Reims - Manifestation : les enseignants veulent plus de moyens, et les étudiants retourner en cours

Une marche enseignante et étudiante a eu lieu dans le centre-ville de Reims (Marne), ce mardi 26 janvier. Le cortège s'est ébranlé depuis la maison des syndicats, afin de rallier le rectorat. Une délégation y a été reçue.

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Le froid et le verglas n'ont pas empêché les enseignantes et enseignants de marcher dans Reims (Marne), ce mardi 26 janvier 2021. Leur grève avait pour but de défendre la qualité de l'enseignement, ainsi que leurs droits. Plusieurs étudiantes et étudiants, loin d'être des fantômes, ont défilé à leurs côtés.

Vers 10 heures, c'est depuis la maison des syndicats que s'est ébranlé le cortège de 190 personnages (comptage réalisé par le journaliste de France 3 Champagne-Ardenne sur place). En empruntant notamment le boulevard de la Paix, la place Royale, et la rue Gambetta (voir sur la carte ci-dessous), il a marché 1h30 jusqu'au rectorat après être passé devant l'hôtel de ville et le palais de justice.
 


Peu avant le départ du boulevard de la paix, il y avait bien plus de forces de l'ordre que de personnes manifestantes. Mais les participantes et participants ont rapidement afflué, jusqu'au départ qui a suivi la préparation des banderoles et pancartes.

Beaucoup d'enseignantes et d'enseignants, évidemment, mais pas seulement. On retrouve aussi des assistantes et assistants d'éducation (AED), et des accompagnantes et accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), dont la précarité a récemment été soulignée au Sénat. Alors que ces personnes sont décrites comme "la clé de voûte de l'établissement scolaire".
 

 

Dur dur d'être pion(ne)

Depuis cinq ans, Camille Leroy est l'une de ces dévouées AED. À 32 ans, elle officie au collège Paul Éluard de Verzy (Marne), et dit adorer ce qu'elle fait. Mais la meilleure volonté du monde ne peut pallier un manque chronique de moyens, surtout en pleine crise du coronavirus (Covid-19). "On fait 42 heures par semaine. On voit de moins en moins d'étudiants et de plus en plus de trentenaires devenir AED. Ce qu'on veut, c'est être reconnu et valorisé."

"Le protocole nous met sous pression. Il manque du personnel. On a bien 50% d'AED en plus jusqu'au 19 février : c'est cool, mais après, qu'est-ce qui se passe ? Sachant que ça se durcit... C'est très strict et on n'est pas en mesure de l'appliquer : on joue avec la sécurité des élèves. On n'a pas le droit de tricher avec l'humain. On distribue le gel le matin, vérifie que le masque est bien porté et qu'il est bien changé au bout de quatre heures..." Et comme les classes restent fixes (c'est désormais au prof de se déplacer dans une autre classe), il faut autant d'AED que de classes. "On est sous tension."
 


Et les AED et AESH pourraient recevoir plus de considération, même si les deuxièmes ont un peu plus de chance. "Comme nous, les AESH peuvent avoir des contrats pendant six années. Mais contrairement à nous, les AESH peuvent ensuite avoir un CDI. Par contre, les AESH sont en présentiel élève perpétuellement, toutes les heures, et n'ont pas plus de protection que ça. Donc on réclame la prime Covid." 

Véritables "couteaux-suisses" de l'Éducation nationale (au point de devoir distribuer plateaux et tranches de pain à la cantine), les AED n'ont "évidemment" pas non plus le droit à cette prime (à Strasbourg, les profs doivent cotiser pour leur reverser une prime). "Tout ça en plus des surveillances d'études, de la gestion de crise ou absences, appliquer des protocoles si l'infirmier n'est pas là... On tourne à plein régime."
 


Au point que Camille passe plus de temps avec ses élèves qu'avec son fils. "Ils ne parlent pas des mêmes choses à leurs parents ou professeurs qu'à nous. On occupe une place un peu particulière dans leur quotidien, et ils passent plus de temps avec nous qu'avec leurs parents aussi. On est vraiment des adultes référents. On écoute, on fait de la prévention. S'il y a un problème, on le sait en premier car c'est à nous qu'ils se confient."

