Au moins deux personnes ont été arrêtées en marge de la marche des fiertés LGBTQIA+ (lesbiennes, gays, bisexuel(le)s, transgenres, queers, intersexes, asexuel(le)s, et autres), qui s'est tenue le samedi 18 mai à Reims (Marne). Les motifs des interpellations n'ont pas été connus immédiatement, ces dernières sont "légitimes" selon le parquet, qui invoque des "outrages".
À Reims (Marne), la marche des fiertés LGBTQIA+ (lesbiennes, gays, bisexuel(le)s, transgenres, queers, intersexes, asexuel(le)s, et autres ; termes expliqués en cliquant sur le sigle) a eu lieu le samedi 18 mai 2024. On a appris en fin d'après-midi qu'elle s'était conclue par plusieurs arrestations.
D'après les premiers éléments connus de France 3 Champagne-Ardenne, les arrestations semblent concerner des gens qui participaient à l'évènement (il y en avait près de 2 000). Au moins l'une de ces arrestations a été "violente", selon une témoin. Jusqu'au lendemain en fin de matinée, on ignorait combien de personnes étaient concernées, et pourquoi elles avaient été arrêtées.
Voici un résumé des faits, selon les éléments apportés par le milieu militant rémois et le parquet de Reims.
Dans l'après-midi : soutien devant le commissariat
Présente sur place, une membre de l'Alternative étudiante rémoise (AER), un syndicat étudiant, rapportait à France 3 Champagne-Ardenne qu'une vingtaine de personnes se rassemblait "en soutien" devant l'hôtel de police, mais que la fin de la marche des fiertés et la longue attente devant les lieux entraînait une certaine dispersion des forces en présence. Ce syndicat ne sait pas non plus combien de personnes ont été arrêtées, ni exactement pourquoi. "On n'a aucune information. On ne sait pas quand ces personnes vont sortir."
"Les policiers ont refusé de nous donner une quelconque raison. C'est extrêmement bizarre. Quand il y a une arrestation, ils doivent donner le motif. Mais là, ils ont refusé de donner les raisons, le nombre de personnes, leur identité..." Une personne en qualité de porte-parole a pu rentrer, mais a été informée... qu'aucune information ne serait donnée.
Au côté de l'AER, on retrouve l'Organisation de solidarité transgenre (OST) de Reims, une antenne récemment créée pour "défendre les droits des personnes trans, et défendre les mineurs trans", actuellement objet d'une "offensive" de la part de la droite et de l'extrême-droie au Sénat. Le site Web de France 3 avait justement interviewé une de ses membres, Colette, au sujet des droits des personnes trans peu avant le départ du cortège.
On a deux militantes qui ont été violemment interpellées par la police, pour une raison qui nous échappe.
Colette, membre de l'Organisation de solidarité transgenre (OST) de Reims
Une équipe de journalistes de France 3 Champagne-Ardenne est retournée sur les lieux, et pu questionner Colette devant le commissariat : elle fait partie du comité de soutien aux personnes arrêtées. "Juste à l'issue de la marche des fiertés, au moment où le camion avec la musique était en train de remonter, on a vu deux militantes qui ont été violemment interpellées par la police, pour une raison qui nous échappe." Elles ont été vues se faire interpeller par un policier en civil, rejoint ensuite par d'autres policiers en civil puis en uniforme.
La militante interpellée fait partie de l'OST. "On n'a absolument aucune information. On a essayé d'entrer à l'hôtel de police pour avoir des informations, mais on ne nous laisse pas rentrer et on nous dit qu'ils ne communiquent pas à ce sujet. On a eu vent d'autres interpellations à la fin de la marche, mais on n'a aucune information..." (voir en fin de l'extrait vidéo ci-dessous)
Colette avance qu'"il n'y a eu aucune provocation au sein du cortège. Notre mot d'ordre était de ne pas faire de vague et de maintenir la sécurité de tout le monde. D'autant que dans le cortège, il y avait énormément de personnes mineures : on voulait assurer leur sécurité aussi. La marche des fiertés, c'est un moment important pour toutes les personnes concernées." Elle ajoute que le collectif dont elle fait partie, outre l'accès aux droits des personnes transgenres et la défense des mineurs concernés, demande "une réelle autonomie et auto-détermination des personnes en ce qui concerne les transitions de genre, et une déjudiciarisation des changements de sexe à l'État-civil". Cette dernière mesure fait elle aussi l'objet d'une proposition de loi, cette fois de la part de la sénatrice écologiste Mélanie Vogel.
