Le masque est obligatoire depuis ce mardi 1er septembre en entreprise et dans les établissements scolaires. Un handicap de plus pour la communauté sourde, qui ne peut plus s'appuyer sur la lecture labiale pour communiquer.
A l'école ou dans la vie quotidienne, le masque représente un handicap supplémentaire pour les sourds et malentendants. Pour eux, impossible de lire sur les lèvres de leurs collègues ou des enseignants, contraints de porter un masque depuis ce mardi 1er septembre. Le problème se pose également dans la vie de tous les jours : impossible de comprendre les commerçants, soignants et autres personnes qui les entourent. Nathalie Beck, interprète au Sils 51 et représentante de l'association des sourds de Reims et de Champagne-Ardenne (ASRCA) nous explique les difficultés de cette communauté.
Quelles difficultés rencontre la communauté sourde depuis que le port du masque s'est généralisé?
Il y a deux choses. D'abord, l'aspect de l'accessibilité dans leur vie quotidienne. Le problème du port du masque se pose quand ils vont à la pharmacie, où dans n'importe quel service public où le port du masque gêne la lecture labiale, que ce soit pour les sourds qui pratiquent la langue des signes ou ceux qui ne la pratiquent pas. Ils ont besoin de lire sur les lèvres quand ils n'ont pas d'interprète avec eux.
Le deuxième gros problème actuellement concerne la rentrée scolaire. Aujourd'hui, l'éducation nationale n'a pas anticipé le problème que ce soit des instituts d'enfants sourds, ou dans les établissements classiques où des enfants sourds sont scolarisés. Ils vont être confrontés à d'énormes difficultés. Avec le port du masque, ils ne pourront pas accéder aux cours à cause de l'absence de lecture labiale.
La secrétaire d'Etat aux personnes handicapées avait encouragé le port du masque transparent, car il y a deux entreprises françaises qui ont été homologuées (Masque inclusif et Odiora). En plus, ce n'est pas qu'une question d'accessibilité pour les sourds. L'idée est aussi de rendre le port du masque agréable, où on peut voir un sourire, même pour les personnes entendantes.
Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ?
Cela a un coût, évidemment, c'est le nerf de la guerre. Comptez environ 10,90 euros pour un masque lavable transparent. Quand vous devez équiper tous les professionnels d'un établissement ou d'une entreprise, cela est plus cher qu'un masque en tissu classique. Ces deux entreprises ont été créées par des sourds qui avaient été confrontés à ce problème. Forcément, plus il y aura une forte production et de la demande, plus les prix baisseront. Mais aujourd'hui, ils ne sont pas encore capables de produire à moindre coût.
Le problème, c'est que l'éducation nationale n'a pas du tout anticipé cette situation. L'ASRCA a reçu aujourd'hui un mail de la part d'une maman d'un enfant sourd qui cherchait désespérément le nom d'une entreprise qui fabrique des masques transparents, pour informer l'établissement où est scolarisé son enfant et qu'il puisse s'équiper. Seulement, la rentrée a commencé et avec les délais de livraison, cela va prendre du temps, sans compter que certaines écoles ne s'équiperont pas forcément… les enfants sourds vont faire face à de grosses difficultés.
Même s'il y a des auxiliaires de vie scolaire (AVS)?
Il y a des AVS, mais ils sont là pour aider, suppléer. Ils ne sont pas censés traduire. Il faut savoir également que certains enfants pratiquent la langue des signes mais que d'autres non. Ils sont purement oralistes, cela veut dire qu'ils lisent sur les lèvres uniquement. De plus, si l'AVS est équipé d'un masque, le problème reste le même.
Si l'enfant pratique la langue des signes française (LSF), c'est une chose, mais la lecture labiale et les expressions du visage sont primordiales. Ce ne sont pas que des gestes. Elles accompagnent la LSF, cela va ensemble. Si vous enlevez un morceau, les difficultés de compréhension seront là malgré tout. C'est pour cela qu'au sein de notre service d'interprètes à Reims, comme nous traduisons des services d'entendants à des sourds, nous avons pris le parti de s'équiper uniquement de masques transparents. Les usagers qui font appel à nos services dans leur vie quotidienne nous avaient prévenus qu'ils ont besoin de voir nos signes du visage et de lire sur nos lèvres.
Dans notre article daté du 23 avril dernier, une interprète déplorait la buée présente sur ce type de masque. Est-ce toujours le cas?
S'il s'agit de masques homologués par la DGA (en termes de filtration et ce sont des masques antibuée), il n'y a aucun souci. Nous les utilisons depuis deux semaines au quotidien. Pour les utiliser moi-même, je peux vous dire que les retours sont très positifs. En France, seulement deux entreprises ont été homologuées. Mais d'autres entreprises dans le monde produisent des masques et les vendent sur des sites qui livrent en France. C'est le même problème que pour les masques en tissus, où tous ne répondent pas aux normes Afnor, mais qui se vendent quand même.
Comment la communauté sourde a-t-elle accueilli l'obligation du port du masque ?
Au départ, la communauté a pu avoir accès aux informations régulières qui étaient traduites en LSF. Il y a eu un effort conséquent de fait sur la traduction des discours du président, du directeur général de la santé et des ministres. C'est au moment du déconfinement, quand le port du masque a été annoncé dans certaines conditions, que les sourds ont de suite compris que cela allait poser problème. Ils se sont demandé comment ils allaient faire. La jeune fille sourde qui a créé l'entreprise de fabrication de masques transparents à Toulouse, a elle-même eu l'idée parce qu'elle a été confrontée à un problème de communication avec le masque au moment du déconfinement, en allant à la pharmacie.
Quand l'idée des masques transparents a commencé à naître dans l'esprit des gens, ils ont eu une petite lueur d'espoir, se disant que ce serait génial que tout le monde en soit équipé. Malheureusement, l'euphorie est vite redescendue quand ils se sont aperçu que l'éducation nationale n'en serait pas équipée, tout comme les personnes qui les entourent dans leur vie quotidienne, boulangers, pharmaciens, banquiers... Ils se disent que c'est dommage, que quelque chose est en train de se créer, une entreprise fabrique ce dont ils ont besoin mais malheureusement, ça ne suit pas derrière. Ce n'est pas le tout de le créer, il faut que ce type de masque soit porté par le plus grand nombre. Que tout le monde se l'approprie.