ENQUÊTE sur la start-up rémoise InnovHealth : la valeur de l'entreprise s'envole, comme les investisseurs (2/2)

InnovHealth est une start-up basée à Reims. Son fondateur, Adnan El Bakri, médecin, se consacre totalement à son entreprise. Mais des remous dans l’actionnariat et dans la lisibilité financière pèsent sur la société, des actionnaires partent et les levées de fonds tardent à arriver. 

"Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années ". Cette citation de Corneille, presque devenue un adage, pourrait très bien convenir à la description d’une start-up. Jeune, dynamique, sans le moindre argent au départ et pourtant susceptible de devenir en quelques années une entreprise puissante, au chiffre d‘affaires impressionnant et à la technologie avancée. Mais n’oublions pas l’important : ces « âmes bien nées »… qui doivent à la fois compter sur leur réputation mais surtout sur l’idée de génie qui mènera leur entreprise, le secteur d’activité qui la portera où encore leur capacité à monter autour d’elles une équipe performante. Ce sont les bases d’une start-up.

Banquier d’affaires, expert en stratégie financière d’entreprise, de la levée de fonds et de l’introduction en bourse, Louis Thannberger l'explique parfaitement. Il est aussi un des pères fondateur du second marché boursier et, à la tête de la société Ipo Number 1, il a amené en bourse plus de 400 entreprises, familiales, petites et moyennes. L’Olympic Lyonnais, le Champagne Lanson, le groupe Seb, mais aussi nombre de start-up comme Solution 30, au "parcours époustouflant " dit Louis Thannberger. "Vous avez un exemple récent, celui d’Hopium (société automobile de la start-up HMC) qui a fait son entrée en bourse (en 2020). C’est un cas intéressant. Ils ont 0 de chiffre d’affaires mais attention, ils sont dans une voie porteuse (l'hydrogène). Le secteur d’activité pour une start-up compte beaucoup plus que l’entreprise elle-même. La preuve, sans chiffre d’affaires, elle entre en bourse à 11 millions d’euros et un mois après, elle en vaut 300". L'homme d'affaires parle d’autant mieux de cette entreprise, qu’il n’est pas à l’origine de son entrée en bourse.
 

Secteur porteur, équipe solide

"Je viens d’en signer une à Lyon, reprend-il, nous expliquant son travail. J’ai bien regardé l’équipe. Ils sont dans le ciment de bois. Quelle valorisation ai-je faite : 30 millions. Pour l’instant, ils ne font pas de bénéfices, ils font des pertes et je valorise 30 millions, précise le banquier d’affaires à la voix grave et aux explications presque théâtrales. A Epinal, j’ai introduit à 5 millions d’euros Les Constructeurs du Bois au mois d’octobre et ça vaut 15 millions aujourd’hui".

 

La start-up, c’est assez sportif parce que les gamins avec leurs baskets et leurs jeans, ils ont une bonne tête mais ça ne fait pas pour autant un chef d’entreprise qui tient la route dans la durée. Quand je me trompe, je ne me trompe pas sur le dossier, ils se ressemblent tous. Je me trompe sur les hommes.

Louis Thannberger, homme d'affaires né en 1937.

 


Louis Thannberger parcourt la France et répond aux sollicitations des entreprises. Lorsqu’il arrive dans la société, le banquier d’affaires ne passe pas par quatre chemins. "Je fais court, Monsieur, dit-il au chef d’entreprise, vous êtes un guerrier ou pas. Si vous êtes un guerrier, vous allez en bourse. Si vous ne l’êtes pas, vous restez à la maison. Vous êtes à peu près sûr de ce que vous me promettez à 3 ou à 5 ans. La bourse achète du rêve, vend des faits et achète les espoirs de développement plus que le développement lui-même. Donc, monsieur, faites-moi le plaisir de vous cramponner". Voilà la méthode Thannberger et son expérience en dit long quant à la suite de notre histoire sur l’entreprise InnovHealth.

En décembre dernier, nous publiions la première partie de l’enquête sur cette start-up rémoise, InnovHealth ou InnovSanté. Cette start-up rémoise créée en 2016 est "spécialisée dans les nouvelles technologies appliquées au partage et à la structuration des données de santé, explique le site internet de l'entreprise. L’entreprise vise à devenir leader mondial de son secteur grâce à sa solution PassCare. (Le) PassCare est le premier passeport de santé numérique intelligent, universel et confidentiel", précise encore le site. Ce qui avait motivé notre travail : le mécontentement de nombreux actionnaires et la détresse d’anciens salariés. Depuis décembre, l’entreprise a tenté de faire "table rase du passé", comme le précise Sylvain Bertrand, associé depuis quelques mois et vice-président d'InnovHealth comme le dit sa page Linkedin. De nombreux contentieux aux Prud’hommes ont été réglés à l’amiable. Des actionnaires mécontents se sont vus racheter leurs actions. Mais pas tous. Des litiges sont toujours en cours. Des associés veulent quitter l’entreprise et restent, à ce jour, sans solution de reprise.

"Dis-moi quelle est ta croissance et je te dirai qui tu es. Montre-moi ton bilan, je te dirai qui tu es", dit encore Louis Thannberger. Si le banquier d’affaires, expert en levée de fonds et en introduction en bourse, peut évaluer une entreprise en pleine croissance "entre 6 à 8 fois le bénéfice net, voilà quelque chose de précis", il peut aussi miser sur une entreprise qui n’affiche que des pertes mais dont le patron lui livre des paroles prometteuses comme "vous pouvez être sûr que d’ici 5 ans, je ferai 10 millions de bénéfices net. Là, je lui réponds : je parie sur toi". Pour autant, pour que la bourse soit prête à jouer, il faut être au rendez-vous… et dans tous les domaines. Le secteur doit être porteur, l’équipe solide et "au bout de deux ans, je vais vous demander vos résultats", précise encore Louis Thannberger. "Bernard Tapie a eu beaucoup de mal à comprendre ce que je vous dis là. Il pensait qu’avec la communication (c’est un fan de com), on allait pouvoir manipuler tout cela. Mais c’est plus compliqué. A un moment donné, il faut amener les résultats, les investisseurs veulent voir".