En soirée, l'attente
À noter qu'une simple retenue pour contrôle d'identité (ce qui est généralement pratiqué) dure au maximum quatre heures. Au-delà, il s'agit d'une garde à vue, d'un maximum de 24 heures (48 heures si prolongation éventuelle dans un contexte hors-stupéfiants ou terrorisme). Le comité de soutien a fini par se disperser dans la soirée.
Président de l'association LGBTQIA+ locale, Ex-Aequo, qui a contribué à organiser la marche, Samuel Tarçy a pu sembler déconcerté lorsqu'il a appris la nouvelle. "Je suis allé voir la police à la fin de la marche, pour savoir s'il y avait eu des incidents au niveau de la marche. On m'a dit qu'il n'y en avait eu aucun, et on m'a parlé de gens qui, après la marche, en se rendant au tram, ont été arrêtées alors qu'elles allaient y monter. À ma connaissance, il y a une personne qui a été arrêtée. Je n'en sais pas plus, je n'ai aucune idée de qui a fait quoi." Il précise que lors de l'édition précédente, en 2023, deux arrestations avaient eu lieu au village associatif, cette fois avant la marche.
Le lendemain matin, éclaircissements sur un "non-évènement"
Le comité de soutien a repris le dimanche 19 mai, à partir de 09h00. Il se trouvait toujours dans l'incertitude. C'est vers 11h50 que le procureur de la République de Reims, François Schneider, a communiqué auprès des rédactions "afin de rétablir l'exactitude des faits". Deux interpellations ont été officiellement confirmées. L'une pour "outrage", l'autre pour les chefs "d'outrage" et de "rébellion". Le chiffre parfois évoqué de cinq personnes interpellées viendrait d'un témoin stressé qui a vu trois personne "escortées" par la police, faussant le compte envisagé des arrestations.
La première infraction est prévue par l'article L433-5 du code pénal. Il s'agit selon la loi des "paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics [...] adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie". Le site Internet de l'administration précise que les insultes verbales, lettres d'insultes, ou menaces verbales ou écrites en font partie. Ces faits peuvent être punis d'un an d'emprisonnement, de 15 000 euros d'amende, et de travaux d'intérêt général (Tig).
L'article L433-6 du code pénal dispose de la seconde infraction, à savoir "une résistance violente à une personne dépositaire de l'autorité publique [...] agissant, dans l'exercice de ses fonctions, pour l'exécution des lois, des ordres de l'autorité publique". Les peines prévues pour ce délit vont jusqu'à deux ans de prison et 30 000 euros d'amende.
Ce faisant, le parquet précise que "la caméra-piétons des policiers [France 3 n'a pas eu accès aux images; ndlr] confirme la parfaite légitimité des interpellations et notamment la rébellion, la mise en cause tentant également de rameuter la foule contre les policiers. Tous deux portaient des T-shirt Acab et sont particulièrement peu coopératifs et revendicatifs."
"Acab" est un acronyme renvoyant ici à "All cops are bastards", et non pas à l'Association des commerçants et artisans de Bouzonville (Moselle), présente sur une base de données gouvernementale. L'expression est traduite par "tous les flics sont des bâtards". On voit ce sigle particulièrement fleurir dans nombre de manifestations plutôt du côté gauche du spectre politique. Les "poursuites correctionnelles" contre les deux personnes arrêtées devraient être annoncées "dans la journée", le procureur ajoutant qu'il voit là "un non-évènement".
La caméra-piétons des policiers confirme la parfaite légitimité des interpellations.
