Originaire de Volgograd, au sud ouest de la Russie, Anastasiya a quitté son pays à 21 ans pour terminer ses études en France, avant de s'y installer définitivement. Aujourd'hui, elle vit très mal l'entrée en guerre de son pays.
Dès notre rencontre Anastasiya affiche la couleur avec sa tenue. Ou plutôt les couleurs : bleu et jaune, celle de l'Ukraine, "bien sûr" serait-on tenté de dire, mais c'est loin d'être une évidence quand on a un passeport russe. Installée à Reims depuis deux ans, elle garde des liens forts avec sa famille restée en Russie et a été "très choquée" devant l'invasion déclenchée par Poutine "Je ne m'attendais pas à ça... personne que je connais ne s'attendait à ça !"
"J'ai peur pour ma famille mais aussi pour les gens qui se retrouvent là-bas, et j'ai honte des atrocités que commet mon pays", explique la jeune fille, qui nous confie avoir du mal à dormir et à manger depuis ce 24 février. "Je me rends compte que je ne suis pas censée avoir honte, parce que ce n'est pas de ma faute si je suis née là-bas, je ne suis pas responsable des actes du gouvernement", reprend-elle. "Mais on dit que ce sont les Russes les agresseurs, et je suis Russe... je ne peux rien faire, déplore la jeune expatriée. Je ne veux pas que les gens pensent que tous les Russes veulent la guerre, veulent tuer des Ukrainiens. J'ai honte qu'on n'ait pas agi avant en Russie, il n'y a pas eu assez de révoltes contre ce régime".
Une opposition très difficile en Russie
Si elle regrette que les Russes n'aient pas su arrêter Vladimir Poutine avant qu'il ne déclenche cette guerre, elle explique combien la tâche est ardue pour eux. "C'est très dangereux, le simple fait d'être contre la guerre est interdit, et des milliers de gens se font arrêter chaque jour dans les rues." Dans ces conditions, difficile selon elle d'imaginer des manifestations de grande ampleur. "Le problème, c'est que les gens ont leur famille à nourrir et à protéger, ils ne peuvent se permettre de risquer de se faire arrêter."
Anastasiya souligne également une division générationnelle en Russie. "Quand Poutine est venu au pouvoir, il y a 23 ans, c'était un bon changement pour le pays, un vent d'air frais, du coup les grand-parents d'aujourd'hui ont vu Poutine comme quelqu'un de très bien, et ils l'adorent depuis." Résultat, au sein même de sa famille le sujet divise. "Ma grand-mère était très en colère quand elle a su que j'avais manifesté contre la guerre. Elle a même engueulé mon père parce qu'il avait élevé une fille comme moi."
On craint surtout une mobilisation générale de tous les hommes de 18 à 50 ans
Anastasiya
Ainsi, les plus anciens auraient tendance à supporter leur leader de manière inconditionnelle, et ils ne sont pas les seuls. "C'est aussi le résultat de la propagande d'état. Par exemple, selon les médias russes, on ne serait pas en train d'attaquer l'Ukraine mais en train de la dénazifier et démilitariser. Alors les gens mal informés lui restent fidèles."
"Ils vont devoir mourir ou tuer des gens… je ne sais pas ce qui est mieux"
En plus de ce sentiment de "honte" lié à sa simple nationalité, Anastasiya vit depuis quelques jours avec la peur au ventre. Une peur pour ses proches, et pour son peuple qui s'apprête également à vivre des jours difficiles. "Tout commence déjà à être plus cher là-bas, y compris la nourriture. La Russie ne pourra plus rien construire car il manque toujours un composant qu'on ne peut plus importer… il va y avoir une grosse crise économique".
Mais savoir que sa famille survit dans la misère n'est pas ce qu'elle redoute le plus. "On craint surtout une mobilisation générale de tous les hommes de 18 à 50 ans, si l'OTAN envoie des troupes en Ukraine. Cela mobiliserait mon père, mes frères, mes cousins, mes oncles. Pour une guerre qu'ils ne veulent pas, ils vont devoir mourir ou tuer des gens, je ne sais pas ce qui est mieux."
Finalement, la jeune expatriée a du mal à se montrer optimiste. "J'ai envie d'avoir de l'espoir mais c'est dur parce que je sais comment ça se passe en Russie. S'ils ont commencé un truc, ils vont jusqu'au bout, ça a toujours été l'image de Poutine", explique-t-elle, avant de conclure, "j'ai plus de peur que d'espoir".