 

"Il n’est jamais trop tôt pour entrer en bourse mais presque toujours trop tard"

La communication. Ce mot résume bien la vie, depuis près de cinq ans, de la start-up InnovHealth. Des dizaines d’articles de presse, des passages répétés à la radio, sur les chaînes d’informations en continu, Adnan El Bakri a mis en place une politique de promotion plutôt bien rôdée. Sa belle histoire a embarqué les médias et leurs journalistes. Mais comme le dit Louis Thannberger, à un moment donné, les actionnaires veulent du concret : un produit, et un retour sur investissement. Et les journalistes se posent d’autres questions.

Louis Thannberger connaît InnovHealth et son patron Adnan El Bakri. "Dites-lui que c’est dommage qu’il ne m’ait pas suivi !" Le banquier d’affaires a bien été contacté par le patron de l’entreprise rémoise, en 2018. "Quand j’ai fait sa connaissance, il y a trois ans, j’ai même fait un speech à Reims. Je me rappellerai toujours, il y avait toutes les sommités. Une start-up et son passeport de santé de portée mondiale (le PassCare), vous vous rendez compte le vent qu’il aurait pris à la faveur, si j’ose dire, de la pandémie. C’est incroyable", s’enthousiasme-t-il encore. A l’époque, Louis Thannberger avait évalué InnovHealth "à 100 millions d’euros. Je suis presque persuadé qu’aujourd’hui elle en vaudrait beaucoup plus".

Le secteur d’activité, la e.santé ou santé numérique, est bon et la période de crise sanitaire aurait donc pu "faire envoler le titre, dit encore Louis Thannberger. Là, il est passé un tout petit peu devant la glace. Si je vous dis : montez dans le train, il faut m’écouter. On n’est pas ensemble par hasard Mr El Bakri."
 

Je ne suis pas venu à Reims pour enfiler des perles. Vous avez Anne Lauvergeon, Christophe Lambert qui étaient contre moi et qui ne voulaient pas de l'introduction en bourse. C’était trop tôt, maintenant, c’est trop tard.

Louis Thannberger, homme d'affaires, spécialiste de l'introduction en bourse

 

Anne Lauvergeon et d’abord Christophe Lambert ont effectivement été les "actionnaires-stars". Ils ont porté InnovHealth en haut de sa côte de popularité auprès des médias. Avoir dans ses rangs des investisseurs comme ceux-là, avec un carnet d’adresses, à mettre au service de la start-up, est une belle opportunité. Christophe Lambert a échangé ses prestations d’image contre des actions et Anne Lauvergeon les a payées bien moins chères que les investisseurs de la première heure. A moindre coût, l'opportunité était belle de faire du profit. Fin 2019, selon les documents en notre possession, ils étaient propriétaires de 2.900 actions pour Anne Lauvergeon soit 6,72% du capital et 2.306 actions pour Christophe Lambert soit 5,34%.

 

Encore temps…

Deux associés pour qui le passage en bourse aurait été contre-productif. "Les financiers préfèrent attendre que l’entreprise arrive au sommet puisqu’ils veulent une plus-value optimale, explique encore Louis Thannberger. Ils gèlent la situation, c’est logique. Vous entrez dans le capital de PassCare, vous ne voulez pas que je l’introduise en bourse demain. Et pourtant, c’est demain qu’il faut y aller. Les belles années sont à partir du décollage. Ils ont empêché de réaliser cela. L’augmentation de capital, ils n’en veulent pas parce que cela dilue leur participation, et ils attendent la plus-value optimale."
 

S’il vient demain matin (Adnan El Bakri) et si tout est clair chez lui et dans les comptes, je lui dirai : Adnan, il n’y a pas une minute à perdre.

Louis Thannberger, homme d'affaires

 

"Vous vous êtes assez fait avoir par les financiers, vous n’avez toujours pas vu clair, alors maintenant, venez avec moi, reprend-il à l'intention d'Adnan El Bakri. Il y a peut-être un coup de fusil à tirer pendant que la pandémie dure. Oui, j’y vais, mais il faut qu’il fasse vite. Parce que si on introduit en bourse quinze jours avant la fin de la pandémie, on va plonger. C’est logique. C’est du bon sens."

 


KPMG se retire

Pour valoriser InnovHealth, son fondateur a préféré utiliser d’autres moyens. La communication en est un, mais il a aussi fait appel à des sociétés spécialistes en audit, conseils et expertises comptables. En juillet 2017, l’entreprise KPMG sort un rapport "Projet InnovHealth, perspectives financières". 16 pages très détaillées, que nous nous sommes procurées, permettant d’analyser et de mettre en perspectives les chiffres d’affaires, les marges sur les coûts, les charges externes, la masse salariale, les besoins en trésorerie notamment pour les trois années à venir. Un travail indispensable avant toute valorisation et levée de fonds. "Le travail qui a été fait, c’était un business plan, explique anonymement cette personne. Quand on fait ce genre de mission, il faut que l’on soit tous sur la même longueur d’onde. Là, on n’arrivait pas à s’entendre sur la stratégie et le discours à tenir. Donc nous ne sommes pas allés au bout de notre mission. Nous n’avons pas levé les fonds".

