Yves Guinoiseau a repris l'affaire familiale, un magasin de chaussures à Reims, en 1989. Il a traversé les confinements avec l'aide de sa famille et des clients fidèles, non sans difficultés. Un burn out l'a mis à plat lors du premier confinement. Il est plus optimiste pour traverser le second.
Ce jour-là, Yves Guinoiseau, 60 ans, chausseur à Reims depuis 1989, a enfilé son costume gris. Un vêtement de travail qu'il n'a pas remis depuis quelques temps, car son commerce "non essentiel" est évidemment fermé depuis le début du second confinement. "Quand j'aborde quelqu'un je regarde d'abord ses pieds", explique-t-il d'emblée, masque sur le visage. Il l'enlève quelques instants, juste pour une séance photo avec Eric Szalski, photographe. Yves Guinoiseau est un commerçant à l'ancienne, entendez, il connaît ses clients et surtout leurs pieds, sensibles ou larges, par coeur. Il sait et aime s'adapter à leur désir. On vient chez lui de toute la région autour de Reims, "même de Sainte-Menehould", lance sa belle fille, qui travaille à ses côtés.
Le jeune sexagénaire a repris l'affaire en mars 1989, une entreprise fondée par ses parents en 1967, avec pignon sur rue. Il est aujourd'hui épaulé par sa femme et sa belle-fille. Elle se souvient très bien, comme lui, du premier confinement. "J'ai fermé les lumières le 15 mars et je me suis éteint" raconte-t-il. Il a fait un burn out. Seule une cérémonie de mariage familiale en septembre 2020 l'a remis debout, après six mois dans le noir. "Je me suis enfermé". Le magasin vide, sans clients, il n'avait jamais connu.
1.250 euros de l'Etat
Et c'est ce vide qui l'a mis KO debout. "D'habitude on est au pied du client", ironise-t-il. "Aujourd'hui c'est compliqué, alors je rêve de l'après, de golf et de vacances dans le sud ouest". Histoire d'oublier qu'il a failli s'écrouler à cause de cette période de confinement. "On n'enseigne pas ce genre de cas à l'école, on n'apprend pas à gérer l'arrêt forcé et total. On s'est retrouvé tout seul. Quand le Gouvernement annonçait des aides pour les commerçants, je ne rentrai pas dans les cases. J'y ai cru, et en réalité, ce que j'ai reçu, c'est un virement de 1.250 euros en tout et pour tout". Il a tout de même placé une salariée en chômage partiel. Et il ajoute aussi que la banque a fait son travail. On ne balaie pas une relation solide d'un revers de la manche.
Lien social
En cette fin novembre, il se dit plus optimiste pour l'avenir. Grâce à des clients fidèles et des fournisseurs compréhensifs. "Ce sont des vrais partenaires, on les paiera quand on pourra". "Et on a survécu, que peut-il nous arriver maintenant ?" Comme si plus rien n'était impossible, pour celui qui n'avait jamais arrêté de travailler auparavant. Aujourd'hui, il s'est ouvert aux réseaux sociaux, avec sa belle-fille et son épouse. Ils ont découvert facebook et Instagram, comme de nouvelles vitrines. Pour vendre ses chaussures, en "ramassage en magasin", il préfère ce terme français au "click and collect".Confinement ou pas, chacun cherche toujours chaussure à son pied. D'ailleurs, il a constaté une hausse de la vente de chaussons pendant le premier confinement. "Les clients les ont usés plus vite, et ils voulaient du confortable pour chez eux". Les bienfaits du télétravail sans doute...
En cette fin du mois de novembre, Yves Guinoiseau n'attend que la réouverture des commerces, indispensables au lien social. Il estime que les clients ont un besoin de contact, de conseils sur place. Derrière son comptoir, entre les fauteuils en cuir vert, il tient à nous montrer le magasin au siècle dernier, une vitrine impeccable, des employés en cravate devant le pas de porte. Le lien avec la clientèle est physique, pour celui qui a chaussé un nombre incalculable de pieds, par ailleurs trésoriers des Vitrines de Reims.