Le jeudi 4 mai, le restaurant inclusif L'ExtrA, attendu depuis 2020, ouvrira enfin ses portes et fait travailler des personnes handicapées. France 3 Champagne-Ardenne vous raconte en exclusivité les coulisses du premier service, qui avait eu lieu quelques semaines plus tôt.

L'ExtrA est un restaurant au concept novateur et inclusif. Il ouvrira à Reims (Marne) le jeudi 4 mai 2023. Le projet a mis quatre longues années à se monter (début en mars 2020, juste avant... le covid). Il s'agissait initialement d'une association (Les Amis du RB22) doublée ensuite d'une coopérative, où travaillent des personnes handicapées.

Le slogan? "Goûtez la différence." Il faut chercher du côté du personnel pour la trouver : sa majeure partie est constituée de personnes présentant un handicap mental (par exemple la trisomie 21) ou cognitif. L'établissement est équipé d'une rampa d'accès destinée aux personnes à mobilité réduite, et tout le rez-de-chaussée a été conçu pour qu'elles puissent s'y déplacer. L'ExtrA promeut aussi une cuisine éco-responsable.

Le restaurant ouvre pour la première fois au public le 4 mai (on a appris cette "bonne nouvelle qui met en joie" ce mardi 25 avril). Mais le premier vrai repas y a été servi trois semaines plus tôt, aux partenaires du projet. C'était le mardi 4 avril, et France 3 Champagne-Ardenne était présente dans les coulisses : afin de vous montrer, vous raconter avec quel sérieux et quelle bonne humeur le personnel s'est préparé à servir sa nouvelle clientèle.

Motiver les troupes

Il est 10h00. L'équipe (14 emplois en CDI créés pour l'occasion), véritable brigade extraordinaire, est là depuis longtemps. Elle a bénéficié d'une solide formation de neuf mois (360 heures) auprès d'un groupement d'établissements pour adultes (Greta) et d'entraînements et de mises en situation lors de divers évènements, notamment au sein de maisons de chamapgne partenaires. Elle écoute attentivement les instructions de Gonzague Peugnet. Il parle souvent : normal, c'est le co-fondateur de ce restaurant, de cette "maison spéciale. On est bien ici ?" Et la serveuse Céline de répondre qu'"on y est même très bien"

Le discours devant motiver les troupes. Clairement, elles le sont. La détermination et l'enthousiasme se lisent sur tous les visages. Tout comme leur prénom, inscrit en grosses lettres blanches au-dessus du logo du restaurant floqué sur leurs tabliers. Ici, on peut s'adresser au personnel via ce prénom. Pour plus de "chaleur"

Tout le monde est réuni derrière le bar. "Il faut toujours que le client puisse voir les boissons non-alcoolisées au bar." Il sort les petites bouteilles de jus de fruits d'un compartiment, et les fait lire à voix haute par un serveur. Ceci fait, on s'aperçoit que le lave-verres fait ressortir des flûtes recouvertes de vapeur. "Ça devrait être tout sec, normalement..." L'un des petits tracas accompagnant toujours l'ouverture d'un restaurant... Et on continue ensuite à parler boissons. Alcoolisées cette fois. "On a du poisson. On le sert avec du vin blanc, ou du vin rouge ?" Toute l'équipe est invitée à répondre. Chacun et chacune a son importance. Leurs liens sont forts.

Tout doit être prêt

"On a six tables à dresser." Et voilà Christopher qui emporte les verres, Yannick les couverts, et Céline les serviettes... Tout ceci va se retrouver placé avec grand soin sur les tables. Ce jour-là, seule la moitié des tables doit accueillir des gens.

Christopher est désigné pour montrer à nouveau aux autres comment on dresse. "On met les couverts à gauche ou à droite ? Et l'assiette ?" Tout le monde observe attentivement, puis l'imite avec sa propre table. Des QR codes plastifiés, pour les menus, sont finalement ajoutés en dernier. Des chiffres assez gros ont été imprimés pour que l'équipe puisse distinguer les différentes tables d'un seul coup d'oeil.

Les tables sont prêtes, il faut maintenant répéter l'accueil. Céline, très enthousiaste, joue le rôle de la cliente. Son comparse l'accueille avec diligence. "Bienvenue à l'ExtrA. Vous avez une réservation ?" Il l'invite à la suivre. Puis on change de binôme. "L'accueil est très important", insiste Gonzague.

L'exercice est poussé jusqu'à la commande d'une bière. Une équipe de télévision de France 3 Champagne-Ardenne (qu'on aperçoit parfois sur les photos) est présente en plus de celle du Web (l'auteur du présent article), et se demande "si c'est une vraie bière"

On ne fait rien à moitié. Ici, c'est un vrai restaurant.

Gonzague, co-fondateur de l'ExtrA

"Pourquoi elle serait fausse", rétorque avec enthousiasme Gonzague. "On ne fait pas semblant ici. On ne fait rien à moitié. Ici, c'est un vrai restaurant." Et la splendide tireuse cuivrée présente derrière le comptoir semble bien trop réelle pour produire du chiqué. Pendant ce temps, le ballet des serveurs et serveuses poursuit son oeuvre. On remarque vite que Yannick est un peu facétieux. La bonne humeur règne dans cette salle. 

La débrouillardise aussi. Gonzague vient de se rendre compte que les salières et poivrières sont restées dans sa voiture. Il sort pour aller les récupérer. Il reste une bonne heure avant le coup d'envoi. Pratique, ça permet d'aller poser des questions à droite et à gauche.

L'entrain en maître-mot

Céline, serveuse en salle

"Tout se passe très bien. La première fois que je suis rentrée ici, j'ai trouvé ça très beau. Aujourd'hui, c'est le premier jour, mais pas de stress [elle sourit; ndlr]." Avant de déclamer le menu du jour, qu'elle semble avoir appris par coeur. Sa maman fera partie des convives. Et nul doute qu'elle sera très fière.

Christopher, serveur en salle

"Ce qui est important, c'est la précision. J'ai fait toutes les vérifications pour que tout soit parfait." Le jeune homme a déjà de la bouteille : il a travaillé dans la restauration auparavant. Et ce qu'il vit aujourd'hui le transcende. "Ce restaurant, il est bien. Toute l'équipe l'aime. Et on va donner envie au client, on va lui offrir une bonne dégustation." 

Yannick, serveur en salle

Yannick est intrigué par la perche de l'opérateur de prise de son (OPS) de France 3, et essaye de se saisir de la moumoute qui protège la partie micro. L'entretien peut ensuite commencer. "On a répété l'arrivée des invités. C'est important. On a envie de bien faire pour ces gens venus se régaler. Ce restaurant qui va enfin ouvrir, il est magnifique. C'est un endroit super, on y met plein d'énergie." Il apprécie particulièrement de pouvoir parler aux gens. 

Jérémie, serveur en charge du bar

"J'ai rejoint l'équipe depuis octobre. L'équipe est super, extraordinaire. Il y a beaucoup de professionnalisme, une très bonne entente; je me suis bien intégré, en cuisine comme en salle. J'ai déjà travaillé dans divers restaurants; j'ai choisi L'ExtrA car j'ai déjà travaillé avec des gens qui travaillent aujourd'hui ici. Ça m'a donné envie de postuler."

Il se sent bien en ce premier jour d'ouverture des portes du restaurant à une poignée de personnes privilégiées. "Je suis enthousiaste de commencer à travailler ici." S'il tient le bar aujourd'hui, il n'a pas d'affectation particulière et peut être amené à tout faire. 

Gonzague, co-fondateur

"On est très impatient. C'est une consécration pour nous, et on a hâte de régaler les clients au coeur du Boulingrin." Après un temps de rodage, il voit primer "un enthousiasme à la puissance dix. C'est un changement de vie pour eux, énorme, et pour nous aussi. Tout est répété, pour bien s'approprier ce qui est va être proposé au client. Quand il arrive, tout est prêt. Tout se fait au naturel. Comme vous et moi, ils vont progresser chaque jour, car on n'a jamais vraiment fini de progresser."

Il a été capital pour nous d'embarquer un territoire dans ce projet, d'embarquer chacun quelles que soient ses compétences.

Gonzague Peugnet, co-fondateur de L'ExtrA

Il tient aussi à mettre en avant le concept de "gastronomie autrement. C'est une manière de travailler qui permet d'offrir des plats de très grande qualité. Pour que ce soit goûteux, le chef travaille avec des produits bruts. Ici, on essaie au maximum de travailler avec des producteurs locaux [des produits viennent directement du marché; ndlr]. Même le torréfacteur de café est rémois; notre brasseur aussi. Il a été capital pour nous d'embarquer un territoire dans ce projet, d'embarquer chacun quelles que soient ses compétences. C'est ainsi qu'on l'a rendu crédible."

Matthieu, co-fondateur

"Je le trouve très beau, ce restaurant. C'est le fruit d'un travail de longue haleine. Il reflète bien nos valeurs : inclusion, travail d'équipe et sens du collectif. Et il est très beau aussi par les personnes qui s'y trouvent. L'équipe ne fait pas partie du décor, même si elle en est part intégrante : elle apporte la patte humaine. C'est la différence, au milieu de nous, et on est tous ensemble."

