Reims : un professeur de droit analyse les dialogues de Michel Audiard, "Il a une vision très sombre des institutions"

Fabrice Defferrard est professeur de droit à l’université de Reims. Dans son dernier ouvrage, "les lois de Michel Audiard, Liberté, Fraternité, Egalité", il décrypte les répliques cultes du scénariste pour nous donner sa vision de la politique, de la justice, de l'humanité et des cons.

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Pas besoin d’être juriste ou d’avoir vu les films de Michel Audiard pour lire le dernier ouvrage de Fabrice Defferrard. Quel que soit votre âge, vous avez certainement entendu au moins une de ses nombreuses répliques « Les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît », « la Justice, c’est comme la Sainte Vierge, si on la voit pas de temps en temps, le doute s’installe » ou encore « Deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche ».

Provocateur, ricaneur comme il aimait se définir, le dialoguiste dévorait les polars. Sa culture littérature était immense « Il avait tout lu, il avait le sens de la fulgurance, trois mots suffisaient à faire tilt » analyse l’auteur des « Lois de Michel Audiard ».

Maître de conférences à la faculté de droit de Reims, Fabrice Defferrard y pensait depuis des années. Le professeur a profité du confinement pour se replonger dans la filmographie du célèbre dialoguiste. Il a revu une centaine de films. Deux fois. Un an de travail assidu. Il a pris des notes, méthodiquement. Le déclic, il l’a eu avec Mort d’un Pourri. Sorti en 1977, ce thriller politique livre une vision féroce de la justice avec des dialogues anti flics, avocats, juges ou politiciens, tous corrompus.

Répliques cultes

À la fin du film, Alain Delon dira « les deux fléaux qui menacent l’humanité sont le désordre et l’ordre », « la corruption me dégoûte, mais la vertu me donne le frisson". « Vous pouvez écrire des traités de sciences politiques de 1.500 pages qui diront la même chose » glisse le juriste, admiratif. Dans son ouvrage, « Les lois de Michel Audiard, Liberté, Fraternité, Egalité » (aux éditions Mare & Martin) paru en avril 2021, le pénaliste marnais décrypte ses répliques cultes.

« Michel Audiard décrit dans ses films la politique d’aujourd’hui à son plus haut niveau. Il a une vision très sombre des institutions, de l’exécutif, du législatif et du judiciaire », explique-t-il. Il s’en prend finalement aux trois pouvoirs de la Constitution.

L’acteur Jean Gabin disait de Michel Audiard, qu’il était « anarchiste de droite ». Fabrice Defferrard lui parle de légaliste. « Je ne suis pas dans sa tête, mais je pense qu’il était pour le respect des lois, c’est le seul moyen d’exercer des libertés. Pour lui, rien n’est plus important que la liberté, c’est sa valeur suprême. » Toutes les libertés, d’expression, de créer, de mouvement.

Liberté, Fraternité, Egalité, les trois piliers fondamentaux du scénariste à travers ses films. Il partagerait donc la même devise de notre République, à une exception près. La Fraternité, l’amitié, arriverait avant l’Egalité.

Liberté : valeur suprême de Michel Audiard

Mais commençons d’abord par la Liberté, une valeur fondamentale, pour lui, la plus importante à ses yeux.

Michel Audiard n’aimait pas la police. En témoigne cette réplique tirée de On ne meurt que deux fois :

- Vous êtes flic ? Michel Serrault acquiesce.

- Non, je vous demande ça parce que chez nous, on ne les aime pas trop les flics

- Oui, chez nous non plus, mais nous, on sait pourquoi.

Michel Audiard est un rebelle. Il n’aime pas l’autorité.

Autre exemple dans Archimède le clochard, « la liberté, c’est de faire ce qu’on veut ! Y compris d’aller en taule quand on en a envie ! »

Pour Fabrice Defferrard, « Michel Audiard pense que les institutions sont bonnes, mais ce sont les gens qui sont cupides. Plus de 90 % des délits des crimes commis sur terre, le sont par cupidité. C’est la loi du plus fort. Les lois votées démocratiquement sont le seul rempart à l’abus, selon lui. » « Le problème, ce sont les gens aux commandes, l’inculture des dirigeants politiques, la corruption et l’actualité nous le démontre » ajoute l’écrivain.

Le dialoguiste n’aimait pas l’argent. « Plus t’as de pognon, moins t’as de principes. L’oseille, c’est la gangrène de l’âme » écrivit-il pour le film Des pissenlits par la racine.

Dans Pile ou Face, il fera dire à Philippe Noiret « la Justice c’est comme la Sainte Vierge, docteur. Si on ne la voit pas de temps en temps, le doute s’installe ». Sa formule fera mouche. Des années plus tard, l’adage européen s’en inspirera « La justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit aussi donner l’apparence de l’avoir été ».

Même 50 ans après, les répliques de Michel Audiard sont toujours autant légendaires.  En voici un florilège compilé par une internaute sur YouTube. 

Michel Audiard est extrêmement critique envers le mariage. L’institution, une fois encore. Pour lui, c’est liberticide.

En voici l’illustration parfaite avec cette réplique tirée du film Les Vieux de la vieille :

- « Ce que je comprends pas, bel homme que t’étais, c’est comment t’as fait pour échapper au mariage, hein ?

