Une marche des fiertés LGBTQIA+ pour protéger les enfants transgenres... et aider la vie "pas facile" des adultes

Fondée au début du mois de mai, l'Organisation de solidarité trans (OST) de Reims (Marne) a participé à sa première marche des fiertés LGBTQIA+. Elle s'est élancée de la gare ce samedi 18 mai, peu après 14h00, pour participer à un moment de fête, mais aussi et surtout pour porter des revendications alors que le contexte est très sensible.

Une constellation de drapeaux colorés. Une nébuleuse de femmes et d'hommes transgenres (qui se sentent du genre opposé à celui de leur naissance), sans oublier celles et ceux ne se reconnaissant pas dans cette binarité, comme les personnes agenres, genderfluid, ou encore non-binaires.

Tous ces gens souriaient en ce début d'après-midi du samedi 18 mai 2024. C'était leur journée, festive et en musique, mais également revendicative. Et c'est le cas cette année plus que d'autres, car le sujet de la transidentité a fait la une des journaux et tourné en boucle sur certains plateaux télévisés, avant que cela ne suscite une "contre-offensive" dans les rues

Il est donc compréhensible qu'à Reims (Marne), lors de cette marche des fiertés LGBTQIA+ (lesbiennes, gays, bisexuel(le)s, transgenres, queers, intersexes, asexuel(le)s, et autrestermes expliqués en cliquant sur le sigle), les drapeaux transgenres étaient agités avec plus de vigueur que d'habitude. Que les slogans de leurs porteurs et porteuses étaient décuplés au départ du square situé devant la gare. En tout, 2 000 personnes ont marché ce jour-là.

Rendre visibles les invisibles

Une antenne à la création récente, l'Organisation de solidarité transgenre (OST) de Reims, était notamment présente. Difficile de la rater avec sa grande banderole écarlate. Peinte en grandes lettres dessus, l'inscription "Protect trans kids", faisant référence aux jeunes mineurs transgenres, interpelle. 

Colette, membre de cette OST de Reims, prend la parole pour nous expliquer que la création de cette antenne "répond à une demande de militantisme local pour acquérir de nouveaux droits et défendre ceux déjà existant pour les personnes trans. On veut aussi offrir un accompagnement aux personnes un peu perdues, car Reims est un désert médical pour les personnes trans." Derrière elle, une jeune manifestante qui entend l'interview fait remarquer bien fort qu'"on existe". Le besoin de visibilité est fort. Et il reste nécessaire de "lutter"

"Au niveau international, la marche des fiertés, c'est un jour de lutte avant d'être un moment festif. C'est une commémoration des émeutes de Stonewall. Et nous revendiquons cet héritage de lutte. Stonewall a été lancé par énormément de femmes trans racisées [selon les définitions, pouvant être victime de racisme ou non-blanche; ndlr] contre la violence de l'État, et notamment de la police." Le film à succès de Roland Emmerich, réalisateur gay connu pour ses films catastrophes, avait d'ailleurs été accusé d'avoir invisibilisé ces personnes

La transphobie aujourd'hui peut cacher l'homophobie demain

"Il est totalement légitime de s'attendre à un moment festif. Mais pour nous, c'est la journée pour conquérir de nouveaux droits pour toute la communauté LGBTQIA+." Car si les couples homosexuels peuvent se marier et adopter, et que les discriminations sont censées être punies tous comme les propos haineux, tout n'est toujours pas rose en 2024. Encore moins pour les personnes transgenres. 

Colette déplore qu'"en ce moment, on fait face à une offensive transphobe d'une ampleur énorme, sur des médias réactionnaires mais aussi plus généralistes. Elle se traduit aussi par des dépôts de propositions de lois transphobes par Les Républicains et le Rassemblement national. Ils souhaitent interdire l'accès à la transition par les mineurs trans." Le but affiché est de défendre les enfants, un sujet évidemment consensuel. Ici, ce sont les bloqueurs de puberté qui sont mis en cause (on parle de "panique morale").

Colette rappelle que la littérature scientifique (ici coréenne) ne semble pas relever de troubles cérébraux, génitaux, ou osseux ; et que ces bloqueurs ne sont "pas interdits aux mineurs cisgenres qui en prennent depuis des années". Ils permettent de retarder l'apparition de caractères sexuels (pousse des seins ou des testicules, apparition de poils...) pouvant causer des dysphories de genre chez les jeunes, en attendant qu'ils soient assez âgés pour prendre leurs décisions (comme la prise d'hormones). La puberté peut reprendre si ces bloqueurs ne sont plus pris, le processus est donc présenté comme "réversible".

"Cela peut sembler être une question identitaire qui ne touche que très peu de personnes", mais cela va bien au-delà. Du reste, Colette ne s'y trompe pas. "Ça s'est vu dans d'autre pays. C'est une première étape dans l'interdiction de toutes les transitions. Et un véritable cheval de Troie pour attaquer l'autonomie des corps, notamment celui des femmes et l'auto-détermination des personnes." 

Elle craint aussi qu'ensuite, ce soit au tour des personnes homosexuelles de voir leurs droits menacés. "Ce qu'on voit aujourd'hui en cours avec l'offensive transphobe, c'est strictement la même chose qu'avec la Manif pour Tous. La sénatrice à l'initiative du projet de loi des Républicains s'est prononcée en défaveur du mariage pour tous, de l'interdiction des thérapies de conversion... Ça devrait alerter toutes les personnes homosexuelles" qui ne seraient pas transgenres. 

