Marianouch Gregorian a fui l'Arménie il y a trois semaines. Arrivée à Reims le 13 août, elle souffre deux jours plus tard d'une infection des reins. Une fois à l'hôpital, un médecin a refusé de lui prodiguer des soins, parce qu'elle n'a pas ses papiers.
La pluie se fait encore sentir. L'air moite et frais saisit les bronches. La pelouse d'un vert vif fond sous les semelles des quelques Albanais qui se retrouvent autour des tentes du camp de fortune installé dans le parc Saint-John Perse, à Reims. Parmi eux, se trouve une dame d'à peine 1,50m, vêtue d'une grosse maille par-dessus un t-shirt jaune pâle, un cabas de pharmacie sous le bras. Sortie de l'hôpital Maison-Blanche quelques jours plus tôt car un médecin aurait refusé de la soigner, Marianouch Grégoryan ne quitte plus ses médicaments.
"Je ne prendrai plus de sans-papiers"
Lundi dernier, la septuagénaire a été reconduite au camp de réfugié Saint-John Perse, après une semaine de prise en charge par les services hospitaliers. "Un médecin du service gériatrie m'a dit sèchement au téléphone : 'je ne prendrai plus de sans-papiers. On ne l'opèrera pas, elle n'est pas à un an près'", se souvient Béatrice*, bénévole de l'association Solidarité réfugiés, encore choquée."C'est illégal ! On ne peut pas laisser quelqu'un dans cette situation !", s'insurge-t-elle. Dans les faits, si le pronostic vital d'une personne n'est pas engagé, le médecin peut choisir de ne pas aider un.e. malade. "Tout ceci reste à l'appréciation du médecin", souligne Mme Guettache, de la Case de santé, un centre de soin pour réfugiés toulousain.
Au camp Saint-John Perse, Marianouch scrute ses compagnons, à l'affût d'un mot qu'elle pourrait comprendre. Arrivée depuis à peine trois semaines, l'ancienne professeur de russe ne parle pas un mot de français ni d'anglais. Encore vive malgré ses deux séjours à l'hôpital, elle attrape les mots qui se rapprochent du russe, tente de se fier aux intonations des personnes qui l'entourent. "Ce n'est pas si difficile, lâche-t-elle simplement. Beaucoup de mots sont similaires en français et en Russe."
A 76 ans, la retraitée est contrainte de prendre un nouveau départ. Après le décès de son mari début août, son beau-frère lui confisque ses biens et la menace. Elle se dirige alors vers la police. Trop tard, le frère du défunt a déjà œuvré en payant les forces de l'ordre locales. Elle n'a plus le choix et doit fuir le pays au plus vite.
C'est alors que son neveu organise son départ. Il contacte un passeur qui la mène à l'aéroport d'Athènes, en Grèce, et lui confisque son passeport. Une fois à Paris, un autre passeur la mène jusque devant le centre d'aide aux demandeurs d'asile (Cada) de Reims, où elle passera la nuit sur un banc. A la première heure, elle se dirige dans le centre et commence à se sentir mal. Armée d'un certificat de passage, elle se rend à l'hôpital Maison-Blanche, où elle subit une première batterie de tests : prises de sang, radio, échographie. L'équipe hospitalière la libère dans la soirée.
C'est naturellement qu'elle revient au camp de réfugiés de Saint-John Perse, un bracelet de l'hôpital au poignet. "Elle est arrivée avec sa petite valise et un papier sur lequel était écrit 'call 115', se souvient Béatrice*. On lui a trouvé une tente pour la nuit, il était 21h."
Durant ces quelques jours au camp, Marianouch refuse de boire et de s'alimenter. De son côté, le 115 –centre d'appel d'urgence- ne parvient pas à lui trouve un hébergement d'urgence. Il n'y a pas de toilettes sur le camp, et se baisser lui est douloureux. Son état s'aggrave, "elle maigrissait à vue d'œil", commente Béatrice*. Finalement, une dame du quartier accepte de l'accueillir pour une nuit.
Le dimanche soir, Béatrice conduit Marianouch, qui se sent de plus en plus mal, à l'hôpital. Arrivée au CHU, elle est prise en charge, "tout le monde était très gentil avec moi", assure l'Arménienne.
Après diverses analyses, le diagnostic est sans appel : Marianouch souffre de calculs dans la vésicule, qui se seraient aggravés lorsqu'elle a refusé de boire durant plusieurs jours.
Son prochain rendez-vous avec un médecin est prévu le 2 octobre prochain. En attendant, Marianouch a rendez-vous la semaine prochaine avec le Cada pour régulariser sa situation. Côté hébergement, elle peut loger à l'hôtel jusqu'à samedi.
Contacté par notre rédaction, l'hôpital indique les détails de sa prise en charge dans notre encadré à lire ci-dessous.
*Le prénom a été modifié
Voici la communication de la direction du Centre Hospitalier de Reims
« Arrivée par le service d'accueil des urgences de l'établissement, la patiente a été hospitalisée dans les plus brefs délais dans le service de médecine gériatrique, où elle a bénéficié, comme tout autre patient, d'un ensemble d'examens ayant permis de poser un diagnostic médical et reçu tous les soins appropriés à son état de santé.Après une semaine d'hospitalisation dans le service, la patiente a été déclarée médicalement sortante, ce qui signifiait que son état de santé n'impliquait plus de supervision médicale permanente, et s'est vue prescrire un traitement médicamenteux approprié. Un suivi a également été organisé par l'équipe médicale, avec programmation de rendez-vous.
Toujours attentifs à répondre au principe fondateur du service public hospitalier d'égal accès aux soins, les professionnels de l'établissement ont accompli les démarches qu'il leur était possible d'initier de façon complémentaire aux structures extérieures qui avaient déjà œuvré auprès de la patiente. »