La société KPMG a cessé sa collaboration en janvier 2018. Selon elle, InnovHealth l’a rappelé il y a 6 mois mais KPMG n'a pas donné suite. Une information que dément Sylvain Bertrand, actionnaire de la société. "C’est qui votre interlocuteur chez KPMG ? Parce que je discute avec eux sur la valorisation et on n’a pas de tension particulière ni de désaccord. Je ne sais pas ce qui s’est passé en 2017, je n’ai pas l’information, je peux me renseigner et vous répondre plus tard. Ce que je sais, c’est qu’à ma demande, parce que je connais certaines des personnes, je leur ai demandé de nous accompagner sur des opérations simples de comptabilités. Nous avons échangé avec deux interlocuteurs au sein de KPMG à ce sujet. Nous n’avons pas donné suite pour l’instant parce que ce n’est pas notre préoccupation première. Nous avons un expert comptable, pour le moment, qui fait l’affaire". 

Après les désaccords avec KPMG en 2018, Adnan El Bakri cherche malgré tout à valoriser son entreprise. InnovHealth a besoin de trouver des investisseurs pour poursuivre sa route, rien de plus normal. Il fait donc appel, non pas à un cabinet d’experts cette fois, mais à EFC, société d’avocats de Reims. Dans un courrier en date du 12 avril, que nous avons en notre possession, Franck Normand, avocat spécialiste en droit des sociétés, adresse à Adnan El Bakri une lettre de cinq pages ayant pour objet : "analyse évaluation Passcare". Il explique : "Je fais suite à notre entretien du 11 avril (la veille) au cours duquel vous m’avez présenté la société PassCare (InnovSanté SAS) dont vous êtes président. Vous envisagez de procéder à une augmentation du capital prochainement et, dans ce cadre, vous estimez la valeur de la société à un montant de 20 millions d’euros. Vous souhaitez que soit analysée la cohérence de cette valorisation au regard des éléments que vous m’avez fait parvenir. Par ailleurs, la société a été évaluée à un montant de 6 millions d’euros par la société KPMG en 2017". Une base d’informations non vérifiée par celui qui s’apprête à réaliser la "cotation" de la start-up, car comme l’a dit KPMG, aucune valorisation n’a jamais été réalisée.
 

Une valorisation qui passe de 24 millions à 36 millions en 10 mois

Si "l’évaluation d’une société n’est pas une science exacte, précise Maître Normand, il évoque différentes méthodes dont l’"utilisation doit normalement être précédée d’une analyse qualitative de la société. (…) La méthode la plus couramment utilisée pour évaluer une start-up est la méthode des discount cash flow (DCF)", explique-t-il encore. Cette méthode sera donc utilisée pour évaluer InnovHealth. Pourtant, l’avocat évoque tout au long de son propos des difficultés à obtenir l’ensemble des documents nécessaires. "La méthode Discount cash flow doit normalement être utilisée à partir d’au moins quatre exercices prévisionnels". Hors l’entreprise ne lui en a fourni que trois. Franck Normand dit encore, "les comptes prévisionnels qui m’ont été adressés ne mentionnent pas l’évolution du BFR (Besoin en fond de roulement), ni les investissements réalisés, ni l’endettement et les annuités éventuelles". Il insiste aussi sur le fait que "ces prévisionnels laissent apparaître de nombreuses incohérences. Notamment la marge brute baisse sensiblement entre 2021 et 2022, il n’y a pas d’impôt mentionné en 2022… etc".

Alors, dans ces conditions, pourquoi l’avocat rémois, accepte-t-il d’aller au bout de ce travail ? Contacté, il a refusé de répondre à nos questions. "Je ne suis pas autorisé à m’exprimer sur une éventuelle mission que j’aurais pu réaliser pour un client, explique Franck Normand dans un mail envoyé le 6 février dernier. En effet, conformément aux obligations déontologiques qui s’appliquent à notre profession, les avocats sont soumis au respect du secret professionnel et de la confidentialité des correspondances". En une journée, Franck Normand réalise donc la valorisation d'InnovHealth. Il explique qu'en "simplifiant le calcul et, en considérant que le cash-flow (l’excédent de trésorerie) s’établit à 15 millions d’euros en 2022 et s’accroît de 10% par an, (...) la valeur de la société s’établirait environ à (…) 16,869 millions d’euros". Il va même plus loin. "En considérant que le risque est réduit du fait de l’existence d’un chiffre d’affaires (…) et la signature de contrats (…), la valeur de la société s’établirait environ à 23,860 millions d’euros".

Voilà comment cette start-up obtient en quelques heures une "cotation" lui permettant d’ouvrir son capital et de fixer le prix de son action. En 2019, aucune levée de fonds n’a été réalisée pour autant. L’avocat rémois spécialiste en droit des sociétés renouvelle l’opération en février 2020. Dans un courrier, que nous nous sommes procurés, il adresse une nouvelle évaluation à Adnan El Bakri, président d’InnovHealth. La même méthode est utilisée, mais cette fois Franck Normand ne met plus de réserve à son travail. Il semble donc avoir en sa possession l’ensemble des documents lui permettant la valorisation précise de l’entreprise. Il explique d’ailleurs dans son courrier : "En l’espèce, vous m’avez fait parvenir des comptes de résultats prévisionnels pour les exercices clos les 31 décembre 2020, 2021, 2022, 2023 et 2024". Ses conclusions :"en considérant que le risque est réduit du fait de l’existence d’un chiffre d’affaires effectivement réalisé sur la première année et la signature de contrats (…), la valeur de la société s’établirait alors à 35,851 millions d’euros". En 10 mois, InnovHealth augmente sa valorisation de 12 millions d’euros.
 