- Oh, ben, c’est pas les occasions qui ont manqué. Mais d’abord, elles trouvaient que j’étais trop jeune et pis après, elles trouvaient que j’étais trop vieux.

- En somme, c’est toujours l’âge qui t’as sauvé, toi. T’as eu de la veine, hein ? »

Ou encore dans La Chasse à l’homme :

- « Je vous laisse encore le choix : le mariage ou les menottes

- J’avoue que la différence m’échappe. »

Le film La Chasse à l'homme est sorti en 1964. Il dépeint avec humour les relations entre les hommes et les femmes.   

Fraternité : « Dans la vie, il faut avoir 20 copains et se méfier de tout le reste »

Si Michel Audiard n’était pas très sensible aux liens du mariage, il croyait en l’amitié. Un Singe en hiver, Un taxi pour Tobrouk, Les Vieux de la vieille, le scénariste avait un côté tribal. Il travaillait avec les mêmes acteurs, les mêmes producteurs. Pour celui qui a grandi loin de ses parents, élevé par son oncle, c’était la famille qu’on choisissait, celle du cœur. « Dans la vie, il faut avoir 20 copains et se méfier de tout le reste » disait-il, « je pense qu’il n’a pas tort » renchérit Fabrice Defferrard avant d’ajouter « même dix, c’est déjà pas mal ! »

Fidèle en amitié, dans le film Trois jours à vivre, le directeur de la troupe de théâtre l’était aussi. « Je sais bien qu’Alexandre est mauvais. Il est mauvais, mais il reste. Et rester, même quand on emmerde tout le monde, c’est ça la fidélité. »

Egalité hommes-femmes : même combat : l'argent 

Pour Michel Audiard, l’égalité entre les hommes et les femmes est relative. L’égalité des conditions n’existe pas. La femme est placée sous la domination des hommes (son premier film remonte à 1949). A l’époque, les femmes n’ont pas la même place, pas les mêmes droits.

Tous ses personnages féminins sont cupides, mais au même titre que les hommes. Pour lui, les deux sexes sont égaux sur cette question des aspirations. Ils recherchent la même chose : l’argent.

Dans Pourquoi viens-tu si tard ? (sorti en 1959) il propose une figure féminine extrêmement forte. Michèle Morgan y interprète une avocate, victime d’un viol par son ancien compagnon, mais elle ne déposera pas plainte. Pour le professeur de droit, Michel Audiard est un féministe avant l’heure. Le film dénoncerait cette situation, mais ne serait en rien complaisant. « Son ex-compagnon la regarde comme s’il venait de s’offrir une belle chose, il a abusé d’elle sexuellement, mais il sait qu’il bénéficiera de l’impunité, elle ne le dénoncera pas, car la société de l’époque (les institutions, on y revient), ne l’écoutera pas. On ne prendra pas sa plainte » analyse le juriste.

Les cons de Michel Audiard : de l'imbécile au scélérat 

S’il y a une thématique chère à Michel Audiard, c’est bien les cons. Ils sont partout, mais ne sont pas tous les mêmes, selon l’écrivain marnais.

D’après Fabrice Deffarrard, il existe deux types de con dans ses films. « Le con simple, l’imbécile, le sot, ce qu’on appelle aujourd’hui le beauf » à l’instar de Monsieur Eric dans La cave se rebiffe. « Il y a toujours dans ses dialogues un adjectif qui se rapporte à ce type de con « grand » « gros » « petit » « pauvre », « sale » « trop » « vieux » « vrai », le qualificatif rend l’insulte plus douce. Comme pour les frères Volfoni dans Les Tontons flingueurs.

Et puis il y a le con scélérat, sec. « Celui-là est très intelligent mais méprisable, c’est un traître, il ne respecte aucune règle » comme André Pousse « Quinquin » dans le Pacha. Ici, con est une injure.

Parmi ses répliques les plus connues du film : « Quand on mettra les cons sur orbite, t’as pas fini de tourner.»

« Requiem pour un con » de Serge Gainsbourg a été écrit pour le Pacha, « à ta mémoire de scélérat » chante d'ailleurs l’homme à la tête de chou.

En conclusion, « la connerie à ce point-là, moi, je dis que ça devient gênant. » Vous aurez peut-être reconnu la fameuse réplique du film Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.

En 2020, Michel Audiard aurait eu 100 ans. Pour célèbrer cet anniversaire, l'année dernière, sur son compte Twitter, l'Ina, chargé d'archiver les productions audiovisuelles, diffuse des images du dialoguiste, ses répliques d'hier sont un peu les punchlines (phrases-choc) d'aujourd'hui.

Michel Audiard a une vision très sombre de l’humanité. Ses dialogues sont, en partie, autobiographiques. Dans ses films, il ne propose pas de projets politiques. « Il livre sa conception de la vie, du monde » résume Fabrice Defferrard. « C’est un moraliste, attention pas moralisateur, moraliste comme Lafontaine, Pascal ou La Bruyère, un moraliste du siècle des Lumières » précise l’écrivain. Un témoin de son temps, avec un style bien à lui, unique, subtil. Intemporel.

« Les Lois de Michel Audiard, Liberté, Egalité, Fraternité » de Fabrice Defferrard, aux éditions Mare et Martin, dans la collection Droit et Cinéma. 

 

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