Immense est l'investissement, mais "dérisoire" est la récompense. "À 80%, je gagne 1.072 euros. Et on n'a ni la prime Covid dont je parlais, ni la prime Rep." Des formations, en secourisme par exemple, seraient aussi bienvenues. Tout comme une titularisation, si souhaitée.
 


Car à la fin de l'année scolaire 2021-2022, elle devra arrêter et se reconvertir. "Mais je n'en ai pas envie. Être AED, j'adore ça, c'est travailler avec de l'humain. Pourquoi les AESH peuvent avoir un CDI, et pas les AED ? Pour ceux qui le souhaitent : tout le monde ne le veut pas. Des étudiants sont en CDI chez McDo, alors pourquoi pas nous ?" 
 

Jean-Michel Blanquer dans le viseur

Postée à l'avant du cortège, Camille et ses collègues n'hésitent pas à faire fuser un slogan bien senti : "efficace et pas chère, c'est ça la vie scolaire" (audible au tout début de la vidéo ci-dessous). Autrement, la manifestation est très calme et s'étend tranquillement jusqu'au rectorat, destination de cette marche. 
 

La manifestation enseignante de Reims (Vincent Ballester, France Télévisions)


Ce sera à ce moment-là que d'autres slogans plus généraux seront lancés. Style "Blanquer, des postes" ou "Des sous, Blanquer", sur les marches du siège de l'académie...

Pendant ce temps, une poignée de manifestantes tapisse le mur à côté de l'entrée de "mensonges" (ou incohérences) du Gouvernement faits au corps enseignant et aux élèves. Par exemple, l'imposition du masque  Ce n'est pas une dégradation : seul du scotch est utilisé et la vingtaine de feuilles A4 sera récupérée au moment de quitter les lieux.
 


Une délégation a été reçue au sein du rectorat. La foule rassemblée devant espère beaucoup des discussions qui doivent y avoir lieu.
 

Enjeux nationaux mais aussi locaux

Sur les marches du rectorat, Eugénie de Zutter agite le drapeau du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc). Elle en est la présidente académique, et enseigne l'histoire en collège. Elle a plusieurs sujets à coeur. "Quid de l'affaire Samuel Paty ? Les beaux discours ont été tenus, mais maintenant, ça fait plusieurs mois qu'on attend des actes et propositions concrètes. Nous demandons une formation juridique plus concrète, notamment pour les enseignants stagiaires. Tous les collègues ne maîtrisent pas forcément les notions juridiques comme la laïcité.
 

Ça fait plusieurs mois qu'on attend des actes et propositions concrètes.

Eugénie de Zutter, professeure d'histoire


Certaines réponses seraient également souhaitées. "Nous attendons aussi les résultats de l'enquête sur la gestion de l'affaire par sa hiérarchie. Ainsi que des éclaircissements sur la réaction des collègues de Samuel Paty..." 

Il y a aussi des sujets plus terre-à-terre. "Le pouvoir d'achat des professeurs est toujours en baisse. La revalorisation promise est dérisoire. Elle ne concerne pas tout le monde et exclut les documentalistes, les AED... Il y a aussi une prime informatique [très utile à cause des cours à distance; ndlr], qui fait rire tout le monde : à 150 euros par, on pourra acheter un ordinateur... dans quelques années, s'il y a un autre confinement..." 
 


Contexte oblige, la gestion de la crise sanitaire par Jean-Michel Blanquer fait aussi l'objet de revendications. Le chiffre de 0.3% de contaminations d'enfants serait bien en-deça de la réalité. Plus localement, Eugénie de Zutter déplore les suppressions de postes (fixes). "Le département n'est pourtant pas déficitaire en terme d'élèves. Et on nous vend des heures supplémentaires en échange, attribuées à des remplaçants qui ne pourront jamais espérer avoir de poste définitif... puisqu'on multiplie ces heures supplémentaires. Ça pérennise leur précarisation."

Ce qui suscite de moins en moins de vocations : on ne se bouscule plus pour passer le Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (Capes). "Un autre problème, c'est les non-remplacements dans certaines matières. Il y a des professeurs absents pour cause de coronavirus, et des élèves se retrouvent plusieurs semaines sans remplaçants." 