François Schneider, procureur de la république de Reims
Confrontée à cette prise de parole de l'autorité judiciaire, la militante Colette de l'OST, recontactée par France 3 Champagne-Ardenne, "conteste les faits d'outrage et rébellion. Deux témoins sur place ont assisté à toute la scène." Celle-ci n'a pas été filmée (par le public), et nous n'avons pas pu obtenir de témoignages tiers. "Un seul policier en civil, sans brassard, impossible à identifier en tant que policier, a barré l'entrée du tram près de la gare à notre militante et à deux autres personnes. Il était à l'intérieur, il a dit quelque chose comme 'tu montes pas'. Elles ont choisi de monter quand même. À ce moment-là, le policier en civil, sans la notifier et sans donner de motif, a poussé notre militante et l'a plaquée au sol. Il l'a violentée en maintenant un genou sur son crâne pour la maintenir au sol et en lui tordant le bras. Ses plaintes pour appeler à l'aide, selon nos deux témoins, semblent avoir été interprétées comme du rameutage."
"Deux autres policiers en civil sont arrivés. Un seul était équipé d'un brassard. Là, les gens, de leur point de vue, ont pu commencer à comprendre que ce n'était pas une pure agression par une personne non-identifiable, mais une intervention de police. Ensuite, deux policiers municipaux, en uniforme cette fois, sont arrivés pour procéder à l'interpellation."
"On n'a fait absolument aucune provocation", poursuit Colette. "Je vous ai dit qu'on assurait la sécurité de tout le monde lors du cortège : nous avons appelé à ne pas provoquer, et ne pas répondre aux provocations." Mais cette histoire de T-shirt "Acab" n'en était-elle pas une ? "Je ne sais même pas quel T-shirt elle portait", concède la militante de l'OST. "Elle avait un pull par-dessus, mais pas un pull 'Acab'. Je ne sais pas d'où vient cette information qu'elle en portait un." La photographie de notre journaliste sur place, lors d'une interview sur les droits des trans avant le départ du cortège, montre un vêtement ample noir avec un symbole féministe vert fluo.
En revanche, Colette confirme que la deuxième personne interpellée, extérieure à l'OST, "portait un T-shirt 'Acab', je l'ai vue, elle était près du tramway. Il s'agit d'un camarade connu sur les manifestations. Il portait un drapeau antifasciste autour du cou et une veste. Et a participé à la marche : il était derrière nous tout du long, en soutien de la communauté LGBTQIA+. Peut-être même qu'il l'est également, je ne sais pas, je l'ai juste vu." La police s'est approchée de lui "pour procéder à un contrôle, je suppose. Ils ont inspecté son drapeau, lui ont demandé de le retirer, puis lui ont demandé d'ouvrir sa veste. Dessous, il y avait un T-shirt 'Acab' : j'ai l'impression que ça n'a pas plu à la police. Plusieurs l'ont pointé du doigt avant de l'escorter."
Il y avait donc bien une personne portant un T-shirt "Acab", ce qui semble avoir entraîné son arrestation (ce qui ne veut pas encore dire que la justice le condamnera pour cette raison). Mais rien ne dit que c'était le cas de la militante arrêtée pour "outrage et rébellion". La réponse réside peut-être sur une pancarte cartonnée, aperçue par notre journaliste, et dont Colette reconnaît l'existence. "Il était écrit derrière, et non pas devant, LGBTQIACAB." Contraction du sigle historique de cette communauté, et de l'acronyme "Acab".
Cette association s'est faite pour une raison bien précise. "On rend hommage à l'héritage de Stonewall. La marche des fiertés, avant d'être un rassemblement festif, commémore des émeutes lancées en 1969 contre le harcèlement policier. On le dénonce encore de nos jours : notre militante est littéralement harcelée par la police. À chaque mobilisation, c'est à elle qu'on s'attaque en tant que personne trans et racisée [selon les définitions, pouvant être victime de racisme ou non-blanche; ndlr]. Elle est exactement dans le modèle des personnes qui, à Stonewall, étaient harcelées par la police. Ce sont beaucoup de personnes trans et racisées qui ont lancé ces émeutes, qui ont fait avancer les droits LGBTQIA+ à l'international. Se revendiquer de cet héritage, c'est demander l'arrêt de la criminalisation de nos luttes, et un accès à l'égalité des droits." Cette personne avait déjà fait l'objet d'une arrestation au début de la précédente marche des fiertés, ainsi qu'à d'autres rassemblements politiques : le collectif rémois de La Voix des Hyènes est revenu dessus sur Instragram.
