Sciences Po Reims analyse l'élection américaine et l'invasion du Capitole

Crystal Cordell Paris, est directrice adjointe en charge des affaires académiques à Sciences Po Reims, enseignante et américaine. Elle suit de près les élections et nous livre son analyse, après l'invasion du Capitole par les partisans du Trump qui refusent la victoire de Joe Biden. 
 

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En tant que responsable académique à Sciences Po, enseignante et américaine, vous suivez de près les éléctions américaines? Comment avez-vous vécu l'invasion du Capitole par les partisans de Trump qui refusent la victoire de Joe Biden? 


Crystal Cordell Paris ( CCP) : Je suis de très près ces élections qui sont incroyables. Nous avons le sentiment que Donald Trump fait tout pour finir son mandat dans la violence. Une violence qu'il a toujours voulu incarner dés le début de son mandat en faisant tout pour mettre en avant la suprématie d'une race blanche. Car c'est la conséquence de ces accusations de fraudes massives : le président sortant continue d'accuser le camp démocrate de fraudes massives et affirme, fort de ses 74 millions d'électeurs, que l'élection leur a été "volée".

Mais c'est une fake news ! Il a tout fait pour fait pour contester les votes par voie postale et a même tenté d'ôter le budget de la poste pour tenter de ne pas compter les voix qui venaient des Etats qui soutenaient Joe Biden.

Vous vivez en France, à Reims. Vous êtes bi-nationale et partagez ces événements avec votre famille aux Etats-Unis. Comment vivent-ils , ainsi que vous, l'invasion du Capitole et le refus de Donald Trump à être présent le 20 janvier pour la passation de pouvoir?

Crystal Cordell Paris ( CCP) : Je suis originaire de Boston qui est dans l'Etat du Massachusetts. Ces derniers événements sont terribles. Nous sommes tous sous le choc, car c'est la démocratie qui a été atteinte. Et j'ai envie de dire qu'on est encore plus affectée quand on est loin, car on se sent vraiment impuissant. L'élection présidentielle américaine de 2020 au Massachusetts a eu lieu le 3 novembre 2020 comme dans les 50 autres États ainsi que le district de Columbia. Les électeurs du Massachusetts choisissent des grands-électeurs pour les représenter dans le collège électoral à travers un vote populaire. L'État du Massachusetts possède 11 grands-électeurs qui ont donné leurs votes en faveur de Joe Biden et ont participé ainsi à la victoire de ce dernier, qui deviendra le 46 ème président des Etats-Unis en 2021.

Ce résultat a créé beaucoup de divisions dans les familles, car tous n'ont pas voté Biden. Il y a encore des pro-trump, mêmes dans des états tout acquis à Biden. Ce qui se passe, en ce moment, va laisser des traces.

C'est important d'aborder ces événements en France et plus particulièrement à Sciences Po ? Vos étudiants vivent un événement politique américain inédit ?

CCP : Notre campus remois Sciences Po accueille beaucoup d'étudiants étrangers. Nous avons nos programmes Europe-Afrique, Europe-Amérique du Nord. Et nous avons des échanges, ainsi que nos six doubles diplômes internationaux et notre double diplôme national (avec l'Université de Reims Champagne-Ardenne, le Bachelor of Arts and Sciences). Ce qui est en train de se dérouler actuellement aux Etats-Unis est inédit. C'est la démocratie américaine qui vient d'être attaquée avec cette intrusion dans le Capitole et nous craignons qu'elle ne soit abîmée. Nos étudiants sont évidemment très intéressés par ce qui est en train de se passer. On assiste à l'invasion d'un nouveau mouvement. Nos étudiants suivent cette campagne, comme tout ce qui se passe dans le monde et s'exprime dans leur journal étudiant en ligne.

