Un camp de migrants en plein cœur de la ville de Reims, la situation perdure depuis des années. Dans le quartier de la Verrerie, les exilés vivent dans des conditions inhumaines. Tous en quête d'un hébergement d'urgence et d'une vie meilleure en France.
 

Le long de la voie verte, sous les regards des automobilistes de passage, des enfants, des femmes et des hommes ont pour seuls logis des toiles de tente et des cabanes de fortune.
Près de 70 personnes vivent ainsi sans eau, sans toilettes et encore moins d'électricité. La météo est une inquiétude de tous les instants pour ces pères et ces mères qui tentent désespérément de mettre en sécurité leurs enfants.
 


Mohamed et Saleh sont Syriens et, avec leurs trois enfants Hadi, Mohamed et Adil, ils sont arrivés en août dernier. Ils ont fui la Syrie en guerre, sont restés 5 ans dans un camp de réfugiés au Liban avant d'arriver en Europe. L'Italie d'abord, puis la France depuis peu.

"Nous avons habité en Italie en Calabre. La première année a été misérable, explique Mohamed. Nous bénéficions d'un programme mis en place par les Nations Unis. L'association qui nous suivait devait faire en sorte que nous apprenions l'italien pour que nous puissions trouver du travail ensuite. Nous sommes allés à l'école mais après une année, on nous a dit que nous devions partir. Je leur ai demandé mais où dois-je aller ? Je dois travailler pour vivre dans la dignité et ne pas avoir à mendier ou à voler. Les responsables de l'association m'ont répondu: ça c'est ton problème pas le nôtre".
Mohamed et sa famille sont repartis sur les routes avant d'arriver à Reims.

Malgré la vie sous la tente et malgré le froid, c'est mieux qu'en Italie. C'est mieux que de voler pour nourrir mes enfants. C'est mieux que d'être dans l'illégalité et de vivre dans la rue. C'est pour cela que je suis venu en France.
- Mohamed, exilé syrien

Mohamed, Hadi et Adil ne sont pas scolarisés… Il est parfois difficile pour eux de canaliser toute cette énergie. Être enfants de 8, 7 et 4 ans et vivre depuis le début de leur vie sur un camp. Être enfants et avoir déjà connu la guerre et l'exil. Être enfant et voir ses droits bafoués même en France.
Leurs sourires et leurs regards lumineux sont, malgré tout, des signes d'espoir d'une vie qui continue.


S'inscrire en refus de ces conditions de vie

Sans eux que se passerait-il ? Sans eux comment vivraient toutes ces personnes exilées ?
Les bénévoles du camp sont là depuis 2016. Certains depuis le début.
Des tentes sur le trottoir de l'avenue Einsenhower à Reims, à l'automne 2016, au premier camp dans le parc Saint-John Perse, puis à celui de la rue Henri Paris, Géraldine, Jacques, Fabien, Philippe, Dominique, Léa, Bernard, Christian, Olivier, notamment, se relaient.
Ici on ne pleure pas avec eux, on se bat pour eux.
"C'est resté vivant et dire, je suis présent au monde en étant ici, explique Jacques, bénévole au Secours Populaire et sur le camp. C'est quelque chose qui me plait. Dire que ça me fait plaisir, non. Je ne viens jamais ici le cœur léger."

Jacques tente de discuter avec Akaki. Il a accompagné le jeune garçon et sa famille à l'Ofpra, l'Office français des réfugiés et apatrides. Ce jour-là, le jeune garçon veut lui faire comprendre qu'ils ont besoin de valises car leur départ est proche. Akaki et ses parents seront bientôt hébergés.
"Ce n'est pas de la compassion, se mettre à leur place et souffrir avec eux. Non. Mais comprendre pourquoi ils sont là, les regarder dans les yeux et voir cette souffrance. Ça c'est quelque chose de fondamentale", précise à nouveau Jacques.

Pratiquer cette solidarité c'est dire qu'on s'inscrit en refus de ces conditions de vie
- Jacques, bénévole sur le camp

Il est à leurs côtés presque au quotidien. "Ça crée des liens... Quand on ne dit pas forcément grand-chose, mais quand on est là ensemble. Quand on témoigne de la bienveillance à leur égard, ça c'est positif, autant que l'aide matérielle".
 

Les enfants sur le camp : une charge émotionnelle

Tout comme Jacques, Géraldine est sur le camp très souvent. Ce soir-là, une famille de cinq personnes vient d'arriver. Deux adultes et trois enfants en bas âges qu'il faut héberger en urgence. Les quelques couvertures qui lui restent dans sa voiture ne suffiront pas. Les jours et les nuits sont humides. Elle appelle du renfort et ne repartira pas sans être sûre que tout le monde soit à peu près au chaud. "Ça a un impact émotionnel", explique Géraldine. Le plus difficile, "ce sont les enfants qui dorment dehors et cette souffrance des parents face à cette parentalité qu'ils ne peuvent exercer vraiment."


