Enquête sur la start-up rémoise InnovHealth : le doute grandissant des actionnaires

InnovHealth est une start-up née en 2016, créée par un interne en urologie du CHU de Reims Adnan El Bakri. Son projet : le PassCare, une carte de santé connectée partout dans le monde. Un projet auxquels salariés et actionnaires croyaient, avant que plusieurs faits suscitent le doute. 

 

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"On doit prendre des risques pour que ce monsieur arrête de détruire des gens… ". Elles sont une quinzaine de personnes, anciens salariés, prestataires, agents, actionnaires, responsables d’entreprises, à témoigner. Beaucoup resteront anonymes. "Il a fait signer des clauses de confidentialité à tout le monde, déclare l’un d’entre eux.  Il a donc le pouvoir d’attaquer et de mettre les gens en difficulté judiciaire. C’est une menace vraiment réelle. Tout est verrouillé dans tous les sens". Il, c’est le président de la start up InnovSanté, Adnan El Bakri. Une entreprise spécialisée dans la e-santé basée à Reims et créée en 2016. Une société aujourd’hui attaquée en justice par plus d’une dizaine d’anciens salariés, de prestataires et d’apporteurs d’affaires. Prud’hommes et autres juridictions compétentes ont été saisis.

L’autre particularité d’InnovSanté est la "durée de vie" des salariés dans l’entreprise. Certains ont tenu quelques années, d’autres ne sont restés que quelques mois. Très loin de ce qui fait habituellement la force d’une start-up, c’est-à-dire la stabilité de l’équipe fondatrice aidées des premiers salariés. Où travail acharné en toute confiance, dans une ambiance de camaraderie sont les priorités. "Tout le monde est normalement plus ou moins actionnaires et tout le monde peut participer à la réussite financière de l’opération, explique un actionnaire. Alors que là, c’est tout pour moi et rien pour les autres".

La co-fondatrice part au bout de 4 mois

Dès le départ, certains décident de quitter l'entreprise. C’est le cas de Karine Gouby-Ollivier. Co-fondatrice de InnovSanté avec Adnan El Bakri et un infirmier du CHU de Reims. "Je suis partie avant que cela ne devienne douloureux. Je ne suis pas dans la même position que tous les anciens salariés car je ne l’étais pas. Je suis intervenue dans la genèse de ce projet". A l’époque, Karine est fournisseur du CHU. Elle vend du matériel médico-chirurgical. "Je connaissais Adnan El Bakri en tant qu’interne en urologie. C’était quelqu’un avec qui je m’entendais bien. J’avais ma société KG Consulting et on m’avait proposé de distribuer une carte dans l’esprit du PassCare. Une carte développée en Suisse". Elle en parle à Adnan El Bakri qui trouve cela intéressant et ils réfléchissent ensemble à ce projet. "On s’est dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire. Nous pourrions monter une société, ça partait d’un bon sentiment". C’est comme cela que tout a commencé. Mais très vite, la co-fondatrice d’InnovSanté s‘interroge sur la façon de faire de son associé.

 

Quand on vend  la peau de l’ours avant de l’avoir tué et que l’on fait de fausses déclarations, au niveau de l’éthique, ça ne passe pas.

Karine Gouby-Ollivier, co-fondatrice d'InnovSanté

 

"Quand il a été spécifié que la solution était mise en expérimentation aux CHU de Reims ce n’était pas vrai. Qu’il y avait des tractations avec l’assurance maladie, ou que nous avions été reçus au Ministère de la Santé ce n’était pas vrai". Le 14 juin 2016 le journal les Echos Entrepreneur parle de: "(…) HospiNote, actuellement en test dans trois services du CHU (…) ", Le 24 juillet 2016 l’hebdomadaire L’Union écrit : "Le trio à la tête d’InnovSanté a su convaincre le gouvernement – ils se sont rendus au ministère de la Santé – pour faire sauter les derniers verrous administratifs". "A un moment il faut savoir ce que l’on veut, reprend Karine Gouby-Ollivier. Soit on part dans le mensonge et on devient complice, soit on dit stop. Moi j’ai dit stop. Je suis partie au bout de 4 mois. Je ne pouvais pas me permettre, en tant que fondateur, de dire que je ne savais pas. Il a donc fallu que je prenne une décision. J’ai essayé de le cadrer, parce que je suis plus âgée que lui, mais c’est quelqu’un qui n’écoute pas".

