TEMOIGNAGE. "L'asexualité, ça n'empêche pas de tomber amoureux, et ce n'est pas synonyme d'abstinence"

Miette est asexuelle. Une orientation mal connue, qui fait l'objet d'une semaine entière de visibilité jusqu'à ce dimanche 29 octobre. France 3 Champagne-Ardenne lui a donné la parole.

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Du dimanche 22 au dimanche 29 octobre 2023, c'est la semaine de la visibilité asexuelle. Cette orientation n'est pas forcément très bien connue du grand public, et manque de représentation dans les médias et la fiction.

France 3 Champagne-Ardenne s'est rapprochée de Miette. Elle porte fièrement les couleurs asexuelles, c'est-à-dire le noir, le gris, le blanc et le violet. Sa définition de l'asexualité, "c'est le fait de ne pas ressentir d'attirance sexuelle pour qui que ce soit. Ça n'empêche pas de tomber amoureux, et ce n'est pas synonyme d'abstinence non plus : l'asexualité est un spectre et il y a plein de façons différentes de l'être."

Voilà le cadre posé. Si Miette parvient à définir le terme - se définir - avec une certaine facilité, en se sentant bien dans ses baskets, il faut savoir que ça n'a pas toujours été le cas. "Comme beaucoup d'asexuels, je n'ai pas vraiment compris que je l'étais : j'ai compris que les autres ne l'étaient pas. Par exemple, je pensais que les gens qui disaient être en manque de sexe le disaient pour rire ou pour se vanter d'avoir des relations sexuelles. Je n'avais pas du tout compris que c'était à prendre au pied de la lettre. Et encore aujourd'hui, je trouve ce concept étrange", ajoute-t-elle avec amusement.

Poser un terme sur ce que l'on ressent

Évidemment, il demeure beaucoup d'idées reçues. La très colorée et bienveillante chaîne Youtube Paint vient y répondre en donnant la parole aux personnes concernées. Et c'est très instructif (voir la vidéo ci-dessous avec trois témoignages croisés). 

Le déclic est venu d'un article de Madmoizelle, un site d'actualités et de socialisation très actif durant les années 2010 (et encore aujourd'hui). L'article s'intitule L’asexualité, qu’est-ce que c’est ? et a été publié à l'origine en 2013. Toujours pertinent, il a été republié en 2023, plus précisément le 6 avril, journée internationale de l'asexualité (qui ne tombe pas pendant la fameuse semaine de visibilité). Miette, qui l'a découvert en 2016, indique s'y être "reconnue à 98%". Elle avait 18 ans. Autant d'années qu'il lui a fallu pour comprendre qu'elle n'avait pas de problème, et que ce qu'elle ressentait était légitime. 

La grande famille des LGBTQIA+

Libération fait usage du sigle LGBTQIA+ (lesbiennes, gays, bisexuel(le)s, transgenres, queers, intersexes, asexuel(le)s, et autres ; termes expliqués en cliquant dessus). Mais au sein de la communauté, cette appartenance ne fait pas forcément consensus. 

Miette en est bien consciente. "J'appartiens en effet à la communauté LGBT+, pour plusieurs raisons, pas seulement mon asexualité. La question de l'appartenance des asexuels à la communauté fait débat parce que l'asexualité touche à une sphère plus privée que d'autres orientations sexuelles ou identités de genre. On ne me refusera pas d'appartement, on ne m'insultera pas dans la rue parce que je suis asexuelle par exemple, et je comprends que des gens qui ont vécu ça aient du mal à considérer l'asexualité." 

Mais elle fait montre d'un vécu commun, de problématiques similaires à celles rencontrées par les autres lettres de ce sigle. Neon Mag évoque même le risque de viol correctif, souvent associé aux lesbiennes. "L'asexualité partage avec le reste de la communauté LGBT+ le fait d'être une orientation sexuelle minoritaire et invisibilisée par les normes sociales hétérosexuelles. Selon moi, on peut tout à fait lutter contre ces normes ensemble, contre les discriminations et pour l'inclusivité, et l'éducation aussi."

J'ai grandi dans un monde [...] où le prince finissait toujours par épouser la princesse et avoir des enfants. Ma vie aurait été bien plus simple si j'avais su dès le début que ce n'est pas la seule et unique option.

Miette, asexuelle (et qui a mis du temps à le comprendre)

"J'ai grandi dans un monde où la représentation queer [toute personne qui n'est pas hétéro et pouvant appartenir à la sphère LGBTQIA+, pour faire simple; ndlr] n'existait pas, où le prince finissait toujours par épouser la princesse et avoir des enfants. Ma vie aurait été bien plus simple si j'avais su dès le début que ce n'est pas la seule et unique option, et je pense que toutes les personnes de la communauté LGBT+ seront d'accord avec moi sur ce point."