Contre les idées reçues, pour l'égalité des droits

"Nous sommes donc là aujourd'hui parce que la prise en charge trans, en France, est encore compliquée. On n'a pas encore d'autorisation de mise sur le marché de la plupart des hormones dont nous avons besoin."  Colette explique qu'il faut donc parfois prescrire des médicaments "pas adaptés", destinés en principe aux femmes ménopausées. D'autres doivent carrément se fournir à l'étranger, évidemment à leurs frais.

"Les enfants trans sont encore limités par l'autorisation parentale, même en ce qui concerne leur transition sociale à l'école : la circulaire Blanquer, pour nous, ne va donc pas assez loin." Elle prévoit de laisser à l'élève le choix de son prénom ou de sa tenue vestimentaire (genrée), mais sa première version était jugée plus protectrice des enfants. "On devrait accepter l'autodétermination des enfants dans un principe supérieur du droit des enfants réel et effectif."  

La nécessité de passer par les tribunaux pour changer la mention de son sexe administratif sur sa carte d'identité est aussi vue comme un problème (pour changer son prénom, un passage plus simple devant la mairie est possible). "On rejoint la sénatrice écologiste Mélanie Vogel qui a déposé une proposition de loi pour déjudiciariser ce changement de sexe à l'État civil." Le mot d'ordre transversal, c'est "suivre l'autodétermination des personnes, le respect de leur autonomie, y compris dans leur parcours social et médical". Le prochain rapport de la Haute autorité de santé (HAS) est d'ailleurs très attendu, des organisations des milieux trans ayant été consultées pour son élaboration, notamment sur le sujet de l'endocrinologie. Actuellement, seule une poignée de structures permet un accompagnement serein et de qualité, comme la maison de santé dispersée de Lille-Moulins

La gratuité supposée d'une transition de genre n'est pas non plus avérée. Au contraire, cela coûte plutôt cher, malgré la prise en compte de la transidentité dans les affections de longue durée ("ce n'est pourtant pas une maladie et l'homosexualité était considérée de la même manière", tient à rappeler Colette). Cette ALD hors-liste (dite ALD 31), parfois refusée par l'Assurance-Maladie, et "seul moyen pour nous de voir une partie de nos traitements pris en charge", peut permettre d'obtenir un remboursement partiel de certaines instances. Par exemple pour les épilations définitives au laser (pour la barbe seulement) ou pour les opérations de chirurgie (ticket modérateur, il peut rester des milliers d'euros en reste à charge). À noter que dans leur immense majorité, ces procédures de chirurgie sont réservées aux adultes (avec d'importants délais d'attente) et ne peuvent pas concerner les mineurs.

Transitionner n'est ni libre, ni gratuit, ni facile.

Colette, membre de l'Organisation de solidarité trans (OST) de Reims

"La Sécurité sociale", en dehors des ALD, "prend déjà en charge des actes médicaux qui relèvent de l'autodétermination : accès à l'avortement ou à la contraception. Ce que nous demandons, c'est la démédicalisation de la transition, et qu'elle soit considérée de la même manière. Que ce soit une question d'autodétermination, d'autonomie, de bien-être, et d'accès à une vie stable et intégrée. Transitionner n'est ni libre, ni gratuit, ni facile. C'est encore un parcours du combattant." 

L'intersectionnalité des luttes

À Reims, une autre association, Ex-Aequo, a pignon sur rue. On lui doit notamment le festival des Bisqueers roses. Colette lui sait gré d'"organiser des animations autour des questions LGBT, mais elle ne va pas militer dans la rue au sein du mouvement social. Nous, on revendique de le rejoindre, d'avoir cette posture et d'aborder des questions comme l'anti-impérialisme ou l'anti-capitalisme. On s'axe sur des revendications sociales, tout simplement parce que les personnes trans font partie du corps social. On ne reste pas à côté. Nos problématiques sont communes : emploi, logement. Il faut les prendre à bras-le-corps. On a une approche transversale de ces questions."

Le collectif revendique donc être féministe, et même "transféministe", précision importante quand une partie des féministes actuelles se retournent contre les femmes trans en les accusant de les invisibiliser ou de les mettre en danger, voire écrivent des pamphlets massivement relayés.

L'OST "lutte aussi pour les droits de toutes les personnes minorisées et racisées". Un écho à un article de L'Union qui s'étonnait de voir les personnes transgenres manifester le 1ᵉʳ mai ou pour le peuple palestinien. "On avait un mot d'ordre clair : cesser les attaques contre les personnes déjà assez précarisées : retraités, minimas sociaux, chômeurs... dont nous faisons aussi partie. Et comme nous sommes pour l'autodétermination des personnes, nous voyons la même chose à Gaza : l'autodétermination du peuple palestinien. Pour nous, il y a un continuum." (voir le lieu de départ du cortège sur la carte ci-dessous)

Les marches des fiertés restent des évènements politiques malgré leur caractère festif. Par ailleurs, l'une des membres de l'OST de Reims a été arrêtée par la police quelques heures plus tard, dans des circonstances que nous avons tenté d'expliquer dans un article connexe. Le collectif participera à un nouveau rassemblement le dimanche 26 mai, deux jours avant l'examen de la proposition de loi controversée au Sénat. 

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