 

L'envol du prix des actions

En 2016, au démarrage de l’entreprise, l’action vaut 1 euro.  Sur l’acte constitutif en date du 7 mars, chaque associé (3) a 400 parts pour 1.200 euros de capital social. En 2017, d’après les documents que nous avons en notre possession, l’action passe, sur le même mois d’août de 34,07€, à 66,79€. En mai 2018, l’action monte à 140€ et atteint 481,70€ un an plus tard, juste après la valorisation du cabinet d'avocats EFC, soit plus de 340% d’augmentation en une année. Celle de 2020 a permis un nouvel envol : des actions se sont vendues jusqu’à 680€.

C’est le principe d’une start-up qui se valorise sur un chiffre d’affaires. Il y a des actions qui se sont vraiment vendues à 680 euros. Donc c’est la valorisation aujourd’hui".

Sylvain Bertrand, vice-président d'InnovHealth 

 

"ll y a un décalage énorme, dans une start-up, entre le chiffre d’affaires et la valorisation, explique Sylvain Bertrand. Aujourd’hui, on a levé 5 millions d’euros, demain, on va avoir d’autres augmentations de capital qui sont en cours et qui vont nous permettre de valoriser la société. Je ne suis pas au courant des documents. Je vais me renseigner. Je suppose qu’il y a des gens bien intentionnés qui balancent des informations pour nous nuire. Qu’on regarde un document de 2017 fait par un mec que je ne connais pas et par KPMG, qui aurait machin, etc. Waouh… ", dit encore Sylvain Bertrand à bout d’argument.

Faire table rase du passé, la méthode des nouveaux actionnaires pour avancer coûte que coûte semble faillir lorsqu’ils font face à des informations qu'ils pourraient ne pas connaître. "Je vous répondrai sur la valorisation de la société parce qu’il y a un mécanisme qui a été effectué, mais je n’ai pas les éléments. Par contre, je suis très étonné sur l’histoire de KPMG et je ne sais pas d’où sort ce document de 2017. Je vais me renseigner. Vous imaginez bien que je ne suis pas rentré dans les comptes depuis la création de la boîte"… Qui date de 2016. Des précisions toujours en attente, Sylvain Bertrand n’a pas fourni ces informations, malgré nos relances.

Dans un mail en début d’année 2020 adressé aux actionnaires, Adnan El Bakri précise encore : "Nous venons de mandater un cabinet indépendant pour réaliser un audit de nos comptes et une évaluation financière de l’entreprise afin de préparer la série A (levée d’argent importante qui s’adresse à des fonds spécialisés ou des gestionnaires de grosses fortunes), le résultat établit une valorisation entre 28,5 M€ et 36 M€, ce qui conforte ma décision de défendre une valorisation à 30 M€ pre-money (avant la levée de fond) à ce jour. Je vous enverrai cette nouvelle étude". Ces chiffres correspondent bien à la 2e évaluation du cabinet d’avocats EFC. Selon nos informations, aucun associé n’a reçu ce document. Certains l’ont demandé, sans succès.
 

Enrichissement personnel

Une chose est certaine : Adnan El Bakri a profité personnellement de cette valorisation. Grâce aux documents que nous avons récupérés, nous savons qu’il a vendu ses propres actions (réalisation de cash out) au prix fort à plusieurs nouveaux actionnaires. En mars 2020, le patron de InnovHealth cède 42 actions à 600 euros pièce, soit 25.200 euros à deux personnes hors région rémoise. En septembre de la même année, même opération pour 445 actions au prix de 450 euros. Elles sont achetées par Sylvain Bertrand pour un montant de 200.250 euros, payables en trois fois. 224 autres actions sont aussi vendues à deux autres nouveaux actionnaires rémois pour un montant de 100.800 euros payable au comptant. En quelques mois, Adnan El Bakri a vendu pour 326.250 euros de ses actions.

La plus importante des transactions, s’est faite un peu plus tôt, en octobre 2019. Le patron d’InnovHealth vend pour plus d’un million d’euros d’actions à Marc Dubois, président du club de football de Sedan dans les Ardennes et par ailleurs patron du groupe APlus Santé. Il reçoit la moitié de la somme. Marc Dubois pense alors entrer au capital en injectant de l’argent dans l’entreprise InnovHealth et non sur le compte en banque de son patron. Il stoppe sa transaction et travaille aujourd’hui à la revente des actions achetées.

C’est donc plus de 820.000 euros qui seraient en passe d’être empochés par Adnan El Bakri, Sylvain Bertrand devant payer sa dernière traite en décembre 2021. Des transactions totalement légales mais qui posent un véritable problème d’éthique. InnovHealth, elle, affiche, fin d’année 2019, des pertes de plus d’1,6 million d’euros.


Un bilan financier réalisé par des actionnaires

La valorisation des actions de InnovHealth a permis à Adnan El Bakri non seulement d’encaisser une belle somme d’argent mais aussi de valoriser le nombre d’actions qui lui reste. Etant actionnaire à plus de 50% de la société InnovHealth, il s’est constitué un véritable patrimoine. Il a même, grâce à cela, créé, le 30 septembre 2020 (annonce légale du 12 octobre 2020) une holding patrimoniale, la société Lilareb, à laquelle il a vendu, selon les documents en notre possession, 20.510 actions InnovHealth pour un prix de 681€ pièce. Quelles sont donc les intentions d’Adnan El Bakri à la tête de cette société civile au capital de près de 14 millions ? Faire du business à des fins personnels ? Aider InnovHealth à sortir de l’ornière ? Mais la vraie question n’est-elle pas : que vaut vraiment InnovHealth aujourd’hui ?
 

