Du lundi 20 mai au dimanche 9 juin, le jeune Emmanuel Quesne est l'une des nombreuses petites mains chargées de ramasser les balles lors de Roland Garros, les Internationaux de France de tennis. L'occasion d'une vie pour ce jeune lycéen de Reims (Marne).
Ça fait quoi d’être ramasseur de balles à Roland Garros ? Pour y répondre, tournons-nous vers le jeune Emmanuel Quesne, élève de 16 ans au lycée Jean XXIII de Reims (Marne). Il délaisse les pupitres du lundi 20 mai au dimanche 9 juin 2024 au profit de la terre battue de la porte d'Auteuil.
N'allez pas penser qu'il sèche les cours. L'établissement est au courant, et les devoirs lui sont envoyés régulièrement. Des temps de pause sont répartis tout le long des (longues) journées de présence sur les courts, afin de pouvoir étudier avec sérénité et sérieux. C'est un peu comme s'il était en stage.
Les Internationaux de France de tennis (le nom officiel du tournoi qui porte le nom du célèbre aviateur) mettent en action plusieurs centaines de ces ramasseurs et ramasseuses de balles. Au terme d'une sélection poussée, Emmanuel Quesne a pu en faire partie, lui et deux de ses camarades du Reims Europe Club Tennis (il faut faire partie d'un club affilié à la Fédération française de tennis, FFT).
5 000 au départ, 280 à l'arrivée
Il raconte à France 3 Champagne-Ardenne s'être inscrit en ligne (parmi 5 000 jeunes de 12 à 16 ans), puis avoir participé à une première journée de sélection durant le mois de novembre. Il y en avait une à Nancy (Meurthe-et-Moselle), mais il s'est rendu à celle de Honfleur (Seine-Maritime, en Normandie), parmi la vingtaine de dates proposées. De 300 ados y participant, pour la seule sélection honfleuraise, il n'en est resté que 18. Sacré écrémage. "C'était très sélectif."
L'étape suivante, c'était "un stage de cinq jours à Troyes [Aube; ndlr], pendant les vacances de Pâques. À la fin du stage, c'était le 1er mai, j'ai eu la réponse : j'étais sélectionné pour être ramasseur de balles à Roland Garros. Ils avaient gardé à peu près trois participants sur quatre." Ce sont 280 personnes au total qui ont été sélectionnées sur toute la France pour officier sur les courts.
L'heureux élu, très heureux, était sur un petit nuage. Tout le monde a été ravi pour lui, "même si mes copains étaient un peu jaloux". Quant à la famille, c'est le papa, Guillaume Quesne, qui résume le mieux la situation. "On était hyper fier. On l'a soutenu à 200%, on l'a emmené à chaque fois dans les tests de sélection. C'est une superbe expérience. La Fédération française de tennis a fourni un courrier aux établissements scolaires au cas où ils auraient des doutes sur cette participation, en expliquant que c'est une expérience incroyable sur le plan humain et sportif. Certes, ils vont louper des cours, mais en salle de pause, ils ont des ordinateurs accessibles pour consulter leurs cours."
C'est pas l'armée, mais pas le Club Med non plus
Côté logistique, il est impératif de pouvoir dormir sur la capitale. Fort heureusement, les parents n'ont pas eu à déménager, et Emmanuel Quesne n'a pas dû annihiler sa tirelire pour se payer l'hôtel. Il est possible de loger chez des ramasseurs ou ramasseuses de balles du coin, ou chez des connaissances qu'on a sur place (c'est son cas). Côté frais de bouche, une cafétéria est à sa disposition sur le site midi et soir. En outre, on lui a donné trois tenues officielles, estampillées Lacoste (excusez du peu), qu'il pourra conserver au terme de la compétition. Précisons que ramasser des balles est une activité bénévole.
"Un ramasseur de balles, c'est celui qui va être là pour s'occuper du joueur, le servir, tout lui mettre à disposition." Y compris lui remplir sa gourde ou apporter sa raquette au service d'entretien du matériel. "Et faire en sorte que le terrain soit en bon état. Il y a six balles sur le terrain. Le joueur en prend deux pour jouer, et nous, on garde les quatre autres. On est toujours là pour lui en redonner une." (le voir en action sur la vidéo dans le lecteur ci-dessous)
En tant que ramasseur de balle, il est l'une des très rares personnes autorisées à fouler la terre battue du court de tennis (avec notamment l'arbitre). Ses rotations "durent d'une demi-heure à trois-quarts d'heure, sur toute la journée. On est deux à trois équipes par terrain. On alterne avec une deuxième équipe, donc j'ai cinq à dix rotations par jour."
