Ils devaient se rendre au procès et au délibéré dans l'affaire de l'explosion d'un immeuble quartier Wilson à Reims en 2013. Omar Laidouni et son fils, frère et neveu d'une des victimes, n'ont pas obtenu leur visa pour assister à l'audience et se porter partie civile. Une décision difficile à comprendre pour cette famille vivant en Algérie.
Le 28 avril 2013, dans la journée, un appel de France bouleverse la vie d'Omar Laidouni et de sa famille vivant à Skikda en Algérie. Rachida est morte dans l'explosion de son immeuble, allée Beethoven à Reims. "C'est mon cousin qui nous a appris la nouvelle, se souvient Ahmed Yacine Laidouni, le fils d'Omar, joint par téléphone et qui parle très bien le français. Quelle tristesse pour nous. Les deux sœurs de mon père habitaient à Reims".
Une enquête est ouverte pour comprendre les causes de l'explosion qui a fait trois morts et une dizaine de blessés. Le corps de Rachida est rapatrié en Algérie. "Mon père n'est pas venu en France, car il a dû rassembler l'argent pour les obsèques de sa sœur et tout organiser", dit encore Ahmed Yacine.
Je lui ai dit que c'était une affaire urgente, que nous étions convoqués au tribunal en France, à Reims, et qu'il fallait nous aider.
Ahmed Yacine Laidouni
Puis, 11 ans se passent. Le temps d'une enquête judiciaire et d'un renvoi devant le tribunal judiciaire de Reims de deux entreprises et d'un employé. "Entre 2013 et mai 2024, il ne s'est rien passé, poursuit le fils d'Omar Laidouni. Mais le 24 mai, très précisément, nous avons appris que le procès se déroulerait du 17 au 19 juin à Reims. Un notaire et un huissier algériens nous préviennent et la justice française envoie les documents à la justice algérienne".
Le parquet diplomatique est signifié. "Un huissier de justice apporte à mon père la convocation". À 78 ans, Omar Laidouni n'est plus très en forme et ne peut assumer seul sa venue en France. Il demande à son fils Ahmed Yacine de s'occuper des demandes de visas et de l'accompagner pour se porter partie civile et assister au procès.
Un délai très court
Pas de temps à perdre. Le procès a lieu trois semaines plus tard et dès le 29 mai, le père et le fils se rendent au consulat à Annaba dont ils dépendent en Algérie. "J'ai trouvé sur place un agent algérien qui m'a dit qu'il ne pouvait rien faire pour moi, explique Ahmed Yacine Laidouni. Il m'a donné l'adresse mail du consulat et dès que je suis rentré, j'ai écrit un premier message".
Sans réponse, le père et le fils décident de se rendre à nouveau sur place pour tenter de trouver une solution. Des gendarmes français entendent la demande et appellent le service des visas et un agent français vient rencontrer Ahmed Yacine et Omar. "Je lui ai dit que c'était une affaire urgente, que nous étions convoqués au tribunal en France, à Reims, et qu'il fallait nous aider. La personne me demande de renvoyer un message avec tous mes documents, ce que je fais à nouveau".
C'est triste. Je suis tellement triste et ça fait mal. Vous m'avez fait me sentir faible et irrespectueux.
Omar Laidouni
Cette fois, ce nouveau mail est traité, mais ce n'est que le 9 juin que le consulat français reprend contact pour un rendez-vous, deux jours plus tard. Les deux hommes ont réservé leurs billets d'avion et le départ est prévu le 16 juin à 8h. Ils doivent ensuite s'entretenir avec un avocat à Reims et se rendre au tribunal à la veille du procès.
Le 11 juin, leur dossier, contenant tous les documents officiels de la justice française : convocation, mandement de citation à partie civile, est remis au consulat à Annaba. Leurs empreintes sont prises et leurs passeports restent sur place. Ils espèrent, à ce moment-là, pouvoir encore partir.
Une réponse... le 10 juillet
"Le 13 juin, je renvoie un e-mail au consulat, reprend Ahmed Yacine Laidouni, et on me répond que le dossier est toujours en instruction. Puis le 14 je recommence en leur disant que nous avons acheté nos billets et précisant notre date de départ, le 16". Il ne recevra aucune réponse.
Le 17 juin, date du début du procès, Omar Laidouni écrit ce message au consulat ; "C'est triste. Je suis tellement triste et ça fait mal. La question de l'explosion de l'immeuble à Reims est actuellement au centre des discussions. En 2013, dans toute la France, les chaînes ont relayé cette nouvelle. Le président Nicolas Sarkozy a exprimé des regrets pour toutes les victimes. Depuis, j'attends ce procès, et nous n'avons pas participé à l'audience pour demander réparation et défendre ma sœur. Vous m'avez fait me sentir faible et irrespectueux".
Le visa a été refusé. Les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé ne sont pas fiables".
Consulat général français à Annaba, Algérie
Outre les dépenses générées, près de 800 euros : demandes de visa, billets d'avion non remboursés totalement comme les réservations d'hôtel, Omar Laidouni y voit une offense. Et il n'imagine même pas encore ce que sera la réponse du consulat puisqu'elle arrive seulement le 10 juillet.
Le courrier dit ceci : "Le consulat général de France à Annaba a examiné votre demande de visa. Le visa a été refusé. La présente décision est fondée sur les motifs suivants : les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé ne sont pas fiables".
Il est précisé qu'en cas de refus, il est possible de contester la décision. Ce qu'à fait Ahmed Yacine Laidouni en demandant à assister, avec son père, au délibéré du procès le 27 août dernier. Une demande restée lettre morte. "C'était important pour mon père. Sa sœur méritait d'être défendue. Malheureusement, nous n'avons rien pu faire. Aujourd'hui, je demande au consulat français de me rembourser des frais engagés. Et pour mon père, quelle déception. Lui, qui a 17 ans, arrivait en France et a travaillé comme soudeur dans une entreprise à Lyon pendant 15 ans".
Le ministère des Affaires Etrangères français contacté a répondu : "Je reviens vers vous concernant votre demande au sujet d’un refus de visa à M. Omar Laidouni. De manière générale, il ne nous appartient pas de commenter des situations individuelles".
La crise diplomatique, depuis quelques mois, entre la France et l'Algérie est-elle la raison de ces refus de visas ? Ou, le consulat français à Annaba n'a-t-il simplement pas fait son travail ?
Ces décisions laissent, en tout cas, un goût amer et un deuil inachevé pour la famille de Rachida Laidouni, morte dans l'explosion du 8 allée Beethoven à Reims le 28 mai 2013.