 

Dans la première partie de cette enquête, parue en décembre 2020, nous évoquions nos doutes quant à l’existence, en nombre, de clients. Des entreprises citées par Adnan El Bakri lors de différentes interviews ont été contactées. Elles nous ont précisé n’avoir jamais signé de contrat ou l’avoir rompu. Concernant le chiffre d’affaires à l’étranger, les personnes en charge de l’Afrique insistent toujours sur le fait que très peu de contrats ont été signés au Gabon, au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou encore dans les pays du Maghreb. Pas de quoi, en tout cas, annoncer 89.476 euros de chiffres d’affaires à l’exportation en 2019. Pour la France, il est de 185.580 euros, précise le bilan. "Au Gabon, il y a eu des déploiements de produits et il y a eu des factures, explique Sylvain Bertrand, actionnaire. Je ne sais pas quel est l’intitulé exact et ce que l’on a fait là-bas, mais je vous le redirai. Il y a un organisme qui a payé contre une prestation. Il y a 68.000 euros de factures au Gabon. Je suis rassuré car il y a de vraies factures et une vraie prestation là-bas". Des documents que nous n’avons jamais pu voir.

Le bilan actif 2019 de la société, que nous nous sommes procurés, montre effectivement la présence d’un chiffre d’affaires total de 275.056 euros. Contacté, le cabinet d’expertise comptable, Actuarius, qui a produit le bilan de l’entreprise InnovHealth, a répondu à nos questions. La personne en charge du dossier InnovHealth nous a précisé que la start-up lui transmettait les factures d’achat, de vente, les documents bancaires et que tout était saisi. Elle nous rappelle aussi que seule la direction de la société est responsable de la production de ses comptes. L’expert-comptable est seulement là pour collecter l’information et réaliser un bilan. Elle précise encore ne pas être commissaire aux comptes pour cette société-là. Les commissaires aux comptes ayant d’autres obligations et notamment celle de s’assurer de l’exhaustivité du chiffre affaires et de la réalité de celui-ci. La personne en charge du dossier nous a précisé aussi qu’elle vérifiait si les clients avaient payé ou pas.

Des associés d'InnovHealth émettent aussi des doutes quant à l'indépendance du travail de ce cabinet d’expertise. En effet Actuarius est aussi actionnaire de l’entreprise InnovSanté. Un des gérants d'Actuarius précise que sa société se doit d’être indépendante dans son rôle de conseil. Qu’ils se sont posés la question en interne et ont conclu que cette prise de participation infime dans le capital d’InnovHealth, ne remettait pas en cause cette dernière. Le règlement intérieur de l’ordre des experts-comptables précise, d'ailleurs, dans ses articles 601 à 605, qu’un expert-comptable ou une entreprise d’expertise peut entrer au capital d’une société pour laquelle elle travaille. A condition que l’actionnariat ne dépasse pas 10%. Une déclaration sur l'honneur doit également être déposée, précise encore ce règlement intérieur, au conseil régional de l'ordre des experts comptables compétent, chaque année.

La société d’expert-comptable Actuarius possède aujourd’hui, selon le document en notre possession, 21 actions et 0,05 % du capital, pour un montant investi de 10.115,70 euros.

 

 

Les "stars" quittent le navire

Ce bilan 2019 a donc été diffusé auprès des associés lors de l’assemblée générale de septembre 2020, mais le procès-verbal, lui, n’a toujours pas été envoyé, nous précisent certains d’entre eux. Le constat de l’huissier de justice, présent et mandaté par le tribunal de commerce à l’initiative de trois actionnaires mécontents, est, quant à lui, prêt à être diffusé si besoin.

On n’a aucune idée de ce qui se passe réellement, puisqu’on n’a aucune communication sur l’activité 2020, et je ne parle pas de 2021.

Des actionnaires voulant sortir du capital

 

"On a l’impression qu’ils ont avancé sur le plan technique, mais on ne sait toujours pas si, sur le plan commercial, ils ont un contrat majeur qui garantit la survie de la société. Et quant aux levées de fonds, ils sont passés pas loin de signer plusieurs fois mais tant qu’ils n’ont pas signé ça ne vaut rien". Certains s’étonnent aussi de l’article de décembre 2020 (numéro de janvier 2021) paru dans le magazine Entreprendre qui titre en une : "Le coup de maître d’Adnan El Bakri (PassCare), qui lève 20 millions d’euros". Aucune information ne leur a été transmise sur cette levée de fonds, et nous leur apprenons, finalement, que cet investisseur s’est retiré.

Certains actionnaires sont déterminés et veulent vendre leurs actions… contrairement à ce qu’affirme Sylvain Bertrand. A la question : Marc Dubois, par ailleurs président du club de football de Sedan et de la société Aplus Santé, reste-t-il actionnaire ? : "A 100%. Aujourd’hui, nous avons discuté ensemble et il a souhaité ne pas vendre. Fin de la discussion avec Mr Dubois". Pourquoi Sylvain Bertrand tient-il ces propos, en contradiction totale avec ceux de Marc Dubois ? Le vice-président d'InnovHealth nous précise encore que les "stars" de la première heure sont, elles, en train de quitter le navire. "Pour Anne Lauvergeon, ce n’est pas tout a fait fini parce nous avons des accords et il y a des étapes. Pareil pour Mr Lambert et cela se fera dans le courant de l’année 2021. Les investisseurs du départ ont eu une utilité à un moment donné en terme de communication. Ils n’en n’ont plus aujourd’hui". Contactés, Anne Lauvergeon et Christophe Lambert n'ont pas répondu à nos demandes d'interview.

