Alors que le nouveau président Kaïs Saïed a accordé, le 30 janvier 2020, une interview en direct à la chaîne publique Al Wataniya 1, la journaliste Olfa Belhassine a participé devant des lycéens rémois à une conférence dans le cadre du festival des arts faraway.
Lorsqu'elle évoque ses conditions de travail pendant les 23 ans du règne de l'ancien président Ben Ali, Olfa Belhassine, journaliste au quotidien La presse de Tunisie et correspondante à Tunis du site internet suisse justiceinfo.net, ne peut réprimer un léger sourire, empreint d'ironie."Jusqu'au 14 janvier 2011, date de la fuite de Ben Ali en Arabie Saoudite, on ne pouvait pas parler d'information mais de propagande, à l'instar des autres dicatures, explique t-elle. On devait composer d'une part avec un ministère de l'information pour les journalistes locaux, et d'autre part avec une agence tunisienne de la communication extérieure pour les correspondants étrangers présents sur le sol tunisien."
Un manque de liberté professionnelle caractérisé par une censure littéraire, mais aussi "physique". Systématiquement, des "guides", en réalité des indicateurs, accompagnaient les journalistes pour surveiller leurs faits et gestes. Même si à la fin des années 1980, il y a avait encore des "niches" qui échappaient au gouvernement, des sujets sociaux que l'on pouvait traiter, tout s'est durci à partir du début des années 1990, se souvient-elle. Notre hiérarchie "charcutait" tellement nos articles avant publication qu'on ne les reconnaissait parfois plus, une fois dans les journaux...Comme je ne voulais pas faire de désinformation, j'ai volontairement délaissé les sujets sociaux pour fonder une révue dédiée à l'architecture, un thème moins sensible où la pression du gouvernement était quasi inexistante."
Plus aucun tabou ni interdit
Après le 14 janvier 2011, changement de personnel politique, et pour les journalistes, début d'une nouvelle ère. "Avec le départ de Ben Ali, nous sommes passés à une liberté extrême, poursuit Olfa Belhassine. Tous les tabous et les interdits sont tombés. Les sites d'associations des droits de l'homme ont eu pignon sur rue. Mais cette bouffée de liberté a un peu tétanisé les journalistes. Nous nous sommes vite posé la question : qu'allions nous faire de ces nouvelles possibilités ? Dans les toutes premières conférences de rédaction, on a assisté paradoxalement à une forme de perpléxité des journalistes face à cette "abondance" de liberté. La censure était tellement devenue un repère qu'on était un peu déboussolé. Il a fallu s'habituer à être libre."
Le retour des proches de Ben Ali dans les médias
Aujourd'hui, le ministère de l'information a disparu mais peut-on dire pour autant que les médias sont totalement libres en Tunisie ? "De nouvelles formes de censures sont apparues avec notamment le retour des proches de Ben Ali dans le monde économique et dans le milieu des médias, explique Olfa Belhassine. Au sein d'une partie de la population, on assiste à une forme de nostalgie de l'ancien régime, favorisée par l'insécurité qui règne en période révolutionnaire ainsi que par les difficultés économiques. Et certains, parmi cette ancienne garde de Ben Ali, sont aujourd'hui à la tête de médias privés. Avec à la clé des informations mises sous le tapis ou le refus de certains invités..." De leur côté, les médias publics tentent de faire de leur mieux en intégrant la déontologie et en développant le rôle des syndicats ou des médiateurs.
La presse francophone en chute libre
Mais le peuple tunisien, premier bénéficiaire de cette liberté nouvelle, profite-t-il des cette presse émancipée ? " Les médias qui marchent le plus sont les télévisions "mainstream" et certaines radios comme la radio mosaique, décrypte Olfa Belhassine. La crise mondiale que connait la presse écrite ne fait pas exception en Tunisie. De fait, les journaux sont de moins en moins lus, notamment les journaux francophone car le pays est de plus en plus arabophone et les jeunes ouverts plus que jamais sur l'anglais, la langue de l'international. Ce que je regrette car j'adore la langue française, confesse-t-elle."" J'ai beaucoup d'espoirs pour la presse tunisienne dont la situation va de pair avec l'émancipation des femmes, conclut Olfa Belhassine. Lors des obsèques de la célèbre blogueuse Lina Ben Mhenni, l'une des figures de la révolution décédée fin janvier à l'âge de 36 ans, on a vu pour la première fois des femmes porter son cercueil au grand cimetière de Tunis. C'est une image très forte que l'on ne retrouvera dans aucun pays arabo-islamique."