Arrestation justifiée ou tentative d'intimidation ? Une étudiante de Sciences Po du campus de Reims a été interpellée après avoir participé à la manifestation du 1ᵉʳ mai. Un événement qui a soulevé la colère des syndicats étudiants. Mais que s'est-il réellement passé ?
Ce premier mai 2024, Sam (le prénom a été modifié) avait un programme bien précis : manifestation le matin et révisions l'après-midi. "Je n'aurais jamais imaginé me retrouver pendant cinq heures en garde à vue", nous confie cette étudiante de Sciences Po en première année sur le campus de Reims.
"Ils m'ont plaquée contre une voiture en me disant que j'étais en état d'arrestation"
Sam, étudiante placée en garde à vue
Tout a commencé, nous raconte-t-elle, devant la Maison des syndicats où certains manifestants avaient choisi de passer un moment convivial à la fin du rassemblement. "Je suis sortie avec une amie. Nous avons vu un groupe d'hommes qui nous regardaient fixement. Ils sont venus vers moi et, tout à coup, ils m'ont plaquée contre une voiture en me disant 'vous êtes en état d'arrestation'. Je ne comprenais pas du tout ce qui se passait".
Ces policiers, en civil, passent les menottes à la jeune femme de 19 ans devant son amie qui filme la scène. La vidéo a pu être visionnée par une journaliste de France 3 Champagne-Ardenne qui a constaté que cette arrestation s'est déroulée dans le calme et sans violence. Il est alors 12h40, heure à laquelle commence la garde à vue de Sam. Elle prendra fin à 17h50.
La jeune fille nous décrit cinq heures plutôt éprouvantes. "Il faisait vraiment froid et on m'a dit que je ne pouvais pas récupérer ma veste, car elle avait des lanières dont j'aurais pu me servir pour me suicider", nous raconte-t-elle avec une pointe d'ironie. Ses médicaments contre les crises d'angoisse lui sont également refusés d'après son récit.
Une arrestation pour "outrage à agent"
L'audition, en revanche, se déroule plus sereinement. L'étudiante apprend qu'une vingtaine de personnes ont organisé une manifestation de soutien devant l'Hôtel de Police. "On m'a dit que j'avais un petit comité de soutien sur le parvis, ça m'a fait chaud au cœur".
La jeune femme a déjà été informée dans la voiture qu'elle était arrêtée pour "outrage à agent". Elle découvre les propos qu'on lui reproche. "Le policier qui m'a auditionnée m'a demandé si j'avais scandé 'ACAB' au mégaphone durant la manifestation, j'ai répondu que oui".
"Pour moi, dire ACAB n'est pas un appel à la haine"
Sam, étudiante de Sciences po placée en garde à vue
Cet acronyme anglais signifie à l'origine "All Cops Are Bastard" ("Tous les flics sont des bâtards"). Mais Sam affirme qu'elle ne visait pas les policiers présents lors de cette marche rémoise et surtout, qu'elle n'y voit pas une injure : "Tout le monde sait que ACAB est un slogan politique qui vise à dénoncer les abus policiers, notamment lors des manifestations, c'est tout l'inverse d'un appel à la haine".
Les forces de l'ordre lui reprochent également d'avoir crié "à bas les flics", une erreur d'après Sam. "Ils ont cru que j'avais dit cela dans une chanson, mais ils ont mal compris".
Une convocation pénale
À l'issue de sa garde à vue, Sam reçoit une convocation devant le juge pénal pour le 7 juin prochain. Cette convocation par procès-verbal indique qu'une amende de 500 euros est sollicitée par le Parquet.
Cette peine proposée reste très inférieure à la peine maximale prévue par le code pénal. Un outrage à agent dépositaire de l'autorité publique peut être puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
"Elle n'est pas connue des services de police " explique François Schneider, Procureur de la République de Reims "c'est pourquoi la somme demandée est plutôt symbolique. Mais s'il y a récidive, elle risquera beaucoup plus".
Aurore Artaud, l'avocate commise d'office qui a assisté Sam, préfère ne pas commenter cette orientation. Mais elle ne se montre pas surprise par l'arrestation de l'étudiante : "Les infractions d'outrage sur personnes dépositaires de l'autorité publique (...) sont très souvent relevées actuellement et sont de plus en plus courantes."
Une arrestation pour intimider les étudiants ?
Pour Sam, cette garde à vue a clairement pour but d'affaiblir la mobilisation des étudiants en faveur d'un cessez-le-feu à Gaza, qui ne cesse de prendre de l'ampleur. "Quand je suis sortie, on en a beaucoup parlé, on était très en colère. Ils essaient de nous intimider, mais c'est complètement contre-productif ".
Si elle dit rester aussi déterminée qu'auparavant, elle assure que cet événement a motivé certains étudiants, moins investis, à se mobiliser davantage.
Dans un communiqué de presse, le syndicat étudiant AER (Alternative Etudiante Rémoise) dénonce une arrestation qui se déroule "dans un contexte de répression plus globale" à l'encontre des étudiants.
"Cette arrestation n'a rien d'exceptionnel"
Frédéric Chesneau, syndicat Alliance Police Nationale
Toutefois, du côté des forces de l'ordre, on se défend de toute volonté politique. "Ce type d'arrestation n'a rien d'exceptionnel, même s'il n'y en a pas à chaque manifestation", explique Frédéric Chesneau du syndicat Alliance Police Nationale.
La communication du commissariat de Reims affirme également "qu'à partir du moment où un délit est constitué, on doit traiter ce délit. Or, on a constaté un certain nombre de propos qui relèvent de l'outrage."
Même position du côté du Parquet de Reims qui estime que "cette arrestation est 100% justifiée". "Ce sont des étudiants à Sciences po, affirme le procureur de la République, ils savent très bien ce que 'ACAB' veut dire. On ne peut pas laisser passer ça".