Maintenant, on va communiquer sur le produit et pas sur des stars… La star, c’est le PassCare. Mme Lauvergeon, c’est une femme qui fait du business. Ce qu’elle voulait, c’était valoriser ses parts, elle l’a fait, point barre… Et puis Mr Lambert, pareil. 

Sylvain Bertrand, actionnaire de InnovHealth

 

Le PassCare testé et approuvé ?

Certains associés aimeraient avoir le même niveau d’information que Mr Bertrand, actionnaire depuis quelques mois. Simplement pour ôter leurs doutes, tenter de retrouver la confiance et peut-être poursuivre l’aventure. "Ce serait finalement plus simple plutôt que de mener un protocole de sortie qui, s’il n’aboutit pas, finira forcément en contentieux", expliquent-ils encore. Lors de notre entrevue, le 16 mars dernier, avec Olivier Deslandes et Sylvain Bertrand, nous apprenons que des entreprises françaises et étrangères ont payé pour tester le PassCare. Un partenariat financier qui, selon nos interlocuteurs, s’est déployé "sur 2019 et 2020 et principalement sur 2020. L’Oréal a payé pour tester. La République du Benin, un certain nombre de cliniques en France et en Tunisie. Et c’est ça les facturations dont on parlait". Celles de 2019 qui auraient généré ces 275.056 euros de chiffre d’affaires.

Au mois de janvier de cette année, le produit est devenu une réalité de production commerciale. L’entreprise a vraiment connu une transformation majeure.

Olivier Deslandes, actionnaire d'InnovHealth depuis quelques mois

 

 

Depuis le début de l’année 2021, l’application PassCare est téléchargeable depuis tous les smartphones. "On est hébergés sur des serveurs qui s’appellent « hébergement de données de santé ». C’est une stipulation technique du Ministère de la santé qui autorise l’hébergement des données de santé dans un cadre très très réglementé. On s’appuie sur un prestataire français qui s’occupe de cet hébergement et de la sécurisation des données qui seront cryptées. Et PassCare (La société InnovHealth) s’occupe de toute la partie service technologique qui va être un pont entre l’utilisateur et le professionnel de santé. Maintenant, il y a un produit qui n’est plus un prototype amélioré". "On a fini les phases de test, reprend Sylvain Bertrand, d’où le chiffre d’affaires qui n’était pas un CA de dingo parce qu’on ne vendait pas le produit, on a vendu les tests. On prépare l’entreprise au marché en France et à l’international".

Des promesses auraient été faites suite à ces tests. Des entreprises et des professionnels sembleraient vouloir s’engager. "L’année dernière, on n’est pas restés inactifs au niveau commercial, explique Sylvain Bertrand. On a des contacts privilégiés avec des réseaux de pharmacies, de cliniques, de médecins et on discute avec eux. On a commencé à établir des relations, des partenariats que l’on va transformer. On est dans cette phase-là, on passe au marché. Mais il faut que l’on soit équipés avec des gens qui vont aller sur le terrain, qui vont aller faire du commercial. Il faut que l’on peaufine l’équipe".

Que l’on aille maintenant réaliser ce chiffre d’affaires potentiel de 1,5 million d'euros. Entre l’augmentation de capital et le chiffre d’affaires, la situation va s’éclaircir.

Sylvain Bertrand, actionnaire d'InnovHealth

 

Le coup de maître en attente : 20 millions annoncés et toujours pas rentrés

Depuis 2019, Adnan El Bakri annonce régulièrement sa prochaine levée de fonds. Mais les investisseurs tardent à s’engager. Cinq millions d’euros, pour l’heure, ont été injectés dans l’entreprise. D'abord grâce aux actionnaires, ceux de la première heure, qui ont pris le risque de laisser leurs économies entre les mains d’Adnan El Bakri. Beaucoup d'entre eux sont d'ailleurs partis. "Nous avons racheté les parts de gens qui voulaient faire une plus-value et qui sont sortis, explique Sylvain Bertrand. Dans les opérations que nous avons réalisées, il y a une très faible part de gens mécontents. Et cela représentait très peu de parts". Selon le document en notre possession entre 2019 et 2020, près de 10.777 actions ont été, ou sont en train, d’être revendues sur un total de 43.530 (chiffre d’octobre 2019). C’est près de 25%. Un pourcentage énorme lorsque l’on sait qu’Adnan El Bakri possède plus de 50% des parts. 

Cinq millions générés aussi grâce aux emprunts, 800.000 euros de la BPI, la banque publique d’investissement dont Adnan El Bakri parlait en ces termes en février 2020 dans un mail : "Je rappelle que nous avons un engagement de BpiFrance pour suivre les prochaines levées de fonds et abonder en conséquence, voire entrer au capital (…)". Nous avons contacté la BPI qui nous a répondu : "il ne m'est pas possible de vous répondre étant tenu par le secret bancaire".