Et les yeux de Charpoudi, justement, en disent long sur ce sujet. Papa de quatre petites filles, il vit sur le camp avec sa femme Kametta depuis deux mois.
Ses bras protecteurs n'ont de cesse d'enlacer ses filles. Son rempart face à la violence de la situation dans laquelle ils vivent depuis toutes ces semaines.
Avec leurs voisins d'infortune, ils se sont créé une nouvelle famille.
Dans la cabane juste à côté : Naïra et son fils Ahmad. Ils vivent dans leur Versailles. "Il y a trois mois, nous l'avons construit de nos mains. Tous les bénévoles, les hommes du camp, moi et mon fils. Je voulais me sentir libre, comme une reine ! Vous savez la vie est difficile. Nous devons donc mettre de la lumière dans nos vies", précise Naïra.
Elle fut la première à arriver sur le camp reconstitué du quartier de la Verrerie. C'était en juillet dernier. Naïra est comme Charpoudi, elle a fui son pays pour rester en vie, pour protéger ses enfants. Aujourd'hui, elle aspire à une seule chose.

 Je vous jure que je suis comme chaque femme. Je voudrais vivre normalement avec mes enfants. Qu'ils aillent à l'école et que je trouve du travail. Je ne veux pas plus que ça. Je voudrais travailler sans bombardement. Normalement.
- Naïra, exilée syrienne


Naïra était professeur d'anglais en Syrie. Elle parle sept langues et apprend maintenant le français.
Il y a quelques jours, avec son fils Ahmad, elle a quitté le camp. Pour Troyes, où ils espèrent débuter une nouvelle vie.
Le camp des migrants du canal de Reims perdure depuis des années. Ni l'état, ni la mairie n'acceptent de mettre en place un cordon sanitaire pour assurer le minimum d'hygiène à ces personnes.

Seuls les bénévoles et les associations rémoises, L'Armée du Salut, la Croix Rouge, le Secours Catholique, Jamais Seul, le Secours Populaire, mettent en place des actions pour les soutenir.
De l'exil à la rue… une existence que tous aspirent à quitter le plus vite possible.
 

"90% des personnes sur le camp seront déboutées", A. Robinet
Ce camp suscite beaucoup d'émoi dans le quartier et auprès de certains voisins. Pas simple, en plein été notamment, d'avoir ce "spectacle" de désolation sous ses fenêtres. Annie et Monique s'en plaignent et ont d'ailleurs, à plusieurs reprises, interpelé le maire de Reims. "Depuis le 11 juillet, on supporte les migrants, ce n'est pas facile, disent-elles. Ils viennent de la misère et qu'est-ce qu'ils ont là, la misère. C'est une galère pour eux et une galère pour nous. Nous avons fait une pétition adressée au maire de Reims. L'hiver arrive, on va attendre qu'il y ait une personne qui décède comme l'an passé ".
Du côté de la mairie, Arnaud Robinet précise "c'est une question extrêmement difficile parce que vous avez bien sûr ce côté humain et en tant qu'homme, en tant que citoyen, nous sommes très touchés par la condition de ces femmes, de ces enfants et de ces hommes qui se retrouvent dans des conditions déplorables de vie. On ne quitte pas son pays par plaisir".
Mais, "sur ce cas bien précis, sur ce que nous appelons les migrants du canal, il faut savoir malheureusement que 90% de ces personnes seront déboutées car elles ne dépendent pas du droit d'asile. Ils ne seront pas considérés comme réfugiés".

Ni cordon sanitaire, ni réquisition de logements

Même discours du côté de la préfecture où le préfet de la Marne  se dit très inquiet car "la demande d'asile a augmenté dans la Marne de 45%. Nous sommes passés de 400 à 600 et la plupart des pays d'où viennent les demandeurs, sont des pays sûrs. Donc ils n'auront pas l'asile. C'est-à-dire : la Georgie, le Kosovo, l'Albanie et bien d'autres pays. Le camp, on s'en est déjà occupé du camp. Nous allons nous occuper des déboutés, les "dublins*" de même. Et là vous avez réglé les 2/3 du problème."
Ni le maire de Reims, ni le préfet n'acceptent de mettre en place un cordon sanitaire pour améliorer à minima les conditions de vie des exilés du camp.
Arnaud Robinet précise qu'il ne saisira à nouveau la justice  pour demander le démantèlement "qu'en partenariat avec l'Etat. Quand des solutions de relogement seront possibles à Reims ou ailleurs."
Le maire enfin précise qu'il "n'a pas le pouvoir de réquisitionner. La seule chose que je peux faire c'est de mettre à disposition un local, un gymnase lorsque les conditions climatiques seront extrêmes et que nous considérerons avec le préfet et l'état que nous ne pouvons laisser des gens dormir dehors. La collectivité, la mairie comme le Grand Reims n'ont pas de bâtiments vides susceptibles d'accueillir des enfants. Là, on est dans un fantasme de réquisitions de locaux et autres. Ce n'est pas le cas et ce n'est pas possible aujourd'hui ici".  
Le camp est donc cette part variable acceptée par la préfecture et la ville lorsqu'aucune autre solution ne semble possible.

* Les "dublins ou dublinés" sont les personnes exilées qui entrent en Europe par un autre pays que la France. Leur demande d'asile ne peut donc être faite que dans ce pays d'entrée.
 
L'actualité "Société" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Grand Est
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité