir assez de recul sur leurs effets secondaires.


Un troisième médicament qui est un produit curatif un peu inattendu : Festumatinib Tavalisse ( Rigel Pharmaceuticals). Il s’agit d’un produit développé pour bloquer la destruction des plaquettes sanguines dans la rate en visant une enzyme (SYK) des cellules spléniques spécialisées, comme traitement du purpura chronique auto-immun en limitant la thrombopénie. La surprise est que cet enzyme semble employé par les cellules immunes contribuant à la gravité du covid19. Son inhibition chez les patients requérant de l’oxygène leur éviterait la ventilation artificielle et accélérerait leur guérison. Le laboratoire producteur a demandé à la FDA des USA une autorisation de diffusion en ATU dès la fin d’une phase 2 d’un petit nombre de patients, ce que l’agence a refusé. Mais si les résultats initiaux spectaculaires sont confirmés sur un millier de patients en phase 3, le produit sera très vite largement utilisé.

D’autres produits d’autres firmes vont suivre. Et on peut espérer courant 2022 une situation de contrôle médicamenteux de l’épidémie. Dans l’épidémie de Covid 19, les vaccins ont permis des progrès initiaux significatifs. Et les médicaments qui vont arriver ont de bonnes chances de permettre de contrôler la Covid 19.

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