 

 

Mais c'est encore une fois dans les médias que les affaires se font... En décembre 2020, la "Une" de nos confrères du magazine Entreprendre, annonce qu'Adnan El Bakri a bien levé 20 millions d'euros. Le patron de la société rémoise reçoit même le titre d’"entrepreneur du mois" décerné par le magazine. Les dirigeants de l’entreprise InnovHealth savent pourtant, à ce moment-là, que la levée de fond n’est pas encore signée. "Nous sommes arrivés à un niveau de confiance dans la réalisation de la transaction qui était de 98% avec un accord verbal du plus haut niveau de décisions, précise Olivier Deslandes, actionnaire. Quand on a tenu ces propos (dans le magazine Entreprendre) on était à un moment où tous les indicateurs étaient au vert. Excès de confiance". "J’étais présent, nous avons rencontré un investisseur qui était partant, explique Sylvain Bertrand. Vu la situation au Liban, il n’a pas pu nous accompagner. On n’a pas pu réaliser ce qui était prévu. Et quand Adnan El Bakri a rencontré cette journaliste (du magazine Entreprendre), c’était toujours d’actualité".
 

Quand la journaliste l’a interviewé, ce n’était pas faux. Je ne crois pas que l’on puisse qualifier cela de mensonge. Je crois que c’était de l’impulsivité. Cela n’aurait pas dû être fait. Trop content d’annoncer une bonne nouvelle.

Sylvain Bertrand, actionnaire d'InnovHealth

 

Pour l’heure, aucun démenti n'a été rédigé par nos confrères du magazine Entreprendre. "Qu’il y ait des problèmes avec Mr El Bakri et avec InnovHealth, c’est tout à fait possible, explique Robert Lafont, président fondateur d'entreprendre Lafont Presse. La vie des entreprises n’est pas un long fleuve tranquille. Une entreprise, ce n’est pas une science exacte. Je ne suis pas là pour le défendre mais pour donner une autre version. Il y a des entreprises qui sont protégées et d’autres soumises à une concurrence forcenée. Monsieur El Bakri a sûrement beaucoup de défauts, mais il a une qualité, c’est qu’il essaye de faire quelque chose. Il a levé de l’argent, il a créé des emplois, il a essayé d’apporter une innovation qui au départ paraissait très intéressante. Ce qu’il nous avait dit, c’est qu’il avait un système bien moins cher que celui adopté par la sécurité sociale et qu’il pouvait faire faire des économies de plusieurs milliards d’euros au système".

Et concernant la Une du magazine Entreprendre paru en décembre 2020, Robert Lafont explique encore : "Ce qui me désole, c’est qu’il annonce des choses qui ne se produisent pas. Ça, c’est embêtant. La levée de fonds semblait imminente et importante par rapport à l’équilibre de sa boîte. Et le fait de ne pas avoir de levée de fonds met en péril sûrement cette jeune entreprise qui était jusqu’à présent considérée comme une start-up d’avenir. C’est aussi ce côté dommageable pour l’entreprise qui est gênant. Moi, c’est ce qui m’intéresse. Si c’est faux, on va le démentir. Mais c’est lui qui nous l’a dit. C’est notre journaliste qui l’a interviewé".

 

Article et publicité : et la déontologie ?

Adnan El Bakri a donc fait la Une du magazine Entreprendre en mars 2019 et en décembre 2020. A chacune de ces interventions, les dirigeants de InnovHealth confirment qu’un accord commercial a aussi été signé. "Mais bien sûr, il y a eu à côté de ces articles un accord commercial classique", précise Sylvain Bertrand, actionnaire d’InnovHealth. L’entreprise a acheté pour 30.000 euros "plusieurs centaines d’exemplaires du journal. Cela nous a permis de distribuer ces exemplaires à un nombre intéressant d’interlocuteurs", explique encore l’actionnaire. Et "quatre pages de publicité (pour le second article) ont été aussi négociées. A ce jour, ces pages n’ont pas encore été réalisées""De mémoire, il y a eu des publicités sur le premier numéro. Mais pas sur le 2e, il n’y a pas de règlement", explique Robert Lafont. Vous ne pouvez pas empêcher le service publicité d’appeler des entrepreneurs qui sont interviewés ou mis en avant dans le magazine. Tous les magazines le font, se justifie-t-il. Ce qui est embêtant, c’est qu’il y a une inexactitude dans ce que le chef d’entreprise a annoncé. Je pense que la journaliste a gardé les bandes".

 

Déontologiquement, on a fait notre boulot, on a interviewé, on a essayé de recouper un certain nombre d’informations. Là, il y a des choses qui sont passées au travers des mailles du filet. C’est lui qui nous a dit tout cela. C’est à lui d’assumer ses propos. On n’est pas responsables de ce qu’il dit.

Robert Lafont, président fondateur d'entreprendre Lafont Presse

 

 

Utiliser la presse a ces limites

Pendant qu’Adnan El Bakri, inépuisable, continue de prêcher la belle parole dans certains médias. Dans la Tribune.fr en février dernier, il évoque "l'urgence d'un passeport santé sécurisé pour espérer sortir d'une crise sanitaire et économique". Nous, nous tentons aussi d’obtenir des réponses à nos questions. Depuis le mois d’octobre 2020, nous l’avons sollicité à de nombreuses reprises. A nouveau ces derniers jours. Sans réponse.

Sylvain Bertrand, actionnaire depuis quelques mois et aujourd'hui vice-président d'InnovHealth, avait également décliné, le 7 février 2021, notre énième demande d'interview. Début mars, il se ravise. Le 9, nous le recevons et lui demandons les raisons de ce changement de position. "Vous faites peur à tout le monde, nous répond-il. Vous appelez les actionnaires, le cabinet comptable…" Le ton est imposant et les mots peu respectueux. "Si la levée de fond ne s’est pas faite en décembre dernier, c’est de votre faute". La discussion durera plus d’une heure et nous décidons de nous revoir pour une interview enregistrée avec un autre actionnaire, Olivier Deslandes.