Karine Gouby-Ollivier avait alors 20 ans d’expérience dans le milieu médico-chirurgical. Elle est d’ailleurs restée dans le domaine médical et travaille aujourd’hui pour un pôle de compétitivité santé. Le 1er août 2016, elle cède ses parts (33%) à Adnan El Bakri et quitte l’entreprise.

 

Eloquent et brillant

"C’est quelqu’un d’extrêmement brillant, mais c’est aussi son talon d’Achille", dira encore Karine Gouby-Ollivier rejoint, dans ses propos, par de nombreuses personnes. "Il a un charisme incroyable. Je l’ai vu faire des conférences et tout le monde se lève pour applaudir à la fin. Ce n’est pas donné à tout le monde", expliquent encore des actionnaires.

C’est aussi ce qui a séduit Christophe Legros, ancien community manager de l’entreprise. La rencontre entre les deux hommes se fait d’abord par réseau social interposé. "Un jeune étudiant en médecine poste un jour, sur Facebook, une théorie avec un protocole expérimental et je me suis juste permis de réfuter ce qu’il avançait, explique Christophe Legros.  C’était Adnan El Bakri. Ce fut le cas à plusieurs reprises jusqu’au jour où son associée m’appelle pour me demander de participer à un projet". Le 16 janvier 2016, Christophe se retrouve au Café du Palais à Reims.

 

Je rencontre alors un jeune gamin, un jeune étudiant avec de la conviction plein les tripes, motivé, énergique, déterminé. A n’en pas douter intelligent.

Christophe Legros, ancien salarié d'InnovHealth

 

Ce jour-là étaient présents : anesthésistes, infirmiers, professeurs… Magasinier dans une coopérative agricole, Christophe se demande ce qu’il fait là. Mais Adnan El Bakri a repéré le potentiel de cet homme au parcours atypique, riche de formations. Etudes en agriculture, en psychologie, spécialisé en neuropsychologie et passionné par les neurosciences et le neuro-marketing et parlant notamment l’anglais couramment. "Adnan me dit : quand je vois ton CV, les relations presse est-ce que cela te bote", raconte Christophe Legros. Et pendant plus de deux ans, il s’engage bénévolement dans l’entreprise. "J’ai découvert ce gars, au départ vachement modeste par rapport à son niveau intellectuel, et énormément accessible", reprend-il.

Christophe consacre de plus en plus d’heures à ce projet de passeport numérique. "J’y croyais fortement. Il y avait un truc à faire. Il fallait foncer. Devant moi, j’avais un étudiant en médecine qui me disait, moi je veux faire comme Steeve Jobs. Il nous faut des mecs comme ça dans l’univers".

 

"J’aurais donné ma vie pour lui "

Christophe a donc en charge la communication sur les réseaux sociaux.  "J’ai monté une communauté de folie. On avait quand même atteint une population assez conséquente à la fin. J’y croyais, cela m’extirpait de mon quotidien à la coopérative céréalière". Puis l’entreprise lui propose un contrat à durée déterminée de 6 mois, une opportunité pour Christophe qui part en congés sans solde pour intégrer véritablement la start-up InnovSanté. Une promesse d’embauche définitive à la clé.

Christophe travaille beaucoup. "Je passais mes journées au boulot mais aussi mes nuits à surveiller les réseaux sociaux… Il m’a dit qu’il voulait des pages "propres". Puis, selon Christophe, l’engrenage se serait enclenché. "On m’a demandé de tricher à des concours. C’est allé vachement loin. Je le faisais, je le croyais parce que j’étais à fond dans le produit parce qu’en fait le monde entier à besoin de ce carnet de santé numérique. Quand la presse me demandait telle ou telle chose, j’arrondissais les angles. J’étais associé, responsable de communication avec la promesse de devenir directeur de la communication avec un poste créé pour moi à Boston pour monter une communauté aux Etats-Unis".

Fin décembre 2018, Christophe apprend que son CDI ne pourra pas se signer car la levée de fond envisagée par l’entreprise n’a pu se réaliser. Par contre un 2e CDD est envisagé, mais, cette fois, il faut qu’il démissionne de la coopérative où il est encore salarié. Mais, "deux jours après je reçois un mail destructeur de InnovSanté, affirme Christophe, me disant que j’étais totalement incompétent, que je n’avais absolument pas satisfait les attentes. Il se voyait obliger de ne pas renouveler mon contrat". Christophe est encore très ému lorsqu’il évoque ce moment-là. "Ça me touche énormément, dit-il. Je n’ai jamais vu quelqu’un détruire autant de personnes".

