Gérard Robinet a ouvert sa boutique de prêt-à-porter, il y a 40 ans, en plein centre-ville. C'est une institution à Reims. L'homme de 68 ans vit au ralenti depuis le premier confinement. Un changement de rythme qu'il vit très mal. Mais il fait face avec espoir et philosophie.
Qui ne connaît pas le magasin Magnum à Reims ? Dans la rue Condorcet, presque en face du manège, à deux pas de l'incontournable place d'Erlon, se situe cette institution du commerce rémois. Depuis 1980, on s'y pressse pour acheter des blousons, des doudounes, des pantalons, des pulls et autres chemises de belle qualité. A la fin du mois de décembre, l'enseigne fêtera ses 40 ans. Un anniversaire un peu amer mais que Gérard Robinet, le patron des lieux, espère "plus joyeux malgré tout grâce à la réouverture des commerces non-essentiels." Il attend avec impatience et espoir le discours d'Emmanuel Macron ce mardi 24 novembre au soir.
Dans le magasin, tout est en ordre, bien rangé. Les rayons sont encore pleins, faute de clients. La grille est à moitié baissée, seuls quelques habitués récupèrent des vêtements qu'ils avaient laissés pour des retouches. Ici se dresse toute une vie. A 68 ans, Gérard pourrait être à la retraite, "mais je n'ai pas envie de laisser tomber," explique-t-il. 40 ans dans son commerce qu'il a fait grandir, passant au fil des années de 150m2 à près de 350m2. Il a racheté l'ancienne boutique de laine et plus tard un magasin d'optique.
Cela fait 54 ans qu'il travaille ! "J'ai commencé à 14 ans, des petits boulots tout d'abord, puis j'ai été coursier, vendeur de voitures avant de me lancer dans le prêt-à-porter." Des valeurs de travail, le sens du devoir et l'envie d'entreprendre qui ne l'ont jamais quittés. "Alors vous pensez bien que ces deux confinements, je les vis très mal. Non seulement d'un point de vue économique mais aussi d'un point de vue moral."
Vous comprenez pourquoi il n'était pas question qu'il ne soit pas dans la série de portraits que consacre le photographe Eric Szalski aux commerçants rémois en difficulté. Gérard Robinet, c'est un monument. Rémois à 100%, il connaît le moindre pavé de la place d'Erlon qu'il a vu changer et il connaît surtout tous les commerces. Notamment les hommes et les femmes qui les font vivre.
Moi qui ai toujours travaillé, depuis mon plus jeune âge ... Normalement je suis dans mon magasin de 7h30 à 20h, j'y viens tous les jours de la semaine. Du jour au lendemain, tout s'est arrêté. C'est un cauchemar. Inimaginable ! Je vis ces fermetures comme un vrai coup dur. C'est la première fois que je vis ça. Même le choc pétrolier que j'ai connu dans les années 80, ce n'était pas si dur, on s'en était sorti sans trop de casse. Mais là ...
"Quand je vois ce centre-ville désert, cela m'attriste et me désole. J'ai les larmes aux yeux. Ces deux confinements sont compliqués non seulement pour notre chiffre d'affaires mais aussi pour notre moral. Les relations sont mises à mal. D'habitude, avant d'aller au travail, on se retrouve tôt avec les autres commerçants autour d'un petit café et l'on refait le monde ! Ces moments de partage et de convivialité me manquent énormément", ajoute Gérard Robinet.
Tenir tant bien que mal. Gérard qui est d'un naturel optimiste s'accroche à quelques détails. Comme le soutien de ses clients : "ils sont nombreux à nous aider à tenir, ils nous envoient des messages, d'autres nous téléphonent. Ils prennent des nouvelles de nous et ont hâte de revenir."Il faut être fort en tant qu'indépendant pour tenir. Les commerçants vivent dans l'anxiété et la peur du lendemain. Cela joue sur notre moral. Ce qu'on a construit en 40 ans peut s'écrouler en une année. Un troisième confinement nous achèverait.
Au magasin quand même
Gérard se rend quand même chaque jour au magasin. Moins longtemps évidemment, "de 10h à 12h et l'après-midi jusqu'à 17 heures." Le travail est moins intense mais les tâches rébarbatives sont nombreuses : les mails aux fournisseurs, aux banques mais aussi remplir tous les papiers administratifs, être en lien permanent avec le comptable. "C'est le problème du déstockage qui m'inquiète. Comment allons-nous faire ? Je pense qu'on va proposer des remises dès l'ouverture, des rabais à nos clients fidèles." Le patron espère que le président de la République va annnoncer la réouverture dès ce week-end, et pourquoi pas dès ce vendredi. "Les mois de novembre et de décembre sont les plus gros mois de l'année. A l'approche de Noël, c'est normalement le pic de notre chiffre d'affaires. Mais cette année, nous n'aurons pas la clientèle du marché de Noël, ni même nos habituels clients des Ardennes et de l'Aisne qui viennent à cette période." Ils représentent pourtant près de 60% du chiffre d'affaires.Gérard Robinet pense aussi à ces cinq salariés qui ne sont pas sur le site actuellement. Ils sont en chômage partiel. "Ils leur tardent de revenir, alors je garde le lien avec eux. J'ai une équipe formidable. Financièrement, c'est dur aussi pour eux." Comme un patron, un peu à l'ancienne, un brin paternaliste, il sait que "sans eux, sa boutique ne fonctionnerait pas aussi bien."
Tout est prêt, en tous les cas, pour acccueillir les clients. "Nous ferons comme lors du premier déconfinement. Nous ressortirons les plexiglass, le gel, le défroisseur. Nous passerons les vêtements à la vapeur après les essayages et surtout nous veillerons à la distanciation sociale. De toute façon, il n'y a jamais 40 personnes en même temps dans mon magasin, au maximum une dizaine. Les 8m2 y sont largement !"
Gérard Robinet, le père de ...
Enfin comment ne pas conclure sans évoquer ses enfants et pas seulement Arnaud, l'un de ses deux fils. Peut-être maintenant plus connu que lui parce qu'il est maire de Reims, la 12ème ville de France. "Il doit gérer la crise sanitaire, il est encore plus pris que d'habitude avec le Coronavirus. Il est attentif aux demandes des commerçants." Mais parfois il reconnaît que cela lui pèse d'être le père du premier magistrat de la ville (même s'il en est fier) : "les gens me demandent à chaque coin rue, qu'en pense Arnaud ? Que fait Arnaud ? Que dit-il sur la situation ? Les gens pensent que c'est facile. Mais il n'a pas de baguette magique."Surtout Gérard ne veut pas oublier ses deux autres enfants : son premier fils, lui aussi commerçant qui possède une douzaine de magasins, ni sa fille, aide-soignante au moment du premier confinement, désormais en école d'infirmière. "Elle était en première ligne, elle a vu aussi la réalité du quotidien dans les services hospitaliers au moment de la première vague. Elle peut vous en parler, elle m'en a parlé." De quoi aussi relativiser.