(Se) comprendre puis s'affirmer

Miette a fini par se rendre à la Marche des fiertés, ou Pride. Sa première, c'était pendant l'été 2022. "Il a fallu attendre que je découvre d'autres aspects de mon identité pour me sentir légitime à aller à la Pride, qui est pourtant un évènement ouvert à tout le monde... Mais j'étais tellement, tellement heureuse de voir d'autres personnes asexuelles et de pouvoir leur parler. Avant ça, je n'en connaissais que par Internet. Et le fait d'en voir en vrai, de ne plus se sentir seule au monde, avoir la certitude absolue que c'est pour de vrai et pas juste dans ma tête, c'était fantastique."

Qui dit LGBTQIA+... dit donc coming-out (révéler son orientation à son entourage), même si ce n'est absolument pas obligatoire. "Dans la mesure où le coming-out consiste à dévoiler son identité de genre ou son orientation sexuelle, je pense qu'on peut tout à fait parler de coming-out asexuel. Au niveau des réactions, en général, je dois expliquer ce qu'est l'asexualité, parfois démonter des clichés. Mes amis ont tous très bien réagi, mais ils sont également queers pour la majorité d'entre eux, ça aide. Ma famille a eu du mal à comprendre ce que ça changeait, d'être asexuel, mais ils ont bien réagi aussi. Je ne suis pas out [ne pas en faire état publiquement] au travail."

Peu à peu, sur son sac en toile (tote-bag), plusieurs petits badges colorés sont apparus. Au fur et à mesure que l'orientation, l'identité de Miette s'affirmait. "J'ai un certain nombre de badges liés à mon identité queer. Ils me rappellent le chemin parcouru pour me comprendre, et servent de signe de reconnaissance pour les personnes queers que je pourrais croiser. Je sais l'importance de croiser d'autres personnes qu'on sait queer, on se sent moins seul et plus en sécurité." Tout sourire, elle compare ce sentiment d'appartenance au fait de croiser quelqu'un d'autre de sa nationalité quand on est à l'étranger. 

Être asexuel(le) dans un monde très sexuel

Ces petites touches de couleur (lui) font du bien, dans un monde très hétéro-centré, et où s'imagine difficilement une relation de couple sans faire l'amour. C'est le pourquoi de cette semaine si particulière. "L'asexualité est une orientation encore trop peu connue, d'où l'importance d'une semaine de la visibilité pour en parler. Il me semble évident que notre monde est très tourné vers la sexualité. Elle est dans presque chaque fiction, chaque publicité, et est encore trop souvent considérée comme un passage de la vie et des relations complètement obligé." Alors que non : certaines personnes s'en passent très bien. 

Avec le temps qui passe, des modèles et de la représentation ont fait leur apparition dans les séries télévisées et les livres. Et même dans quelques manuels scolaires. "Quand j'ai grandi, les programmes scolaires et les interventions d'éducation sexuelle parlaient exclusivement d'hétérosexualité. Je sais que ça a un peu changé, mais je ne crois pas que ça parle beaucoup d'asexualité pour autant... Pourtant, c'est nécessaire."

"De même que la représentation fictionnelle est nécessaire, pour comprendre qui on est et ne pas se sentir seul." Pour que, pour paraphraser le ressenti de Miette, la petite fille ne se sente pas mal à l'aise quand elle ne comprend pas pourquoi ce rôle suranné de princesse consistant à attendre le prince, faire des galipettes avec lui, et donner des héritiers au royaume... ne semble pas être fait pour elle.

La représentation fictionnelle est nécessaire, pour comprendre qui on est et ne pas se sentir seul.

Miette, asexuelle (et lectrice acharnée)

Une actrice ou un footballeur qui révèle ne pas suivre le schéma classique de l'hétérosexualité (ou de l'identité cisgenre, c'est-à-dire correspondre au genre attribué à la naissance), ce n'est plus si rare, et cela montre à tout le monde que c'est possible. Que l'on peut trouver du courage à s'affirmer en s'identifiant à ces figures publiques. Mais en ce qui concerne l'asexualité, "je n'en connais pas. Il existe quelques personnalités à l'être publiquement, j'ai cherché sur Internet, mais aucune n'est célèbre comme un Ian McKellen [Richard III, sagas du Seigneur des anneaux ou X-Men;gay, ndlr] ou une Kristen Stewart [Panic Room, Into the Wild, saga Twilight; bisexuelle, ndlr]."

"Les personnages historiques, c'est encore pire, c'est déjà très difficile de les identifier comme gay/bi/lesbiennes, alors asexuels, ce n'est même pas la peine." On cite parfois Nikola Tesla, le génial inventeur (découvreur) de l'électricité, pas très bien considéré à son époque et éclipsé par Thomas Edison. Il aurait été asexuel. Heureusement pour Miette et les siens, on trouve aussi des modèles dans la littérature.