J’aurais donné ma vie pour lui. Là, j’ai pris un vaccin pour au moins cent ans. Et j’ai découvert quelqu’un pour qui la seule règle, c’est qu’il n’y a pas de règle.

Christophe Legros, ancien community manager de InnovHealth

 

Christophe se sent encore coupable d’avoir menti pour le "bien" de l’entreprise. Toujours en arrêt de travail, il est en reconversion professionnelle et tente de se reconstruire un avenir.

Le témoignage de Christophe n’est pas le seul. D’autres anciens salariés évoquent l’inhumanité dans la gestion des équipes. "Il consomme les gens comme il consommerait du papier ou des kleenex, évoque cette personne. On lui sert d’alibi pour acquérir un certain marché et dès qu’il n’a plus besoin, on est jeté comme un mal propre". Un autre ajoute : "Ce monsieur est totalement hors de contrôle et capable de tout. Voir partir des gens de valeur, voir arriver d’autres à qui l’on faisait de belles promesses et au final se faire mettre à la porte pour des motifs fallacieux, c’est un vrai gâchis humain. Indirectement je participais à tout cela et j’en ai eu marre de ces mensonges et de ce cinéma. Ce n’est pas du tout ma façon de voir les choses". "Dans le management au quotidien c’était catastrophique. Aucun savoir-faire. Tout dans l’humiliation, explique encore cette personne. Son créateur a une faculté exceptionnelle en terme de communication et de séduction. Le top niveau. Ce qui permet de gagner des prix, de séduire les investisseurs, des gens comme moi aussi. C’est quelqu’un qui commence et ne finit jamais rien".

 

Christophe Lambert en parrain prestigieux

En avril 2016, la start-up s’installe dans l’incubateur rémois InnovAct. L’entreprise vient de décrocher le « prix start-up de l’année » organisé par le magazine collaboratif Bonjour Idée. La remise des prix dans les locaux d’Engie à Paris-La Défense permet à l’entreprise de récolter 5000 euros au passage. Le début d’une visibilité. InnovSanté ne cessera ensuite de communiquer. Le 12 janvier 2018, France3 Champagne-Ardenne réalise un reportage vantant les mérites d’"un passeport de santé créé pour le patient et par le patient. Une petite révolution, peut-on entendre. Une success story rémoise grâce au concours d’InnovAct incubateur de start-up".

 

 

Le 29 mars 2018, lors de la première grande journée de communication de InnovSanté, un parrain prestigieux vient rejoindre l’équipe. Christophe Lambert, acteur, réalisateur et homme d’affaires est désormais associé à l’avenir de l’entreprise. Il en devient actionnaire en échange de ces prestations d’image et de la mise à disposition d’une partie de son réseau, comme le précisera Adnan El Bakri dans Monaco Hebdo. Ce 29 mars 2018, Christophe Lambert est aussi l'invité du journal de France3 Champagne-Ardenne.

Ca fait 25 ans que je fais des affaires et le PassCare c’est le passeport mondial pour la vie. Ce qui m’a plu c’est le côté humain de cette start up, c’est le côté humain d’Adnan et c’est le côté humain du PassCare.

Christophe Lambert, actionnaire d'InnovSanté, en mars 2018

 

Adnan El Bakri enchaine les interviews, Les Echos Entrepreneurs en avril 2018, Europe1 en septembre, Entreprendre en mars 2019 notamment. Il est souvent interrogé comme "docteur El Bakri" ou "chirurgien en urologie". Il soutiendra sa thèse le 29 novembre 2019 à Reims, y invitant d’ailleurs les journalistes. Il donnera ensuite une conférence de presse en présence de l’acteur et homme d’affaire Christophe Lambert. Une thèse de doctorat en médecine qui lui permet de s’inscrire au conseil national de l’ordre des médecins.

 

Communication incisive et levée de fonds

En 2018 et 2019, InnovSanté lève ses premiers fonds. La communication paye et plus de 3 millions d'euros sont ainsi collectés, rejoints par près d’un million d’emprunts accordés notamment par la BPI France, la banque publique d'investissement. La start-up va pouvoir ainsi développer son produit phare le Passcare. Sur son site internet, la start-up décrit son produit comme "le premier passeport de santé numérique intelligent, universel et confidentiel. Il permet à ses utilisateurs de devenir propriétaires de leurs données et de les partager librement dans un cadre confidentiel. PassCare est un socle digital qui simplifie les relations entre professionnels de santé et patients".

