Mobilisés sur le barrage filtrant du rond-point de la Garenne à Thillois, les étudiants en BTS du lycée LaSalle Reims Thillois rejoignent le mouvement de contestation des agriculteurs qui touche toute la France. Formés pour gérer une exploitation agricole, ils redoutent leur avenir.
La colère s'intensifie. De nouvelles opérations de blocages des agriculteurs sont menées un peu partout sur le territoire français, et notamment dans la capitale. La Champagne-Ardenne est concernée, avec plusieurs rassemblements prévus cette semaine.
Dans la Marne, c'est du côté de l'agglomération de Reims que se situent les principaux mouvements, notamment au rond-point de la Garenne, à Thillois, où des centaines d'agriculteurs organisent un barrage filtrant sur la N31.
Dans les deux sens, les véhicules sont presque à l'arrêt. Dans cet environnement en rase campagne, la file de camions et de voitures se voit jusqu'à la ligne d'horizon.
Au milieu, les tracteurs bordent ce rond-point surmonté d'une butte, où les manifestants, jeunes et moins jeunes font front commun. Ils sont pratiquement tous affiliés à la FDSEA et aux Jeunes Agriculteurs.
Le petit-déjeuner express est servi par les plus jeunes, sacs en papier remplis de viennoiseries à la main, et les distribuant à ceux dont le ventre est vide. C'est avant tout une bande de copains, et des camarades de classe. Ils sont élèves en BTS ACSE (Analyse, conduite et stratégie de l'entreprise agricole) au lycée LaSalle Reims Thillois, à quelques centaines de mètres d'ici.
Une quarantaine d'étudiants présents
Arrivés ce matin à six heures au rond-point, ils ont été contraints de faire un aller-retour dans leur établissement pour y passer un examen. "Ça s'est plutôt bien passé" affirment-ils. Mais c'est loin d'être la priorité du jour.
Pour eux, rejoindre un tel mouvement relève du bon sens, car tous vont devenir des agriculteurs dans les prochaines années, voire les prochains mois. "C'est avant tout une passion" estime Clément Daudré, étudiant de 2ème année. Casquette de la FNSEA vissée sur la tête, Clément n'en est pas à sa première mobilisation. Lundi 29 janvier, il était sur l'A4, à Jossigny, en Seine-et-Marne. Jeudi 25 janvier, à Château Thierry, dans l'Aisne. "On est jeunes, on est là pour se battre, et on ira jusqu'au bout. Si aujourd'hui il y a des agriculteurs qui se mobilisent depuis les quatre coins de la France pour rejoindre Paris, c'est qu'il y a quelque chose à revendiquer".
Depuis son plus jeune âge, le jeune homme aide ses parents propriétaires d'une exploitation de betteraves et de pommes de terre du sud de l'Oise. À seulement 20 ans, il est déjà conscient des nombreux enjeux qui pèsent sur sa future profession. "Le premier problème pour moi, c'est la réglementation. Un agriculteur va passer un tiers de son temps sur le tracteur, un tiers de son temps au bureau, et un tiers de son temps à régler des problèmes administratifs, des problèmes avec la DDT (la Direction départementale des territoires, NDLR), les nombreux contrôles, etc."
Aujourd'hui, on ne voit pas plus loin que le bout de notre nez. On se persuade que ça va aller, mais on n'a aucune certitude
Clément Daudré, étudiant en BTS ACSE au lycée agricole LaSalle Reims Thillois
Il poursuit : "On a l'impression aujourd'hui que les citoyens ne nous font plus confiance, on se sent un peu démunis. On travaille énormément parce qu'aujourd'hui, toutes les exploitations reposent sur des emprunts, et donc on n’a pas d'autre choix que de travailler beaucoup pour rembourser ces crédits". De son point de vue, Clément Daudré sent qu'il y a une confrontation permanente avec les services de l'Etat, et même avec la population, notamment au sujet de l'utilisation des pesticides ou sur l'épandage. "On se fait insulter dès qu'on sort un pulvérisateur, dès qu'on épand le moindre fumier. Pourtant, c'est le travail, on n’a pas le choix".
Clément insiste d'ailleurs sur les phytosanitaires. "Il y a un principe de la concurrence déloyale. On a des normes, notamment sur les NNI (les néonicotinoïdes, NDLR). Les décideurs nous interdisent ces produits-là, qui ne sont pas prohibés dans tous les pays d'Europe". Et selon lui, c'est la même chose pour les produits issus de l'agriculture, comme le lait, la viande et les légumes. "On dit que la France n'est pas autonome dans ses productions, donc on va importer des produits de l'étranger qui coûtent moins cher, qui sont plus rentables pour les grandes surfaces. Finalement, c'est de l'alimentation produite avec des moyens différents, qui amène une concurrence déloyale".
Les élus du Grand Reims en soutien
Forcément, la suite ne lui semble pas réjouissante, et la perspective de gérer l'exploitation agricole de ses parents l'inquiète. "Aujourd'hui, on ne voit pas plus loin que le bout de notre nez. On se persuade que ça va aller, mais on a aucune certitude. On se dit que si nos parents ont réussi, pourquoi pas nous ? Mais on sait pertinemment qu'il y a des risques".
Comme la quarantaine d'étudiants présents sur le rond-point, Clément attend des réponses claires, même s'il reste lucide. "Je suis conscient qu'on ne peut pas tout changer en un claquement de doigts. Mais au moins pour commencer, d'avoir une vraie équité au niveau de l'Europe".
À ses côtés, il y a Arman Fontaine, présent sur notre journal télévisé au début de la mobilisation. Lui aussi est étudiant au lycée agricole LaSalle Reims Thillois. L'air déterminé, il affirme que les opérations escargot et blocages "continueront tant qu'on n’a pas de réponses". "Tant que ça n'avance pas, qu'on ne nous proposera pas de vraies alternatives, on n’arrêtera pas" insiste-t-il.
Un discours qui tombe à pic, car au même moment, les élus et maires du Grand Reims font leur apparition sur le rond-point de la Garenne. Au milieu de ce nouvel attroupement d'hommes et de femmes couverts d'une écharpe tricolore, il y a Arnaud Robinet. Le maire de la Cité des Sacres a été élu, il y a à peine quelques heures, président de la communauté urbaine du Grand Reims.
"Avec l'ensemble de mes collègues ici présents, nous soutenons le monde agricole et nos agriculteurs" rappelant que la communauté urbaine est rurale, et que l'agriculture en est la première économie. "Nous connaissons leurs difficultés, que ce soit sur la réglementation, que ce soit sur le sujet du coût et du prix de revient. Ce n'est pas une position contre le gouvernement, c'est faire prendre conscience à nos pouvoirs publics qu'il y a trop d'administratifs, trop de réglementations, trop de technocratie qui tuent ce monde agricole dont nous avons besoin".
Sur la question de l'inquiétude des lycéens de Thillois, il se montre sans surprise élogieux. "C'est leur place ici, d'être à côté de leurs aînés [...] Ce sont eux qui vont modeler notre paysage. Oui, ils se sentent découragés, et c'est aux pouvoirs publics de les rassurer quant à leur avenir. C'est un très beau métier et nous devons être à leurs côtés et les rassurer" conclut-il.