C'est le canton où le taux d'abstention a été le plus fort dans la Marne : Reims 3, qui englobe le quartier populaire de Croix-Rouge et une partie du quartier Maison-Blanche. Plus de 80% des électeurs ont boudé les urnes ce dimanche.
"Voter ? Mais pourquoi ? Pour qui ? J’ai voté toute ma vie. J'ai même participé à la campagne municipale ! Mais pour qui ? Ces gens nous connaissent pas ! On vote pour eux et puis on ne les revoit jamais." Dans sa tunique corail, Nadia clame haut et fort sa défiance à l'égard des politiques. Après 40 années passées dans le quartier Croix-Rouge, où elle y a élevé ses quatre enfants, elle se dit "écoeurée". "Je ne voterai plus qu'aux présidentielles", tranche la retraitée.
Record d'abstention dans la Marne
Comme elle, ils sont 80,50% des électeurs inscrits dans le canton de Reims 3, qui englobe les quartiers populaires de Croix-Rouge et Maison-Blanche, à avoir boudé les urnes ce dimanche 27 juin, à l'occasion du second tour des élections départementales. Au premier tour, ils étaient 81,46%. "L'abstention rend humble et pose question", reconnaît Charles Germain (DVD), qui a remporté le scrutin ce dimanche. "C'est une des raisons qui ont fait mon engagement politique. Pendant la campagne, avec ma binôme Kim Duntze (LR), on a voulu montrer qu'il y a encore des hommes et des femmes politiques qui s'investissent."
Malgré cela, le taux d'abstention dans ce canton est le plus important de la Marne. Qu'est-ce qui explique un tel score ? "C'est très compliqué. Peut-être que les compétences des départements et des régions ne sont pas claires pour tout le monde...", avance le candidat de 37 ans. Du côté du Printemps marnais, union historique de la gauche dans le département, même constat. "On voit que certains ont joué sur le terrain de l'insécurité alors que cela ne rentre pas du tout dans les prérogatives du département, qui sont de l'ordre de la prévention, de l'aide sociale", tance Sadhia Idami.
Il faut engager un travail de fond. Sensibiliser et informer les électeurs hors scrutins électoraux.
"Je sais très bien que le département c'est l'action sociale", se défend Nadia. Pour elle, le problème n'est pas la connaissance des institutions, mais le décalage entre le quotidien des habitants du quartier et celui des candidats. Un constat que partage une jeune infirmière, sur le retour du CHU. "Je travaillais dimanche, mais je n'ai même pas cherché à donner la procuration à mon mari. D'habitude, je l'aurais fait, j'ai toujours voté. Mais la politique..., souffle-t-elle, ça fait un an que j'ai décroché."
Nadia et la jeune infirmière disent ne pas se reconnaître dans les candidats qui se sont présentés. "Ils ne sont pas dans les problématiques que nous rencontrons tous les jours", ressentent-elles. "On ne peut pas être connu de tout le monde, rétorque Kim Duntze. Ma mère est de Maison-Blanche, j'ai commencé le sport dans cette maison de quartier, Charles a vécu 23 ans à Croix-Rouge." Mais voilà, les origines du quartier ne semblent plus suffire. Quand on la relance sur le sentiment de déconnexion, elle répond : "Dimanche encore j'étais à un barbecue à Croix-Rouge. En étant adjoints [elle et Charles Germain sont élus à la mairie de Reims] à la mairie, on voit tous les jours les problématiques quotidiennes des habitants des quartiers." Pour Charles Germain, le problème est ailleurs : "Je préfère un élu qui connaît ses dossiers et agit, que quelqu'un qui habite le même immeuble que moi", avance-t-il.
Des candidats "trop loin de nos préoccupations"
De gauche, de droite, qu'ils aient grandi ou non dans le quartier... malgré leurs origines, les candidats ne semblent jamais assez proches de leurs électeurs. "Sadhia Idami et Albain Tchignoumba-Boumba sont du quartier. Sadhia a beau n'être engagée dans aucun parti politique et travailler tous les jours à la maison de quartier, à partir du moment où elle a fait campagne, il y a eu une défiance", analyse sa directrice de campagne Gaëlle Gayet. "Il y a une lassitude de la politique nationale qui a des conséquences sur la politique locale", abonde Charles Germain.
Sans oublier que cette campagne s'est faite à toute vitesse, dans un contexte sanitaire déroutant. En commençant cinq semaines avant le scrutin, en plein déconfinement, difficile pour les électeurs de se mobiliser. "J'ai voté au premier tour, et au second, j'avais des gens à la maison, je n'avais pas du tout la tête à ça", reconnaît une habitante, venue faire des courses avec une amie, qui relance : "Maintenant qu'on est vacciné, on a envie de retrouver nos proches, nos amis." Son acolyte ajoute : "On aurait dû les faire en octobre." Sans compter sur les couacs de distribution des programmes électoraux, que les deux sexagénaires disent n'avoir jamais reçus.
"La crise sanitaire n'a rien à voir avec ça"
Mais pour Nadia, "la crise sanitaire n'a rien à voir avec ça". "On n'est pas plus en insécurité dans un bureau de vote que dans le tram, où tout le monde se retrouve les uns sur les autres", remarque-t-elle. Pour la jeune infirmière aussi, le covid-19 n'a rien à voir. Elle dit ne plus se reconnaître dans les discours qu'elle entend à la télé et fustige les politiques qui amènent de "mauvaises réponses aux débats politiques". "Les dégradations, l'insécurité... elles sont là. Mais il faut arrêter de monter les gens les uns contre les autres. L'origine, l'immigration... tout ça n'a rien à voir avec l'insécurité. Je viens du fin fond des Ardennes, où il n'y a pas un immigré, mais la haine est là."
Malgré son abstention de dimanche, elle ne sait pas si elle ira voter en 2022. "Cela m'ennuierait de bouder un tel scrutin, c'est super important, et en même temps, je n'ai plus envie de me déplacer pour des discours qui ne me correspondent pas." Elle et Nadia ont voté contre Marine Le Pen en 2017. Le referont-elles en 2022 ? Elles doutent que ça "en vaille la peine".