 

 

"Il ne m’a pas fallu longtemps pour m’apercevoir qu’il y avait plein de choses pas acceptables, livre cet ancien salarié. Comme des annonces jamais suivies des faits. Il avait des pratiques commerciales qui n’en étaient pas, qui étaient mensongères. Il rencontrait toujours les meilleurs contacts du monde mais ça ne se concrétisait jamais par un contrat".

Sur le chemin d’Adnan El Bakri se présente celui qui deviendra son responsable Afrique. Son nom ne sera pas cité, cet ancien salarié ne souhaitant plus être associé à l’entreprise InnovSanté. "Je cherchais à l’époque, sur internet, des entreprises leaders dans le domaine de la e-santé", explique ce dernier.

 

Je tombe sur le PassCare et cette entreprise qui faisait beaucoup de communication. Une communication très agressive et très forte j’ai donc pensé à ce moment-là que c’était une multinationale. 

L'ancien responsable Afrique d'InnovSanté

 

Le contact est établi et Adnan El Bakri aurait été particulièrement intéressé par cette personne qui allait pouvoir lui ouvrir les portes de l’économie africaine. "Les marchés africains sont des marchés en devenir, très porteurs avec des besoins réels qui touchent toute les populations", reprend l’ancien responsable Afrique. Sa force : son réseau très important auprès de plusieurs gouvernements africains. "On travaille sur un certain nombre de pays et deux sortent du lot : le Gabon et la Côte d’Ivoire où j’ai des contacts très forts", reprend-il. Avec la Côte d’Ivoire un "Takecare Show africain" sera organisé à Abidjan le 16 octobre 2019 avec un parterre d’invités et la présence du parrain Christophe Lambert et d’Anne Lauvergeon, ancienne patronne d’Aréva, devenue actionnaire d’InnovSanté. Le programme, que nous nous sommes procurés, annonçait la présence des ministres de la santé ivoirien, sénégalais, guinéen, de la république démocratique du Congo et du Rwanda.

 

 

Une responsable d’agence de communication est ainsi approchée pour l’organisation de ce grand show.  "Je suis allée à Reims. J’ai trouvé que le président Adnan El Bakri était un garçon séduisant, malin. Il croyait vraiment en son produit et il voulait vraiment réussir, explique cette femme voulant aussi garder l'anonymat. J’ai fait un premier voyage en Côte d’Ivoire, j’ai fait tous mes repérages, j’ai choisi l’hôtel, la déco de la salle, le prestataire et je suis revenue en France. J’étais sensée être payée sur les sponsors. J’ai trouvé Orange Côte d’Ivoire. En fait je n’ai jamais été payée. Le petit, il a su nous embrigader dans son truc…  Je n’ai pas été rémunérée pour tout le travail que j’ai fait donc je me suis gentiment retirée. C’était beaucoup d’esbroufe, plus de bruit que de vérité".

 

Le PassCare rémois : pas en Côte d’Ivoire ni même au Gabon

"Le Gabon est le seul pays à être allé un peu plus loin, reprend l’ancien responsable Afrique. InnovSanté a signé à MOU (Mémorandum of understanding soit un protocole d’accord) avec la CNAMGS (Caisse d’assurance de garantie sociale)". Une étude de faisabilité a donc été lancée et financée par la CNAMGS du Gabon à hauteur de 2.000 euros. Objectif : savoir si le PassCare pouvait correspondre à leurs besoins. "Un MOU n’est pas un contrat, précise l’ancien responsable Afrique. J’entreprends l’étude détaillée avec le pays, et très vite je m’aperçois que l’outil n’est pas prêt du tout. C’est là ou l’arnaque arrive, pourtant la société avait évoqué le PassCare comme étant vendable. J’ai essayé de convaincre l’équipe de direction de compléter, de développer très rapidement les fonctionnalités manquantes. Mais on m’a répondu qu’il n’y avait pas de moyens et que ce n’était pas une priorité". Sans priorité, ni moyen, ce responsable décide d’arrêter sa collaboration en mai 2020, 4 mois après avoir débuté dans l’entreprise.

La directrice commerciale du secteur Afrique aurait elle aussi subi le même sort. Dans un courrier de mise en demeure adressé par son avocate à la société InnovSanté et que nous nous sommes fournis, il est écrit : "(…) un dossier laisse apparaître que votre société a eu recours à ses services (de la responsable commerciale) afin de faciliter la mise en place du projet « Pass Care » que vous avez initié en Côte-d’Ivoire. Il n’est pas contestable qu’à votre demande, ma cliente a réalisé un certain nombre de prestations de services pour votre compte. Vous l’avez d’ailleurs présentée officiellement à de nombreuses personnalités publiques (locales et internationales) comme votre directrice commerciale". Aucun contrat de travail n’aurait jamais été signé, cette personne devant être payée sur présentation de factures. Des factures de près de 20.000 euros pour l’année 2019 qui n’auraient jamais été honorées. La mise en demeure adressée à Innov Santé en janvier 2020 n’aurait pas abouti à ce jour.

 

Un marché Suisse qui aurait pu être florissant

Moïse Gerson a signé en 2018 un accord avec InnovSanté pour devenir apporteur d’affaires en France et en Europe et agent exclusif en Suisse. "Pour la partie Suisse j’ai travaillé le marché pour amener le PassCare, connaitre qu’elles étaient les attentes, les acteurs, comment faire notre place. Et comment développer le produit pour qu’il puisse répondre aux lois suisses", explique-t-il. Toute une étude est ainsi réalisée. "J’ai investi beaucoup de temps et d’argent, je suis allé faire la promotion commerciale du produit auprès des plus gros acteurs de la santé en Suisse, mais aussi mondial, et des acteurs du sport international". Ces entreprises et institutions s’intéressaient de près à ce produit et Moïse Gerson a été convoqué, par certaines d’entre elles a plusieurs reprises. "J’avais un marché suisse réceptif ".

Côté France et Europe, Moïse Gerson avait pour mission de mettre en relation des clients potentiels avec InnovSanté. C’est dans ce cadre-là qu’il organise la rencontre entre le président d’un groupe ardennais propriétaire du club de football de Sedan et InnovSanté. Une groupe qui devait réaliser un projet hôtelier à plus de 30 millions d’euros. Le 14 septembre 2019 à l’occasion des 100 ans du club de foot de Sedan, Adnan El Bakri et Christophe Lambert posent aux côtés de Marc Dubois sur le terrain de foot du club de Sedan. Le quotidien l’Union titre alors : "L’étonnant cocktail du projet MySens". Le ForumEco : "Un complexe My Sens au domaine de Montvillers.

"Il y a eu beaucoup d’effets d’annonce qui ont été faits sur les réseaux sociaux, dans la presse, reprend Moïse Gerson. InnovSanté évoquait que le groupe ardennais allait investir beaucoup d’argent dans la boîte". Des tractations pour lesquelles l’apporteur d’affaires sera tenu à l’écart. Pendant près d’un an, Moïse Gerson restera sans nouvelle de l’entreprise pour laquelle il travaille. "Il s’est déroulé une année où je l’ai relancé régulièrement, une fois par mois. Il a fait la sourde oreille, il a coupé tout contact".

 

Il a renoué à partir du moment où ce n’est plus moi qui lui écrivait mais mon avocat. 

Moïse Gerson, ancien apporteur d'affaires auprès de l'entreprise InnovSanté

 

"Quand l’une des entreprises suisses m’a convoqué en septembre dernier pour un cinquième rendez-vous,  reprend-il, j’ai écrit à nouveau à Adnan El Bakri. En guise de réponse, j’ai reçu un courrier recommandé pour résiliation de mon contrat d’apporteur d’affaires et d’agent exclusif ". Moïse Gerson est aujourd’hui en procédure judiciaire avec InnovSanté. "Je lui réclame de l’argent surtout pour le tord qu’il m’a créé sur le marché suisse".

 

Où sont les marchés ?

"Rien n’est en place 4 ans après la création de l’entreprise", explique cet ancien salarié. "Quand Adnan El Bakri m’a dit, avant que je ne sois embauché, on a Alcatel Lucent dans nos clients, je me suis dit c’est super, explique encore cette personne. Quand je suis arrivé je me suis rendu compte qu’il n’avait pas signé de contrat. L’Oréal et les thermes de Saint-Gervais ça n’a jamais abouti, comme les contrats africains n’ont jamais été signés".

Les anciens salariés expriment leurs déceptions. Certaines entreprises interrogées tiennent un discours similaires. "Nous avons été en contact avec l’entreprise InnovSanté il y a plus d’un an maintenant, précise Elodie Lombardot, responsable communication des Thermes Saint-Gervais Montblanc exploitées par le groupe L’Oréal. Le projet de contrat a avorté dans l’œuf, il y a pas eu de projet et pas eu de contrat signé". Les thermes accueillent en temps normal plusieurs milliers de curistes par an.

Alcatel Lucent, la branche entreprises du groupe, a bien un partenariat technologique avec InnovSanté, mais "cela fait pas mal de mois que je ne suis pas en contact avec l’entreprise", précise cette personne, salariée du groupe. Par ailleurs, Alcatel Lucent n’a pas souhaité nous dire si un contrat d’achat du PassCare pour ses salariés (plusieurs milliers dans le monde entier) avait été signé. Le magasin Leclerc de Laon-Chambry n’a pas, non plus, donné suite au contact pris par la start-up, tout comme la fédération nationale France AVC.

Le groupe Hélium, basé à Reims, spécialisé dans la gestion de contrats santé et prévoyance était un partenaire de la première heure d’InnovSanté. "Nous avons rompu son partenariat il y a quelques jours, explique Mélanie Saclet la responsable de communication du groupe Hélium. Nous avons proposé le Passcare à nos 250 salariés, 50 l’ont pris, précise-t-elle. Puis, fin décembre 2017, nous avons ciblé notre « clientèle entreprise » de la région en leur proposant le Passcare comme nouveau service gratuit pendant trois ans. Une campagne de communication a été faite auprès de 3000 assurés rémois. 15% se sont inscrits et nous leur avons envoyé une carte PassCare. Nous n’avons jamais pu savoir le nombre de passeports vraiment actifs". Hélium aurait investi une somme conséquente dans ce partenariat mais dit aujourd’hui ne pas s’y retrouver en terme de visibilité.

Du côté de la mairie de Bezannes, une soixantaine de cartes PassCare a bien été achetée, proposée aux agents municipaux et distribuée, confirme la municipalité. "Personne ne s’en est servi, précise Ophélie Boucaut, assistante du maire arrivée en septembre dernier. Lorsque j’ai pris mon poste, des cartes étaient encore à distribuer. Les salariés n’ont pas trouvé l’utilité de cet outil".

Le 8 janvier 2019, dans un article intitulé « Les coups de cœur de l’année 2018 », New’s mag, magazine gratuit de la Marne, écrivait "le Passcare est distribué à Monaco par le groupe Télis, leader des réseaux digitaux dans la principauté". Joint par téléphone, Thierry Leray, président du groupe Télis précise bien que son entreprise est "hébergeur de données et notamment de données de santé mais que pour l’heure aucune commercialisation de quoi que ce soit n’a été réalisée".

 

PassCare, Photocare, Passcovid

Michaël Atlan, chirurgien plastique à l’hôpital Tenon de Paris, et directeur de thèse d’Adnan El Bakri apporte quant à lui une précision optimiste. "J’ai un rôle de conseil et d’aide scientifique. Je connais Adnan depuis longtemps, j’ai été son directeur de thèse". Michaël Atlan précise aussi qu’il a "initié le projet PhotoCare parce que j’en ai une nécessité personnelle. Nous partageons (au sein de son service) beaucoup d’informations par photos. L’idée est que l’intelligence artificielle reconnaisse si c’est de la reconstruction mammaire, d’un visage, etc. Projet qui a pris du retard avec l’équipe précédente. Là, il y a une reprise par une autre équipe qui semble plus solide par rapport à ce que je leur demande, explique encore Michaël Atlan. La version finale est très bien et j’en suis très fière. D’autres sociétés se rapprochent de nous. J’ai un produit qui est à 95% de mes espérances". L’hôpital Tenon par l’intermédiaire de Michaël Atlan est seulement un partenaire.

 

Je n’ai pas payé pour que PhotoCare soit créé puisque j’en suis à l’origine et que mon service le teste. Mais je serai le premier à l’amener à l’APHP, j’y crois beaucoup.