"En fiction, je recommande vivement les romans L'Année solitaire et Loveless d'Alice Oseman, elle-même asexuelle, qui parlent du sujet. Il y a aussi une très bonne représentation dans Six of Crows [Leigh Bardugo; ndlr] et L'Assassin royal [Robin Hobb; ndlr]. Et j'ai écrit un roman avec un personnage asexuel aussi, Robin Hood, sur Vivlio Store." Miette y réinterprète la légende de Robin des Bois en y incluant plus de diversité. Il n'y a pas que la version Disney ou de Matt Pokora, après tout. 

Sans oublier la télévision. En France, la série Ici tout commence a fait beaucoup parler en proposant parmi les personnages principaux un élève en école de cuisine asexuel, Eliott, interprété par Nicolas Anselmo. Ces thèmes sont donc abordés dans la série, diffusée à une heure de grande écoute sur TF1. Pas en reste sur le thème, France Télévisions propose la série Mental

Faire taire les médisances

Malgré cette visibilité accrue, des réflexions peu charitables sur l'asexualité continuent de circuler. Certaines personnes se moqueront d'aller rajouter une énième lettre ou catégorie à la communauté LGBTQIA+, ou de besoin de revendiquer une telle identité. "Cette catégorie est utile à au moins 1% de la population et ne fait de mal à personne", rétorque Miette. "Libre à vous de ne pas l'utiliser pour vous si ça ne vous est pas nécessaire, mais merci de respecter."

À noter que si le 1% correspondait à la population mondiale, cela représenterait 80 millions de personnes. Si l'asexualité était un pays, il serait donc aussi peuplé que l'Allemagne ou la Turquie. Et si c'était une ville à l'échelle française, ce serait l'agglomération de Nice. Minorité, peut-être. Mais invisible ou négligeable, certainement pas. 

Je n'en ai rien à foutre de l'hétérosexualité. Pourtant elle m'est imposée par quasiment toute la fiction, la culture, la radio, les pubs, les couples d'ados dans la rue et les questions intrusives de ma grand-mère aux repas de famille.

Miette, asexuelle (et contemporaine d'un monde très sexuel)

Aux gens qui "s'en fichent" des orientations des uns et des autres, elle répond, assez directe, que "moi, je n'en ai rien à foutre de l'hétérosexualité. Pourtant elle m'est imposée par quasiment toute la fiction, la culture, la radio, les pubs, les couples d'ados dans la rue et les questions intrusives de ma grand-mère aux repas de famille. Si j'endure ça, vous pouvez supporter qu'on parle de sujets queers de temps à autre."

L'asexualité et le couple, c'est tout à fait possible

Et l'asexualité n'est pas une orientation "faute de mieux" en attendant de rencontrer "la bonne personne" (pseudo-argument parfois avancé auprès aux lesbiennes qui n'auraient juste pas encore rencontré l'homme de leur vie). Ces fameuses "bonnes personnes", Miette en a d'ailleurs rencontrées. Ce qui ne la rend pas moins asexuelle qu'une autre. "Au début de ma vie sentimentale, j'avais peur que mon asexualité soit un frein et créé un rejet. Mais ça n'a pas été le cas, c'est tout à fait possible d'être asexuel en couple avec quelqu'un qui ne l'est pas. Il faut juste beaucoup de communication." 

On peut donc être en couple sans avoir de relations sexuelles. Lesquelles ne se résument pas forcément à X minutes de préliminaires suivies de la sacro-sainte pénétration : il existe bien plus d'horizons. "Être asexuel ne signifie pas forcément ne pas avoir de relations sexuelles. La majorité des personnes asexuelles en ont. Il n'y a aucun lien avec le souhait de fonder une famille ou non. Le couple ne se résume pas au sexe, il y a plein d'autres moyens de passer des moments intimes ensemble." (en voici une suggestion sur le gif ci-dessous)

Un bon élément de comparaison pour mieux comprendre serait... une bonne part de gâteau au chocolat (ou la pizza si vous préférez ça et voulez vous référer au gif juste ci-dessus). "L'asexualité concerne le désir, pas les actes. La comparaison du gâteau est donc excellente. Être asexuel, c'est comme ne pas avoir faim. Jamais. Maintenant, peut-être que si votre partenaire vous a préparé un délicieux gâteau au chocolat, vous allez quand même en manger. Pas parce que vous avez faim, mais pour partager un bon moment. Pour savoir quel goût ça a : d'ailleurs on peut apprécier le goût même sans avoir faim..."

"À l'inverse certaines personnes ne veulent pas manger de gâteau du tout, et c'est tout à fait OK. Leur partenaire peut manger le gâteau tout seul, ou pourquoi pas avec quelqu'un d'autre si tout le monde en a parlé et est d'accord..." Si toutes les problématiques de la vie pouvaient s'expliquer aussi simplement, le monde y gagnerait sans doute en entente et en compréhension. 

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