Le monde étudiant n'est pas oublié

Il ne s'agit pas d'un combat du monde enseignant pour le monde enseignant. Eugénie de Zutter se bat aussi pour les élèves. "Une grande réforme est annoncée dans les classes préparatoires, entre Clémenceau et Roosevelt, où doit être créée une nouvelle filière de prépa scientifique. Très bonne nouvelle, mais on va créer cette filière en prenant des classes au lycée Clémenceau dans une filière des sciences de l'ingénieur."

"On va fermer une classe dans une filière qui n'a aucun problème de recrutement et qui est dynamique. C'est déshabiller Paul pour habiller Jacques..."
Des députés vont demander des explications au ministre, qui "met en péril une formation attractive et demandée dans toute la région". D'autant qu'il n'y aurait pas eu de concertation avec les établissements concernés.
 


"Les élèves se retrouveraient scindés entre les deux établissements. La section est intégrée pour deux ans; et ils n'ont pas envie de devoir changer d'établissement au milieu. Ils ont leurs habitudes, leur pédagogie... et leurs camarades, tout simplement. Cette itinérance n'attirera pas les élèves, au contraire. On ne va quand même pas couper cette offre alors que l'industrie spatiale s'installe à Reims..." L'IUT de Reims pose un autre problème : "d'égalité" cette fois. La vingtaine d'élèves dans nombre de ses formations n'a pas droit au présentiel... mais la cinquantaine qui se trouve en prépa, si. 

Côté université, Erwan Druais, étudiant en deuxième année (L2) d'histoire, a 20 ans. Sa première année de licence, à l'université de Reims, s'est retrouvée à moitié amputée pour cause de covid, et la deuxième ne semble pas suivre un meilleur chemin... "On souhaiterait retourner en présentiel. Le distanciel est peut-être efficace pour suivre les cours, mais il l'est tout autant pour détruire le lien social entre les étudiants et leurs professeurs. Au niveau pédagogique, ça pose souci."
 


"Et les étudiants, pas ici qu'à Reims, mais partout en France, sont dans une véritable détresse psychologique. Un étudiant sur cinq décroche. Un autre étudiant sur cinq est en dépression. Il y a parfois des idées suicidaires. C'est ce qu'on veut faire comprendre au Gouvernement. Alors si on voulait arrêter de nous infantiliser, en parlant par exemple d'étudiants qui vont se contaminer en mangeant des bonbons sur les tables..."

Les difficultés ne sont pas seulement psychologiques : elles sont aussi matérielles. "On voudrait une aide financière. Pour tous, y compris les étudiants non-boursiers et étrangers." Pourtant, le ministre de l'Économie a dit non à un RSA jeune... "On a aussi l'université qui a décidé de prêter des ordinateurs pour les étudiants qui en ont besoin. Mais le petit souci, c'est que c'est limité dans le temps et qu'il faut répondre à un grand nombre de critères. Certains peuvent en avoir vraiment besoin, mais ne pas répondre à ces critères..."
 


Un peu plus loin, une autre manifestante apparemment assez jeune tient une pancarte moins portée sur la détresse étudiante. À savoir "un effort Blanquer, c'est mon anniversaire"...

Interrogée, Marie révèle avoir 30 ans et enseigner la philosophie à Châlons-en-Champagne (Marne). "On me dit souvent que je fais très jeune, mais j'espère que maintenant, vu que j'ai passé la trentaine..."
 


Ses amies et amis l'entourent, et hilares, parlent d'un "maniversaire" (fusion de manifestation et d'anniversaire). Comme cadeau, la (pas si) jeune enseignante aimerait une harmonisation du protocole sanitaire entre les établissements.

Ce qui serait "plus cohérent", car dans son lycée, seules les classes de seconde font l'objet d'un dédoublement afin de limiter les contaminations. Pas les premières ou terminales. "On ne peut pas continuer à entasser 32, 33, 34 élèves dans une même classe." Et sinon, elle n'est pas contre une villa au bord de la mer...
 

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