Midi passé : les libérations
Peu après midi, le militant antifasciste (qui ne faisait pas partie de l'OST) est ressorti du commissariat. Son T-shirt "Acab" avait été saisi, de même que son drapeau anti-fasciste. Il est convoqué au tribunal correctionnel pour "outrage", le lundi 09 décembre (voir localisation du commissariat sur la carte ci-dessous).
La militante de l'OST était toujours en garde à vue à ce moment-là. Elle "va bien", selon le gardé à vue qui a pu sortir et découvrir son comité de soutien. "On est surtout là pour la soutenir personnellement", a précisé Colette à France 3 en évoquant la militante de l'OST. "On lui a ramené des vivres. C'est une personne végane, et on n'était pas certaines et certains que la police pourrait lui donner à manger à sa faim et en respectant son régime alimentaire."
C'est sur les coups de 13h00 qu'elle a finalement été libérée. Comme son comparse, elle sera jugée le lundi 09 décembre pour "outrage", ainsi que plus spécifiquement pour elle, "rébellion". L'OST a confirmé qu'elle "allait bien", ajoutant qu'un médecin légiste doit maintenant attester "des blessures aux coudes et à la tête" qui auraient été reçues au cours de l'interpellation, et qui auraient été constatées verbalement par le médecin de garde au commissariat.
L'OST a également précisé que sa militante ne portait pas un T-shirt "Acab" (du reste, il aurait sans doute été confisqué), mais affichant une version humoristique du personnage robotique R2D2 dérivé de l'univers de Star Wars (La Guerre des étoiles). La pancarte n'a pas été saisie (bien que la militante ne l'avait pas à sa sortie), mais apparait vraisemblablement sur les images de la police qui seront communiquées aux juges lors du procès en décembre.
"Acab" : un précédent récent
La situation rappelle celle survenue au début du mois de mai, quand une étudiante de l'antenne rémoise de Sciences-Po avait été arrêtée et emmenée au commissariat. La situation avait été assez floue, avant qu'on apprenne qu'elle avait été emmenée pour "outrage à agent", après avoir scandé dans un mégaphone "Acab".
Ce slogan, expliquait Radio-France, vise à dénoncer une domination voire une "brutalité" systémiques, émanant de l'État, bien plus qu'un appel individuel à la haine contre chaque homme porteur d'un uniforme. Le parquet de Reims, dirigé par le procureur François Schneider, semble ne pas partager ce constat et y voir les "lettres d'insultes et menaces verbales ou écrites" prévues par le code pénal. Il avait rappelé à France 3 "la justification de cette arrestation" (de début mai) et qu'on ne pouvait "pas laisser passer ça".
La militante de Sciences-Po sera jugée le vendredi 07 juin. Son procès-verbal (PV) indique qu'une amende de 500 euros est réclamée par le parquet. Le procureur avait précisé qu'"elle n'est pas connue des services de police. C'est pourquoi la somme demandée est plutôt symbolique. Mais en cas de récidive, le risque est beaucoup plus grand." Ce qui pourrait ne pas être le cas au procès de décembre.
Ces infractions sont très souvent relevées actuellement et sont de plus en plus courantes.
Aurore Artaud, avocate
L'avocate commise d'office de cette jeune étudiante, maître Aurore Artaud, relevait que "les infractions d'outrage sur personnes dépositaires de l'autorité publique [...] sont très souvent relevées actuellement et sont de plus en plus courantes".
Article trop long ? Voici un résumé
- Après la Pride de Reims, des arrestations ont eu lieu. Il a fallu longtemps avant de savoir pourquoi et combien de personnes étaient concernées.
- Le procureur François Schneider est venu préciser que les interpellations s'étaient faites en toute légitimité et qu'elles étaient justifiées par la visibilité de sigles "Acab". Ils sont jugés injurieux pour les policiers et constitutifs d'outrage.
- Le collectif d'une des deux personnes interpellées dénonce une arrestation brutale et se défend de toute provocation. La mention "Acab" accolée au sigle LGBTQIA renverrait aux émeutes de Stonewall, dues à un raid policier sur un bar gay en 1969, conduisant aux premières marches des fiertés.
- Un procès pour "outrage et rébellion" aura lieu au mois de décembre.