Michaël Atlan, chirurgien plasticien à l'hôpital Tenon de Paris

 

Le retard de développement de l’outil PhotoCare, certains anciens salariés l’expliquent : "Au moment du confinement le PDG a dit : on arrête tout. On ne pourra jamais livrer Tenon et on va faire autre chose. Là, il s‘est dirigé vers la Covid". Adnan El Bakri fait à nouveau parler de lui dans la presse. En mai BFM Business puis Les Echos parlent du PassCovid. Les Echos titre : « une start-up française propose un passeport immunitaire ». Et la journaliste écrit : "La startup française InnovHealth propose le lancement d'un passeport immunitaire. Baptisé PassCovid, ce document atteste de la présence d'anticorps au coronavirus - ou non - chez son détenteur. La force de ce dispositif, selon son fondateur, est la fiabilité des données sur lesquelles il est fondé". Un nouvel outil dont nous n’avons pu mesurer l’impact.

 

Silence du côté de la direction d’InnovSanté

Alors où sont véritablement les marchés ? Où sont les 200.000 Passcare vendus et annoncés en juin 2018 par Adnan El Bakri dans Monaco Hebdo ? Le compte de résultat que nous nous sommes procurés affiche, au 31 décembre 2019, un chiffre d’affaires France de 185.580 euros, et à l’exportation de plus de 89.000 euros. Comment ont-ils été générés ?

Dès le 28 octobre, une demande d’interview est adressée à Adnan El Bakri. Il y répond favorablement mais avant, il souhaite nous faire parvenir des documents confidentiels pour que nous comprenions mieux la situation. Le 30 octobre ces documents nous parviennent par mail, en copie à Sylvain Bertrand, "un entrepreneur rémois reconnu qui vient de rejoindre notre actionnariat qui souhaite participer à l’interview si vous êtes d’accord" précise Adnan El Bakri dans son message. Le président de la start-up nous propose même "une démonstration online en visio de notre solution PassCare et sa technologie".

Une conférence téléphonique nous est proposée le jeudi 5 novembre à 17h, proposition que nous déclinons, n’étant pas disponibles. Depuis et malgré nos relances, le silence s’est installé. Sylvain Bertrand est le dernier avec qui nous sommes en contact. Prêt à nous parler le 26 novembre dernier, il nous renvoie vers la toute nouvelle agence de communication de InnovSanté. Havas, en charge de la communication de la start-up depuis mi-novembre, nous contacte le 27. Dans une volonté d'enquête sérieuse et contradictoire une dernière demande, par écrit avec l'ensemble des questions, est formulée à Adnan El Bakri le 15 décembre. Elle restera sans réponse.

 

Parrains prestigieux en mode silence aussi

Christophe Lambert contacté également nous répond par sms : "la compagnie étant en pleine levée de fond et de restructuration, je ne fais pas d’interview concernant le sujet pour l’instant". Interrogé sur les accusations de souffrance des salariés et sur les dépôts de dossiers aux prud’hommes, ils répond tout de même : "Je suis bien sûr au courant et je n’approuve pas ces méthodes. Je sortirai du bois lorsque cela aura un véritable impact (…). Je suis moi-même un investisseur important et suis cela de près (…)".

 

Quand on met son image au service d’une entreprise, cela induit une certaine responsabilité. Ils devraient aujourd’hui se positionner 

Des actionnaires d'InnovSanté

 

 

Contactée, Anne Lauvergeon, ancienne patronne d’Areva, aujourd’hui présidente d’ALP S.A et actionnaire de InnovSanté  n’a pas donné suite à notre demande d’interview. "Pourquoi quelqu’un comme Anne Lauvergeon est entrée dans la société alors que, depuis, elle n’a jamais rien dit, jamais rien fait, commentent des actionnaires d’InnovSanté. Christophe Lambert, lui, est entré pour faire du show, du médiatique. Tous les deux ont eu beaucoup d’actions dans des conditions particulières car ils ne les ont pratiquement pas payées. Christophe Lambert a envoyé des factures de prestation et a reçu en échange des actions. Anne Lauvergeon les a achetées sur la base de 7 euros quand nous on les a payées 10 fois, 50 fois plus… "

 

Assemblée générale houleuse et éthique remise en cause par certains

"S’il lève des fonds cela pourrait faire arriver un vrai directeur général et cela pourrait changer l’ambiance. Pour l’instant, il touche à tout et c’est un très mauvais manager, expliquent encore des actionnaires en parlant du président d’InnovSanté. On est tous suspendus à l’arrivée de fonds d’investissement ou d’un actionnaire qui reprendrait le contrôle de l’entreprise. Une levée de fond était annoncée comme quasiment réalisée le 29 septembre, depuis on a plus de nouvelles", reprennent-ils.

