La décision a été prise lundi matin, en assemblée générale. Après la marche fleurie du dimanche 14 mars, qui avait rassemblé quelque 550 personnes, les professionnels du monde de la culture ont décidé d'occuper la Comédie de Reims, jour et nuit. Ils ont besoin d'exprimer leur détresse.
Le temps maussade n'avait pas dissuadé tous ceux pour qui la culture est une passion et un métier, mais aussi des citoyens solidaires de leur action, de défiler, dans les rues de Reims, dimanche 14 mars. Ils étaient plus d'un demi-millier à s'être rendu, bouquets de fleurs à la main, sur tous les lieux de culture et de convivialité de la Cité des Sacres, considérés depuis leur fermeture comme des cimetières.
Ils sont artistes, techniciens, administratifs, professionnels ou amateurs, mais tous ont à cœur "d'aller à l'essentiel". Au sein du Collectif du 23 janvier, ils ont décidé de se battre. Privés de leur art, ils ne peuvent plus transmettre d'émotions, de rêve. C'est aussi leur moyen de subsistance. Ils ont donc décidé d'occuper la Comédie de Reims, notamment pour exprimer leur détresse.
Il y a un besoin de démocratie, de dialogue. On veut avoir voix au chapitre, que les décisions soient prises en concertation.
"L'oeuvre d'art peut être une œuvre de contestation"
Rendez-vous avait été pris, dimanche 14 mars, après la marche fleurie. A 10 heures, lundi matin, ils étaient une centaine à avoir répondu à l'appel. Sans doute n'avaient-ils pas à l'esprit les mots d'Edmond Michelet, ministre de la Culture, qui le 1er février 1966 était venue inaugurer celle qui, à l'époque, s'appelait la Maison de la Culture André Malraux. "L'œuvre d'art peut être une œuvre de contestation", avait-il indiqué alors." Elle doit s'exprimer dans un climat de liberté". Des années après, les professionnels de la culture entendent bien défendre leur art, et la culture et en faire des droits fondamentaux.
Selon eux, la culture ne doit pas être sacrifiée, malgré la crise sanitaire. Seulement, depuis la fin du mois d'octobre dernier, les lieux de culture sont fermés. Les artistes et tous ceux qui travaillent dans cet univers sont très remontés contre les mesures décidées par le Gouvernement. Et ils ont repris à leur compte la citation du sociologue et philosophe Edgar Morin : "A force de sacrifier l'essentiel pour l'urgence, on finit par oublier l'urgence de l'essentiel".
Jour et nuit
La Comédie est membre de l'ACDN, l'Association des Centres Dramatiques Nationaux. Sa directrice Chloé Dabert avait accepté que l'assemblée générale se tienne dans les locaux dont elle a la responsabilité. "Nous avons mis au point un protocole pour que tout se passe bien", a-t-elle déclaré. "Nous apportons notre soutien aux revendications. C'est assez historique qu'autant de lieux de culture soient occupés".
Ce soutien, parmi les personnes présentes, les étudiants en ont bien besoin. "Autour de moi", explique Ambre Langrenez," il y a tous les jours des abandons, des remises en question". La jeune femme est étudiante en arts des spectacles à l'Université de Reims. "C'est un combat permanent pour maintenir le cap. Parmi les gens qui sont là aujourd'hui, il y a des citoyens qui ont compris combien la culture est essentielle. Ce n'est pas un milieu isolé. Ca inclut tout le monde". La volonté de tous ceux qui sont mobilisés, est de remplir à nouveau des lieux vides depuis des mois.
Nous apportons notre soutien aux revendications. C'est assez historique, qu'autant de lieux de culture soient occupés.
Surtout pas l'oubli
Claire Marx, elle, est comédienne. Elle est intervenue pendant cette première journée d'occupation. "C'est important d'avoir un vrai lieu d'échanges, de se retrouver. Il y a un besoin de démocratie, de dialogue. On veut avoir voix au chapitre, que les décisions soient prises en concertation". L'abrogation de la réforme de l'assurance-chômage est notamment réclamée. " C'est une économie sur le dos des plus précaires", souligne-t-elle. "On se sent plus fort, ensemble", assure Claire Marx qui avoue que c'est difficile de vivre en l'absence de perspectives, sans pouvoir travailler, se projeter.
Le monde de la culture souffre et entend le faire savoir, se confronter, échanger, entamer un véritable dialogue. Ils refusent de sombrer dans l'oubli, à cause de la crise sanitaire, et veulent se projeter plus loin que les ouvertures annoncées.