Le 16 mars, MM Deslandes et Bertrand commencent par une présentation du produit : "le PassCare, comment ça marche ?" Puis, nous questionnons et nous nous étonnons de ne pas rencontrer Adnan El Bakri, président fondateur d’InnovHealth. "Pour être très direct, répond Sylvain Bertrand, je pense que l’article que vous avez écrit a déclenché chez lui un mécontentement. Il est préférable que l’on puisse vous parler tous les deux calmement, tranquillement. Il n’y a pas d’enjeu, il n’y a pas d’affect. Le but de l’opération, c’est qu’il faut apaiser les choses et pas les envenimer. Vous montrer le produit, vous montrer que ce que l’on fait est tout à fait honorable avec un joli produit, une jolie histoire. Maintenant, effectivement, il y a eu des aléas de fonctionnement, des heurts propres à n’importe quelle société. Et avec un dirigeant qui a poussé la solution, qui a poussé la machine et qui n’a pas forcément eu le rôle parfait du manager idéal. Il apprend avec le temps, c’est quelqu’un de brillantissime, qui a plein d’idées à la minute et il faut que cela suive derrière et parfois ça ne suivait pas forcément. Alors effectivement, on a découvert qu’il y avait eu des frottements. On s’est employés à régler ces choses-là".

 

Le passé ne m’intéresse pas. On essaye de le résoudre le plus proprement possible,  tranquillement… Il y a eu des sorties, il y a eu des prud’hommes, on les a réglés ».

Sylvain Bertrand, actionnaire de InnovHealth

 

Et le ton monte quand nous leur précisons qu’une dizaine de litiges sont toujours en cours aux prud’hommes mais aussi dans d’autres juridictions. "Citez-moi un seul nom… Moi, je n’en ai plus, reprend Sylvain Bertrand. On a notre directeur financier qui suit cela, notre avocat qui suit cela. Et tous les trucs en suspens, on a passé des accords. Alors peut-être que vos informations ne sont pas à jour. Je m’inscris en faux par rapport à ce que vous dites". "Qu’il y ait des litiges, toutes les organisations en ont, explique plus calmement Olivier Deslandes. Moi, j’ai un sens de l’éthique, des valeurs. Il y a des choses que je m’interdis de faire, que je ne ferai pas et que j’interdirai de faire tant que je serai dans cette organisation. Mon rôle, c’est de faire en sorte que cela s’éteigne au mieux. J’assume les choses à partir du moment où je mets un pied quelque part. Les choses avant non, ce n’est pas mon sujet. On s’emploie à éteindre tout cela". La première partie de notre enquête a décrit la souffrance et la terrible expérience parfois d’anciens salariés. "Je crois que vous exagérez sur terrible et souffrance", réplique Sylvain Bertrand. "La culture de la souffrance, je n’en veux pas, reprend Olivier Deslandes. Il y a des gens qui partiront, d’autres qui arriveront, mais cela se passera toujours avec respect et dignité. Par rapport à ce qui s’est passé avant, je n’en sais rien, je n’étais pas là. J’ai entendu que c’était rude oui".
 

 

Les deux actionnaires reviennent aussi sur le chiffre d’affaires de 2019, la valorisation de l’entreprise en nous précisant que les documents ont été oubliés... "Je n'ai pas là les factures mais je pourrais vous les montrer, argue Sylvain Bertrand. Il y a des factures qui correspondent à ce qui a été fait. Et personne ne va payer une facture si on n’a pas fait le job derrière". Concernant la valorisation, il reprend : "je ne réussirai pas à vous faire changer d’avis car vous pensez que la valorisation est posée sur du sable. Et quand vous faites un article avec une porte et du sable (illustration de la première partie de l’enquête), ça dézingue la société. C’est évidemment négatif et nous, on rame derrière", assène-t-il.

Quant à l’utilisation de la presse au profit de l’entreprise, évitant toutes questions qui dérangent, les deux actionnaires ne s’en défendent pas. "Au départ, il y a eu des consignes de dire "on ne parle pas", explique Sylvain Bertrand. Maintenant, j’ai pris l’initiative de venir vous voir en disant : il faut que l’on éclaircisse les choses et que l’on vous fasse part de notre souhait de développer cette société sans regarder le passé.  Il y a eu de la communication. Il y a eu l’utilisation des médias. Nous, on arrive dans un contexte où on remet tout en ordre et on prépare l’avenir. Maintenant, l’objectif est de regarder droit devant. L’agence Havas (avec qui InnovHealth avait signé un contrat pour sa communication en novembre 2020) n’a pas fait son travail. C’est pour cela que nous ne travaillons plus avec eux. Havas avait dit "on ne communique pas avec Isabelle Forboteaux, avec France3". C’était une vraie erreur".

Enfin, comment ne pas terminer cette enquête sur son personnage central, Adnan El Bakri. "Né au nord du Liban dans un petit village à côté de Tripoli, au sein d’une famille modeste et arrivé en France à l’âge de 17 ans, sans argent, avec seulement une valise et des ambitions, Adnan El Bakri est naturalisé français au mérite par le Président de la République François Hollande". Sur son site, il explique ainsi son parcours. "La France m'a accueilli et m'a donné une chance et en partant de rien je me suis créé les moyens. Mon entreprise est valorisée à ce jour 30 millions d'euros, je suis fier de ce que j'ai fait. J’ai envie de laisser une trace dans ce monde"

La belle histoire deviendra-t-elle réalité ? Cette entreprise qu'Adnan El Bakri porte si haut sera-t-elle un jour, non pas sous les feux des projecteurs médiatiques, mais bien en haut de l'économie mondiale comme il l'espère ?

Beaucoup de choses restent encore à écrire.

 

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