Le 29 septembre dernier l’assemblée générale de l’entreprise InnovHealth réunissait les actionnaires. Le bilan de l’année 2019 y était détaillé et un invité surprise se glissait dans l’assemblée. Un huissier mandaté par trois actionnaires mécontents dont Marc Dubois récemment entré au capital. C'est ainsi que le relate l'hebdomadaire L'Union. Le président du groupe ardennais Aplus, très en colère en septembre, a décidé de ne plus s’exprimer dans les médias aujourd’hui. Il serait en passe de revendre ses actions acquises pour plus de 500.000 euros. C’est, au départ, plus d’un million d’euros qu’il devait investir. Mais une seule tranche aurait été payée après qu’il ait découvert la méthode. Marc Dubois pensait avoir bénéficié d’une ouverture de capital de l’entreprise et ainsi injecté cet argent directement dans la start-up. Finalement cela s’avère être du « cash out », c’est-à-dire qu’Adnan El Bakri aurait revendu une partie de ses actions encaissant donc l’argent en propre.

"C’est légal, expliquent encore ces anciens salariés et actionnaires, c’est le côté éthique qui l’est moins. On est dans une entreprise qui a besoin désespérément de trésorerie pour continuer à survivre" (plus d’un million de perte en 2019).

 

Plutôt que de faire rentrer des investisseurs en vendant ses propres actions, le mieux serait qu’ils investissent dans la boîte et non dans le portefeuille du dirigeant. C’est du jamais vu dans une société en difficulté. 

Des actionnaires d'InnovSanté

 

Plusieurs transactions « cash out » auraient ainsi été réalisées avec une action à la valeur en hausse très significative. "Il a valorisé les actions en les montant à plus 650 euros pièce", expliquent certains. D’autres parlent de négociations plus proches des 500 euros. Mais la valeur d’une action ne correspond-elle pas au chiffre d’affaires réalisé réellement ? Comment passe-t-on d’une action à 1 euro en 2016, à plus de 650 euros en 2020 ?

Autre situation discutable que soulèvent des actionnaires : "l’augmentation de salaire du président et de la directrice générale votée et validée lors de l’assemblée générale. Dans une période de grande difficulté, cela pose un autre vrai problème de déontologie". Mais sur "une quarantaine d’actionnaires, Adnan El Bakri possède à lui tout seul plus de 50% des voix, reprennent certains d’entre eux. A l’assemblée générale, il en avait 75% " Manque d’informations, accusation sur une éthique douteuse, "on est aussi dans un abus caractérisé de sa position", précisent encore des actionnaires.

 

La crainte qu’il quitte le navire

Certains ne comprennent pas l’arrivée d’investisseurs ces dernières semaines. Sylvain Bertrand est l’un d’entre eux, "d’autres professionnels rémois confirmés sont aussi arrivés au capital en septembre dernier, expliquent encore des actionnaires. Ils ont dû rentrer sur des informations un peu plus précises que ce que nous possédons. Sinon je ne comprends qu’ils aient pu mettre un sou vue la situation actuelle. Ils n’ont pas mis 400 à 500.000 euros comme ça par la fenêtre, juste pour voir".

Le 12 novembre dernier, dans un post Facebook, Simon Abi Ramia, membre de la chambre des députés libanaise expliquait la présence d’Adnan El Bakri à Beyrouth. Reçu par le ministre de la santé, l’objectif était de « consulter le projet de carte sanitaire intelligente ». L’Etat libanais : un partenaire et investisseur potentiel. 

 


Deux annonces légales inquiètent aussi fortement certains associés financiers d’Adnan El Bakri. En effet ce dernier a créé deux autres sociétés indépendantes d’InnovSanté. Lilareb au capital vertigineux de 13.967.310 €, dont le siège social est à VILLERS-ALLERAND  et Exlogica, une société immobilière au capital de 1000 euros dont la gérance revient à Lilareb et dont le représentant est Sylvain Bertrand. "C’est un peu se moquer des actionnaires et on se demande où est le bien de l’entreprise, reprennent certains d’entre eux. Quand on est dans une entreprise, que l’on a sollicité autant d’argent, on se doit d’y consacrer 100% de son temps. Et on ne commence pas à se créer des portes de sortie avec l’argent qu’il a récolté grâce à nous. C’est comme s’il était prêt à lâcher le navire".

Des actionnaires souhaitant vendre leurs actions auraient été approchés pour organiser les rachats. Mais à une condition : ils devraient signer une clause de confidentialité.

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