Les images de Reims, envahie par des trombes d'eau, ont fait le tour de France, après l'orage qui s'y est abattu, le 4 juin. Des images impressionnantes, dans plusieurs secteurs. Les précipitations n'ont pas pu être absorbées. Défaut d'entretien des installations, urbanisation sont en question.
Il était un peu plus de 15 heures, vendredi 4 juin 2021, quand l'orage a éclaté. Des pluies diluviennes se sont alors déversées sur la ville. En moins d'une heure, deux semaines de pluies ont envahi Reims, nécessitant de nombreuses interventions des sapeurs-pompiers. Si une planche de surf a fait son apparition, au centre-ville, une manière originale de réagir à la situation, la circulation des bus et tramway s'est, un moment, interrompue, et de nombreuses caves ont été inondées. La force de l'eau a même entraîné, dans certains secteurs, le soulèvement de plaques de bitume.
Le soleil est de retour, sur Reims, mais ses habitants ont été surpris, non seulement par la déferlante, mais aussi par ses conséquences, qui n'ont heureusement fait aucune victime. Le maire Arnaud Robinet (LR) a demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle. Aujourd'hui, au sein du Conseil Municipal, on met en cause la politique d'urbanisation de la Ville.
Inquiétude chez Europe Ecologie Les Verts
Léo Tyburce est Conseiller Municipal (EELV). Il n'y va pas par quatre chemins. Pour lui, c'est "la course frénétique à l'urbanisation, qui fait que dès qu'un mètre carré est disponible, il est transformé en construction sur plusieurs niveaux, avec parkings attenants. Dès que l'on urbanise à tout va, on dépasse largement les objectifs du programme local de l'habitat, alors qu'il y a nombre de logements vacants, à Reims. Ca nous inquiète".
"Le Programme Local de l'Habitat pour 2019-2024, prévoyait que l'on construise 1.200 logements, par an, dans le Grand Reims. On est remonté à 1.500, soit 750, par an, rien que pour Reims. J'estime que 850 ont été réalisés en 2019, et que depuis 2020, 3.900 sont en cours, soit 4.750 logements qui seront livrés avant 2022". Léo Tyburce, dans ses estimations, indique, par ailleurs ne pas tenir compte des nouveaux projets, au Boulingrin, au petit SERNAM, à la clinique Saint-André, ou encore, au Port Colbert.
Il rapporte également que ces constructions sont réalisées, alors que le taux de logements vides, à Reims, atteint 13,4%, soit près du double de la moyenne nationale, qui est à 7%.
Dans un communiqué, le Conseiller Municipal n'hésite pas à indiquer que " la ville est livrée à la prédation immobilière". Dénonçant l'engagement de la Ville dans une stratégie qui consiste à attirer des cadres parisiens, il s'insurge : "On donne les clés de la ville aux promoteurs, à des investisseurs. Cela entraîne une surenchère avec des prix, au mètre carré, qui vont de 4 à 6.000 euros. Cela va à l'encontre de la mixité sociale. On veut réduire la part du logement social, au lieu de chercher à résorber la ségrégation territoriale". Pour lui, il n'y a pas de stratégie claire pour servir les travailleurs. "On ne réfléchit pas à qui va habiter dans ces nouveaux logements de luxe".
Tirer la sonnette d'alarme
L'élu d'EELV, le seul, au sein du Conseil Municipal de Reims, n'entend pas tout attaquer. Il veut améliorer les choses. "Je soutiens la décision d'offrir un espace vert à 300 mètres de chez soi, mais face aux changements climatiques, on doit se préparer de façon sérieuse, et je ne confonds pas climat et météo". Il plaide pour une révision de la façon de faire la ville, désire un urbanisme renouvelé. Il redoute que nombre de logements aient été construits, selon la règlementation thermique de 2012 et pas celle de 2020.
Léo Tyburce insiste. Il a plusieurs fois soulevé cette question, en Conseil Municipal. Il estime qu'il y a un discours écologique, mais que les faits ne suivent pas. Il y a un problème de gestion des eaux pluviales. Il préconise de prévoir des "espaces perméables, qui laissent l'eau s'infiltrer". Pour l'élu EELV, il faut revoir l'urbanisme, en faisant "la part belle, aux constructions bois, matériaux biosourcés" et intégrer des aménagements bio-climatiques.
Si l'ensemble des acteurs se mobilisent, ça marchera. Mais, c'est l'affaire de tous. Chacun doit s'y mettre. Pour la collectivité, ce sont des impôts, de l'argent public.
Et comme pour renforcer son propos, Léo Tyburce indique qu'au "niveau du Grand Reims, 900 hectares ont été artificialisés, sur les dix dernières années, l'équivalent", estime-t-il,"de près de 1.200 terrains de football". Une comparaison à laquelle seront probablement sensibles les supporters du Stade de Reims.
Le Plan Pluie, comme solution d'avenir
Au Grand Reims, la question des inondations est bien prise en compte. "Cela fait plus de dix ans, que l'on se préoccupe de la stratégie, visant à la gestion des eaux de pluie, à la parcelle", indique Jean-Christophe Inglard, directeur du service Eau et Assainissement du Grand Reims. "Pendant des décennies", poursuit-il, "quand les pluies rencontraient des surfaces imperméabilisées, elles étaient dirigées vers le réseau, puis vers la rivière, comme c'est le cas dans toutes les villes urbanisées".