Le trumpisme pourrait s'appuyer sur un terme comme le populisme. On le voit aussi arriver en Europe, avec l'arrivée des extrêmes. C'est une façon de faire de la politique sur la peur des autres, des individus, des croyances. En fait, c'est une rhétorique incendiaire qui permet de diviser la population en s'en prenant à un ennemi interne. Ceci est calculé pour affaiblir les grands partis qui ont toujours fédéré. On peut comparer cela en France avec ce qui se passe avec la montée du Front national et l'affaiblissement du centre et des grands partis politiques comme la gauche et la droite.

Évidemment, en tant qu'enseignante à Sciences Po, en spécialisation philosophie politique, j'ai hâte de retrouver mes étudiants pour pouvoir échanger autour de tout cela. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à la réalité sanitaire avec le coronavirus et les cours à distance. Mais je les retrouverai en cours en avril prochain normalement en "direct" et je pense que nous aurons encore à en parler.

En avril, Joe Biden sera bien installé dans ses fonctions de président. Vous croyez que d'ici le printemps, les esprits ne vont pas se calmer ?

CCP : Joe Biden aura du pain sur la planche lors de son mandat. J'en parle beaucoup avec ma famille aux Etats-Unis, car ce qui vient de se passer n'est pas rien. Il y a beaucoup de violences exprimées dans cette prise du Capitole. Même si heureusement, la vie continue, les Américains ne comprennent pas ce tournant de cet extrême qui s'exprime. La date de l'investiture du 20 janvier inquiète beaucoup. On a peur des violences qui pourraient y avoir ce jour-là. Et au-delà de cette date, Joe Biden aura une tâche énorme qui sera de réunifier ce pays divisé.

Etes-vous fière d'être américaine en ce moment et est-ce que vous en parlez avec vos collègues rémois et votre famille en France ?

CCP : L'amitié qui unit la France et les Etats-Unis est bien installée et sincère. En ce qui me concerne, cela fait plus de vingt ans que je vis en France même si toute ma famille vit aux Etats-Unis et que j'y retourne régulièrement. J'ai épousé un Français et nous avons un enfant. Depuis quelques années, j'ai la double nationalité. À la maison, nous en parlons bien-sûr, mais comme avec mes collègues. En ce qui me concerne, je me souviens qu'en 2016, lorsque Trump avait remporté les élections, ce sont mes élèves de Sciences Po Reims qui m'ont aidé à m'en remettre. Pour moi, son élection était l'annonce d'une Amérique menaçante, avec un personnage à sa tête, qui légitime la violence. Cela me rappelle les affrontements, en 2017, qui se sont déroulés à Charlottesville, où une militante antiraciste a été assassinée par un suprémaciste blanc. Trump, au lieu de condamner cet acte, a envoyé un signal fort vers eux pour les légitimer. Et ce sont ces mêmes suprémacistes qui ont investi la Capitole le 6 janvier dernier. C'est tout le ton du mandat de Trump qui trouve son paroxysme dans l'invasion du Capitole.

Pour ma part, je suis fière d'être américaine, mais je rejoins l'analyse de Barack Obama, qui regrette que la fonction de Président des Etats-Unis, n'ait pas permise à Donald Trump de prendre de la hauteur. Il bafoue la fonction et continue à le faire en disant qu'il sera absent le jour de la passation de pouvoir, le 20 janvier.

Nos étudiants, à Sciences-Po, assistent à l'installation d'un mouvement politique, " le trumpisme" et il a de beaux jours devant lui, quand on s'aperçoit que 45 % des républicains soutiennent encore Donald Trump. Si le président sortant est poursuivi et condamné, il sera inéligible, mais derrière, il y a son fils. On assiste à une dynastie comme celle des Bush ou des Kennedy. Des familles qui héritent de la présidence. Donc, oui, je pense que nous aurons l'occasion de discuter en présentiel, avec nos étudiants , du mandat de Joe Biden qui s'annonce chargé et menacé par les pro-trump qui sont présents, partout, même en France et en Europe.

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