C'était la troisième et dernière tentative d'Emmanuel Quesne pour participer : il aurait été trop âgé en 2025. Il précise que "quand ils nous refusent, ils ne nous disent pas pourquoi". C'est toute une organisation, et il faut charbonner pour décrocher le sésame. "On n'a pas le temps de s'ennuyer sur le terrain, on est toujours en train de réfléchir."
C'est fatiguant mentalement et physiquement, mais on a accès aux coulisses de Roland Garros.
Emmanuel Quesne, ramasseur de balles
Car c'est loin d'être une sinécure : c'est physique, il faut se concentrer en permanence lors du match, faire preuve de dextérité, et s'astreindre à de longues journées pouvant aller de la matinée à minuit (même s'il y a "beaucoup de pauses"). En bref, "c'est fatiguant mentalement et physiquement", quand il pleut, c'est la cerise sur le gâteau, mais "on profite des coulisses de Roland Garros", et ça, ça n'a pas de prix.
Pas de téléphone, et c'est de la balle
Le protocole est strict. "On doit vraiment faire attention aux consignes données en dehors du terrain. Dessus, il ne faut faire aucune erreur, car elles seront notées. Il faut avoir un bon rouler : c'est quand on s'envoie la balle d'un ramasseur à l'autre. Plus il est parfait, mieux on est noté." Il s'agit de ne pas l'envoyer du mauvais côté. "Il doit être plat, sans rebond, et rapide. Donc il faut un timing très précis pour lancer la balle au bon moment." Des bourdes peuvent arriver, mais tant que la balle est rapidement attrapée, ça passe...
"Et on n'a pas de téléphone. Pour qu'on évite d'être distrait, ou d'avoir une sonnerie sur le terrain." C'est vrai que ce serait dommage de faire péter un plomb à Corentin Moutet, chouchou français connu pour son caractère et ultime Français masculin éliminé de la compétition, en faisant retentir la célèbre chanson populaire mexicaine Jarabe Tapatio (Mexican Hat Dance) alors qu'il se concentre...
Mais cette interdiction ne le gêne pas, bien au contraire. "C'est pour pouvoir profiter pleinement du tournoi et de l'univers dans lequel on est, de se faire plein d'amis. Personne ne se plaint de cette règle. On n'a ni le temps ni le besoin d'être sur nos téléphones."
Le père lève aussi son pouce à cette mesure. "On trouve ça ultra-positif. Il le laisse au vestiaire le matin quand il arrive, et il ne le récupère qu'au soir pour nous prévenir qu'il est sorti. La motivation première est d'être dans l'humain et d'échanger avec les autres. Je trouve ça génial de déconnecter, dans la société actuelle." Son fils ne cache pas avoir noué de belles amitiés à cette occasion.
Souriez, vous êtes filmés
Et aussi de grands noms du tennis, face auxquels il faut savoir rester de marbre. "C'est compliqué", concède Emmanuel Quesne. "On se met dans notre bulle pour rester sérieux. Même si on essaye de profiter du moment." Pas question en revanche d'adresser la parole aux joueurs et joueuses de tennis, même s'il reste évidemment possible de leur répondre s'ils initient la conversation. "Beaucoup viennent nous voir avant dans nos locaux ou dans les couloirs."
Il était tout sourire quand il a pu échanger un peu avec "le numéro trois mondial", Carlos Alcaraz. Mais "on doit être rapide et discret", tient à rappeler le jeune homme qui est "censé se fondre dans les murs" (voir les sols de terre battue des courts sur la vue aérienne de la carte ci-dessous).
On ne s'imagine pas tout ça en regardant les matches à la télé. D'ailleurs, parlons-en. "Beaucoup de proches m'y ont vu. C'est très drôle, on reçoit plein de messages." Et il gardera plein de clichés malgré l'absence de son téléphone portable, puisque des photographes mitraillent les courts et les coulisses et mettent tout ça à disposition ensuite. "De toute façon, les souvenirs, on les garde dans la tête."
L'un des meilleurs, c'est quand il a pu assurer "l'entrée des balles sur le terrain", au côté du présentateur de la compétition. Une "forte mise en avant, qui n'est pas donnée à tous les ramasseurs de balles".
De tout ça, Emmanuel Quesne, pas le premier de son lycée à vivre des aventures extraordinaires, gardera "des souvenirs mémorables... et beaucoup de copains". Et pourquoi pas un projet professionnel. "J'ai découvert plein de métiers, et je ne sais pas vraiment ce que je veux faire plus tard." C'est vraiment comme dans un stage, en fait...