Pour éviter de saturer les réseaux, une démarche a donc, d'abord été initiée, sur Reims Métropole, afin que l'eau soit gérée, sur place, et pas renvoyée sur les réseaux. Le Plan Pluie vient structurer cette démarche. Il est désormais déployé sur le Grand Reims. Cela se joue au moment de l'instruction des permis de construire, et d'aménagement.
Une stratégie à long terme
"On ne peut agir qu'au moment des travaux", explique Jean-Christophe Inglard, directeur du service Eau et Assainissement du Grand Reims. "On travaille, dans la concertation, avec ceux qui déposent les demandes de permis", indique Mathilde Orquevaux, responsable du Plan Pluie. "Si les règles du Plan Pluie ne sont pas prises en compte, on fournit des outils permettant de respecter ces conditions. C'est très important, car les eaux qui ruissellent sur des surfaces portant des hydrocarbures, vont impacter la qualité de l'eau".
Francis Blin, est maire de Trigny, une des 143 communes qui composent le Grand Reims. Il est aussi vice-président du Grand Reims, délégué au service Eau et Assainissement. "On agit auprès des aménageurs", dit-il, "afin qu'ils respectent le zéro rejet. Il faut faire de la pédagogie". Agir à la source, c'est la stratégie retenue, pour limiter l'imperméabilité des sols. "L'urbanisation n'est pas antinomique de la gestion des eaux de pluie", complète Jean-Christophe Inglard.
L'agence de l'Eau Seine-Normandie en renfort
L'ensemble du plan est soutenu par l'Agence de l'Eau Seine-Normandie. Elle le subventionne à hauteur de 80%. Sur quatre ans, le Plan Pluie mobilise un million d'euros, avec donc, 50.000 euros, TTC, par an, pour le Grand Reims. L'avenir, ainsi, va se jouer, avec ce dispositif. La volonté de la collectivité est d'urbaniser, dans le cadre d'une gestion des eaux.
Seulement, le réseau d'une ville, comme Reims, celle qui compte le plus d'habitants, dans le Grand Reims, représente des centaines de kilomètres de réseaux. "Ces infrastructures sous-terraines sont toujours les mêmes, face à des épisodes pluvieux et orageux, plus violents", indique Jean-Christophe Inglard, le directeur du service Eau et Assainissement du Grand Reims. " Economiquement, on ne peut pas remplacer ce réseau, au fil des évolutions climatiques".
Assurer des mutations
Quand le réseau est saturé, il est mis sous pression, imprime de la force sur les tampons que sont les plaques d'égout. Le résultat, les habitants de Reims, l'ont constaté, vendredi 4 juin, c'est que sur certains axes, comme le boulevard Carteret, par exemple, des morceaux entiers de bitume se sont soulevés, face à l'engorgement. Certains quartiers sont plus sensibles à ces problèmes.
Je soutiens la décision d'offrir un espace vert, à 300 mètres de chez soi, mais face aux changements climatiques, on doit se préparer de façon sérieuse, et je ne confonds pas climat et météo.
"On profite des mutations dans les quartiers, pour intervenir. Parfois, et cela a été le cas, dans le quartier de Neufchâtel, on procède à la mise en place d'un bassin de stockage, pour retenir les excédents. Cette seule installation a coûté dix millions d'euros", précise Jean-Christophe Inglard.
"A chaque renouvellement urbain, à chaque nouveau permis de construire, on en profite pour agir", assure Mathilde Orquevaux, responsable du Plan Pluie. "En effet, on considère que le taux de renouvellement urbain moyen annuel français est de 1 %. Or, si l’on déconnecte 1% de surfaces actives par an des réseaux d’eaux pluviales et qu’on la remplace par de la gestion à la source, cela signifie qu’en 10 ans, nous aurons abattu jusqu’à 10% de la part d’eau issue des aires urbaines. Le traitement à la source peut contribuer à abaisser significativement le débit de pointe et le volume des inondations et ainsi éviter les conséquences les plus dommageables sur les personnes et les biens", tient-on à préciser, au Grand Reims. Et Francis Blin assure qu'au Grand Reims, on incite à plus réactiver le renouvellement urbain.
Optimisme affiché
Les experts sont convaincus que les années à venir seront marquées par des épisodes météorologiques, violents, à répétition. Le Plan Pluie sera-t-il alors suffisant ? Au Grand Reims, on se montre optimiste.
Jean-Christophe Inglard, préfère ne pas forcément mettre en avant les travaux curatifs. Il est convaincu par le Plan Pluie. "Si l'ensemble des acteurs se mobilisent, ça marchera. Mais c'est l'affaire de tous. Chacun doit s'y mettre. Pour la collectivité, ce sont des impôts, de l'argent public".
Francis Blin, le vice-président du Grand Reims, l'affirme : "Ca marche ! A Douai, dans le Nord, depuis 25 ans, ça a donné des résultats. Les dommages liés aux inondations ont été réduits. Nous devons faire de la pédagogie, car il n'y a pas d'obligation. Dans beaucoup d'espaces privés, comme des cours, les propriétaires ont imperméabilisé le sol. Ce qu'il faut c'est permettre l'infiltration, avec des espaces verts".
En juillet 2016, déjà, trois orages s'étaient abattus sur Reims. En deux heures, six centimètres d'eau au mètre carré, avaient envahi de grandes artères, comme le 4 juin dernier. Si "chaque pluie est différente par son intensité et son étendue", indique la responsable du Plan Pluie, Mathilde Orquevaux, l'histoire s'est répétée.
La gestion de l'eau, pluviale ou non, représente un enjeu colossal, pour les années, à venir, notamment dans des secteurs de plus en plus urbanisés.