Le premier déjeuner a été mangé par l'équipe

L'employé d'un service de blanchisserie vient chercher les nappes et serviettes sales. Sauf qu'il n'y en a pas encore, le restaurant débute à peine son premier jour. L'homme s'en repart, à la fois penaud et amusé. Pas besoin de livraison de pain non plus : un chef-pâtissier a rejoint l'équipe il y a quelques jours. Une belle dynamique s'est mise en place.

Pendant ce temps, du côté opposé à l'entrée, une grande table rectangulaire a été dressée. C'est là où le personnel mange avant le service, "afin d'éviter l'hypoglycémie", confie Gonzague. Au menu de ce premier déjeuner d'équipe, côté coulisses : de l'agneau et des pâtes. Tout le monde se régale. "Tu appréhendes ?", demande quelqu'un avec tendresse à son voisin.

La fin de ce "premier repas de L'ExtrA" est l'occasion d'un dernier tour de table mené par Gonzague. Il demande à chacun et chacune ce qu'il a pensé de ce déjeuner. "Succulent." "Mémorable." "Formidable." Tout le dictionnaire des synonymes y passe.

"C'est le premier d'une longue série" fait office de conclusion. "On a fait le plein d'énergie", reprend Gonzague. "Alors il est maintenant temps de la partager". Le message est bien passé.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le personnel s'éparpille comme une volée de moineau. Déjà, les personnalités attendues pour cette pré-ouverture commencent à se présenter sur le seuil. Il faut les accueillir.

Et dans les cuisines, on recommence à s'activer. Elles se trouvent à l'étage, et la desserte se fait avec facilité via un ingénieux monte-plats. Dans les étages, on trouve aussi la future grande salle privatisable, où les travaux se terminent, et des locaux destinés au bien-être du personnel. En parlant de leur bien-être, l'acoustique des lieux a été soigneusement étudiée pour une ambiance feutrée et sans stress.

Et en plus, c'est un beau lieu

Si l'on a présenté les personnes chaleureuses qui occupent les lieux, lesdits lieux n'ont pas encore été décrits avec soin. Ils sont pourtant presque un personnage à part entière de cette belle histoire. Imaginez-vous un superbe bâtiment Art-Déco (comme il y en a beaucoup dans le quartier Boulingrin environnant, voir sur la carte ci-dessous).

Il est percé de très larges baies vitrées. La salle est très lumineuse, dotée d'un mobilier en bois clair et à pieds dorés (les tables disposent de surfaces recyclées à base d'anciens parquets). Au sol, une ancienne mosaïque d'époque. Et au centre, la sculpture d'un immense arbre en bois, portant sur ses branches de petites lampes faisant écho aux bulles de champagne (des feuillages y seront ultérieurement rajoutés). Sur la gauche, au fond, même la décoration des toilettes n'a rien laissé au hasard (un miroir déformant y sera bientôt installé "car on est tous différents mais on est tous pareils"). À l'étage, une salle privatisable est en cours de finalisation : pratique pour accueillir les mariages, la mairie étant située à 300 mètres. Deux noms sont cités : Olivier Lémont et Laurence Klopp, de l'agence d'architectes Lingat. L'investissement (qui n'est pas qu'immobilier ou architectural) s'élève à plus de 800.000 euros.

La clientèle a fait son entrée, et fait déjà pleuvoir les éloges. "C'est très joli." "Ils ont gardé ce côté ancien des Bâtiments de France..." "Il va porter bonheur, ce restaurant." Quelqu'un demande à ce que le rideau en métal entre la plonge et le bar soit fermé : on voit tout derrière et on préfère que les gens s'extasient sur le décor plutôt que les robinets à haute pression (vidéo ci-dessous)...

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Premier accueil à L'ExtrA ©Vincent Ballester, France Télévisions

France 3 a testé le premier repas destiné à la clientèle

France 3 Champagne-Ardenne a pu s'asseoir sur l'un des sièges et jouer les clients. Et ça commence fort : l'un des clients a éjecté son verre de sa table sans le faire exprès. C'est du verre blanc, il paraît que ça porte bonheur... Et c'est le co-fondateur Matthieu qui est chargé de ramasser, les serveurs et serveuses ayant déjà suffisamment à faire. 

Après les accueils et les placements, Céline s'enquit auprès des convives de la table du coin sur la qualité dudit accueil. "Oh ça s'est très bien passé." Déjà, Yannick arrive avec un plateau garni d'apéritifs : une sorte de mini-crêpe avec une effeuillade de radis. C'est joli.

