Il y a un an, le 1er janvier 2020, Vitalie Taittinger est devenue présidente du champagne du même nom. Les bulles, sont une affaire de famille. Son père, Pierre-Emmanuel Taittinger lui a transmis l’affaire. Très tôt, il avait décidé de se retirer, après avoir atteint l’âge de 65 ans.
Vitalie Taittinger avait 40 ans quand son père lui a confié la présidence de l’entreprise familiale, en janvier 2020. La maison de champagne basée à Reims, possède 288 hectares de vignes et emploie quelque 230 salariés. Sa trajectoire est ascendante ces dernières années.
Au moment de la reprise de contrôle de l’entreprise par Pierre-Emmanuel Taittinger, en 2006, la maison affichait des ventes de 4.5 millions de bouteilles par an. En 2019, une année record avait porté ses chiffres à presque 7 millions. Pour 2020, la nouvelle présidente annonce une belle résistance malgré cette année marquée par la pandémie de Covid-19.
Impressionnée par ce qu’a fait son père
Fondé par Pierre Taittinger, en 1932, le champagne Taittinger avait été cédé par la famille, au groupe Starwood en même temps que, notamment, les hôtels Lutetia et Crillon, ou encore la cristallerie Baccarat qui faisaient partie du groupe de luxe. Mais c’était sans compter sur Pierre-Emmanuel Taittinger qui refuse de voir la maison de champagne passer sous pavillon américain. Avec le soutien de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Nord-Est, il rachète donc l’activité champagne au fonds américain, en 2006. Sa détermination et son énergie à faire revenir ce fleuron dans le giron familial ont beaucoup impressionné Vitalie Taittinger. "Dès le début de l’aventure, raconte-t-elle, le sujet de la transmission avait été abordé. C’est une des raisons pour laquelle j’ai rejoint l’entreprise, en 2007."
D’abord consultante, Vitalie Taittinger a pris la direction du marketing et de la communication en 2015. Sa formation ne semblait pourtant pas prédestiner la jeune femme à cette évolution professionnelle, puisqu’elle avait suivi des études d’art, à l’école de dessin Emile Cohl, à Lyon. Son attachement à l'art n'a d'ailleurs pas faibli puisqu'aujourd'hui, elle préside le FRAC de Champagne-Ardenne, ainsi que Platform, une association qui regroupe 23 FRAC.
Le destin familial dépasse le destin individuel
Seulement, il y a eu cette décision de son père, et son engagement l’a convaincue. "On a bâti ensemble une équipe solide. On est tous arrivés en même temps. Je ne me sens pas seule aujourd’hui. Je suis impressionnée par ce qu’il a fait au moment du rachat… Le destin familial dépasse le destin individuel. Si on ne pense pas à la transmission, il n’y a pas d’avenir pour une société familiale. J’ai des enfants, mon frère Clovis, aussi. Sans mettre de pression, ce serait bien d’en mettre quelques-uns dans l’entreprise. Plus on vieillit, plus on s’accroche et on peut ne pas prendre les bonnes décisions. Pas un jour, je n’ai eu la sensation qu’on m’avait obligée à faire quoi que ce soit. Ma décision de succéder à mon père a été prise en toute sérénité."
Au service de l’entreprise
Aujourd’hui, Pierre-Emmanuel Taittinger, 68 ans, est président d’honneur et chargé de mission pour l’entreprise. "Il assure des missions de représentation et participe au projet d’embellissement du patrimoine de la maison. Il a du plaisir à nous regarder, mon frère Clovis et moi. On a beaucoup discuté ensemble de la transmission. Clovis est le directeur général, il se consacre au développement des marchés. On est au service de l’entreprise. C’est un bien multi générationnel. On réfléchit à l’organisation à mettre en place pour apporter de la valeur à l’entreprise. La clé de la réussite, dans une transmission, c’est de l’avoir préparée. Depuis que j’assure la présidence, j’ai renoncé au marketing, mais il ne faut pas s’attacher à des territoires, aux choses. Ça rend plus humble. Mon nouveau poste est très intéressant et humainement très riche ".
D’ailleurs, Pierre-Emmanuel Taittinger se plaît à rappeler que, sur le site où l’entreprise est installée, autrefois, il y avait un monastère. "Là où nous sommes, dit-il, nous avons conservé un esprit de collégialité. Nous sommes une entreprise humaine, familiale".
La compétence d'abord
L’envie d’entreprendre, de s’investir, Pierre-Emmanuel Taittinger ne l’a pas perdue en quittant la présidence de la maison de champagne. "J’ai l’âge de faire d’autres choses", dit-il. Avec Philippe Varin, il a racheté l’atelier de vitraux Simon-Marq, à Reims, dans la Marne. Il est aussi président de la mission Unesco Champagne. Pour ce qui est de la transmission de l’entreprise, il ne voulait pas que ça se passe mal.
Il ne faut pas faire le combat de trop !
"Quand j’ai repris l’affaire, j’avais toujours dit que je la quitterai à 65 ans. J’ai tenu ma parole, même si pour des raisons techniques, je suis resté jusqu’à 66 ans. Mais, l’entreprise avait vécu une tragédie. C’est à cause de dissensions familiales que le groupe avait été vendu. Certains étaient restés trop longtemps dans les affaires. La lucidité s’effrite quand on vieillit. On ne se voit pas vieillir, on écoute les flatteurs. Il ne faut pas faire le combat de trop. J’ai vu que quand le leader reste trop longtemps, souvent, ça se termine mal".
"Aujourd’hui, la maison a trois éléments pilotes. Vitalie, à Reims, règle la voilure humaine. Elle veille à l’harmonie, à l’entente dans la société. Son frère, Clovis, est directeur général, ainsi que Damien Lesueur, ingénieur qui veille sur la production et les finances. Clovis voyage énormément. C’est un commerçant dans l’âme. C’est le Mbappé de la maison. Les rôles sont bien répartis. Tous les postes sont importants dans une entreprise. Nous avons discuté entre nous. Ils se sont choisis. S’ils n’avaient pas été compétents, ça ne se serait pas fait ».
Aucun regret
"J’ai vu beaucoup de transmissions loupées. Cela se produit quand le sujet, qui est un vrai sujet, n’a pas été assez réfléchi, discuté. Même des gens brillants se sont plantés, poursuit Pierre-Emmanuel Taittinger. "Je pense que l’âge maximum pour un dirigeant ne devrait pas dépasser 70 ans. Pour moi, la société Air Liquide est, sur cette question, exemplaire. Je suis heureux de me dire que je ne me suis pas trompé. Pour l’instant, ça se passe bien. Cette quatrième génération porte le nom de la marque et c’est important. C’est un atout. Comme mon père, Jean Taittinger, qui fut député-maire et ministre, je n’ai jamais aimé le pouvoir, les médailles, les honneurs. J’ai le même détachement que lui. Le jour où j’ai quitté mon poste, mon bureau était rangé. Je l’ai laissé sans angoisse, ni tristesse."
VIDEO - Après l'annonce du décès de Jean Taittinger, revoir la première interview de son fils Pierre-Emmanuel. Interview réalisée dans le 19/20 Champagne-Ardenne en septembre 2012.
Avec cette quatrième génération, les bulles restent donc une affaire de famille, chez les Taittinger. Songer à transmettre, lorsque l’on est à la tête d’une entreprise, familiale ou non, est un devoir. Mais tous ne s’en préoccupent pas toujours.