Gonzague en profite pour faire le discours d'inauguration - arrosé au champagne - et il évoque "un grand début. On est dans la gastronomie autrement. Et ce n'est pas un élément de langage." À un moment, on entend Yannick confier que son rêve se réalise aujourd'hui.

Les personnes présentes (à table) sont remerciées pour ce qu'elles ont pu apporter au projet : bricolage, réseautage, financement, communication... "Chacun, chacune d'entre vous, avez été déterminants dans ce projet à un moment donné." Applaudissements.

Horizons différents, mais un seul objectif : l'ouverture de L'ExtrA

Les convives en question discutent avec entrain. Tout le monde paraît se connaître (y compris les serveurs et serveuses), donnant l'impression d'une grande famille. Le monsieur qui a cassé son verre a gagné entre temps une voisine d'en face. On leur propose de rapprocher leur table pour en former une grande. "Tu es sûre que je devrais prendre le risque ? J'ai quand même déjà cassé un verre."

Pourquoi donc ces gens en particulier ? Ils ont aidé à faire connaître le projet, rassemblé des fonds, ou encore organisé des rencontres entre l'équipe et des publics variés (scolaires par exemple). 

Paul, en diagonale, a de son ôté directement géré le bricolage du deuxième étage de L'ExtrA. "J'ai fait l'aménagement, qui n'était pas du ressort des architectes. Il y a des bureaux, un vestiaire pour le personnel..." Du bien beau monde, d'horizons différents. "Et vous, vous êtes qui ?", s'amuse le voisin de Claire, étonné par tant de curiosité de la part du journaliste de France 3 (qui s'est, disons-le, assez sommairement présenté après s'être installé comme un cheveu sur la soupe).

Place au délice

Deux entrées sont proposées. Il y a le choix entre un oeuf réputé parfait, et des gnocchis fourrés au parmesan et au jambon de Reims (on va se les voir proposer à deux reprises, ce qui amuse l'assemblée). Les premiers remportent le plus de suffrages. Un savant ballet se met en place : Yannick apporte ce qui a été commandé, Christopher tend les cuillères, Jérémy ramène des verres, et Céline ne manque jamais d'attention pour chaque convive à qui elle remet lesdits verres. On lui confirme que "c'est super bon". On comprend mieux pourquoi la médaille du travail a été remise à une partie du personnel, qui travaille parfois depuis longtemps  (Céline, Yannick, quadragénaires, après déjà 20 ans d'exercice).

Les gnocchis, absolument succulents (la neutralité journalistique fait long feu devant une telle entrée), sont apportés par Christopher, un peu après les oeufs. Un convive rappelle que le chef est étoilé, ceci expliquant sans doute cela. Jérémie suit, versant le vin avec application (France 3 est à l'eau tout le repas, on vous rassure). "Vous voulez un chardonnay ?" Notons que la carte des vins est limitée, mais que neuf champagnes (issus des neuf maisons de champagne mécènes du projet) sont à la carte selon le jour. Preuve que les gnocchis sont divins, le convive d'en face sauce son assiette (nous aussi). Il doit faire vite avant que Christopher ne débarrasse. 

Nouveau tour de table. Une remarque qui revient : "tout le monde sourit naturellement. Rien n'est forcé. Ça se sent." La voisine est dithyrambique. "Je suis très très heureuse. Pour plein de raisons : d'abord parce que c'est bon et qu'on se régale, parce qu'on voit ce rêve aboutir. C'est extraordinaire; le restaurant porte bien son nom. Et je trouve que cette équipe est formidable, très sympathique, accueillante, agréable. On se sent un peu comme chez nous." 

Et il est déjà l'heure de partir. Mais au menu pour les convives : épaule d'agneau confite au foin ou dos de lieu noir aux salsifis sauce soubise, avec assiette du jardin s'il vous plaît (plats à 22 euros). De délicieux desserts, à savoir panacotta d'ananas rôti avec sorbet au coco, ou crème de carambar façon liégeoise avec son chouchou de cacahuètes caramélisées (12 euros, un moins que l'entrée). Pour un prix total de 35 euros, (entrée, plat, dessert) c'est prometteur pour un restaurant qui l'est bien plus encore. Et sachez-le, la formule plat et dessert ou entrée et plat est à 26 euros.

La réservation peut se faire en ligne. Le restaurant ouvre du mardi au samedi pour le midi, mais aussi du jeudi au samedi pour le soir. Quant à la carte, elle sera régulièrement renouvelée à partir du 4 mai. De quoi vous impressionner, car l'équipe savoure "le bonheur donner enfin le meilleur d'elle-même". L'ExtrA n'y manquera pas. 

À revoir :

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