Depuis le samedi 25 mai, point d'orgue des Fêtes johanniques de Reims (Marne), le musée Saint-Remi présente une exposition temporaire sur les monnaies de la Guerre de cent ans, ayant opposé les royaumes de France et d'Angleterre. Les pièces présentées, dont certaines sont en or, sont rarement présentées au public. Le musée et L'Amicale numismatique rémoise les exposent jusqu'au dimanche 23 juin.
Tous les trésors ne sont pas d'or. Mais la plupart des pièces présentées à cette exposition qualifiée d'inédite le sont. Depuis le samedi 25 mai 2024, premier jour des Fêtes johanniques de Reims (Marne), le musée Saint-Remi (il n'y a pas d'accent !) accueille plusieurs monnaies dont l'histoire se confond avec celle de la grande Guerre de cent ans. Nombre des objets présentés sont authentiques et précieux. Rare est leur présentation au public.
Le musée, se trouvant dans une ancienne abbaye, est voisin de la célèbre basilique contenant les reliques de Remi, l'évêque ayant baptisé Clovis, roi des Francs. C'est en référence à ce baptême que la France (qui était loin à l'époque d'être déjà la France) a été surnommée la fille aînée de l'Église.
Guerre et monnaies : une histoire intrinsèquement liée
Pour l'anecdote, le roi Crésus de Lydie, tirant sa fortune légendaire des pépites charriées par le fleuve Pactole (actuelle Turquie), serait l'inventeur des premières pièces de monnaie, en électrum (alliage naturel d'argent et d'or). D'où les expressions "riche comme Crésus" ou "toucher le pactole".
En France, la création de la monnaie sur le territoire franc(ais) précède de bien loin la Guerre de cent ans, conflit né des prétentions dynastiques opposées des Plantagenêts et des Capétiens au trône de France. Mais cette longue période, de 1337 à 1453, est l'occasion pour le pouvoir royal français de s'affirmer et d'exercer une réelle politique monétaire, après une phase de déclin et de troubles.
C'est aussi l'époque où est apparu le premier franc, supplanté par l'écu et qui ne devait être pérennisé que quatre siècles plus tard par Napoléon, sous le Consulat (on parle du franc germinal). À l'organisation de l'exposition, Didier Devaux (avec Frédéric Hardouin), de l'Amicale numismatique rémoise, narre que "l'origine du franc remonte à 1356, avec la bataille de Poitiers et la capture du roi Jean II le Bon par les Anglais".
"Pour le libérer, il fallait payer une rançon de trois millions d'écus - douze tonnes d'or - et on a frappé une monnaie spécifique. Elle représente le roi sur un cheval, en armure, et libre. À l'époque, pour dire libre, on disait franc. Le premier franc était donc à cheval, il fait suite au traité de Brétigny du 8 mai 1360. Sa création a été ordonnée à Compiègne, le 5 décembre 1360" Qui permettra de libérer le roi prisonnier, au prix de la perte d'une grande partie de l'Aquitaine, et de Calais. La trêve va durer un peu moins d'une décennie, avant la reprise des hostilités.
Jean II le Bon meurt dès 1364. Son fils, Charles V le Sage (qui en tant que dauphin assurait la régence pendant l'emprisonnement de son père) va continuer de payer encore un peu la rançon, comme prévu par le traité, avant d'arrêter. Lui aussi fera frapper "des francs à pied, où le roi est représenté debout". Avec le franc à cheval comme "monnaie de référence", d'autres francs (environ "une dizaine") seront frappés par les seigneurs locaux ou des évêques du Brabant ou des Flandres, avec des intitulés différents.
Avant (et après) les francs, les pièces sont présentées par ordre chronologique. La première vitrine montre des pièces d'aspect plus commun, renvoyant à l'époque carolingienne et féodale. "On y retrouve le gros tournois, une pièce apparue sous Saint-Louis et déclinée sous ses successeurs. L'avènement du monnayage d'or débute vraiment [un demi-siècle plus tard], à l'avènement de Philippe VI, comme les pavillons d'or : des monnaies excessivement rares." Plus le conflit s'intensifiera, plus la part d'or dans les pièces va se raréfier, à nouveau au profit de l'argent (notamment sous Charles VII, qui va redresser la situation et gagner la guerre grâce notamment à Jeanne d'Arc).
Encore plus précieux (et donc non-exposés, faut pas rêver) : la couronne d'or et l'ange d'or. Comme toutes les monnaies trop rares pour être présentes ici, elles apparaissent en grand format sur des kakémonos afin qu'on puisse s'en faire une belle idée. Concernant cet ange d'or, il est "très intéressant de relever que Philippe VI a été sacré à Reims. L'histoire raconte que l'ange a été repris de l'Ange au sourire, sur la cathédrale. Vous savez, si vous voulez d'autres histoires, j'en ai plein..." Une raison de plus de venir à l'exposition ou de rejoindre l'Amicale numismatique rémoise, alors.
D'ailleurs, même s'il s'agit "d'un domaine de collection qui est vieillissant, avec une moyenne d'âge de 60 ans", cela n'empêche pas des jeunots de le rejoindre régulièrement et d'apporter des vents de renouveau. L'un des membres les plus récents, tout juste âgé de 16 ans, est passionné de monnaies polonaises (le zloty) et canadiennes (dollar), comme la nationalité de ses parents. D'autres se passionnent pour toutes les pièces... où apparaissent des animaux. Il y a de quoi faire, et se plonger dans des recherches passionnantes dans les bourses et brocantes. Tout ce beau monde sera présent au salon annuel de numismatique qui se tient à Tinqueux (Marne) le vendredi 1er novembre, et tous les premiers samedis du mois à la maison des associations rémoises.
Il n'y a d'ailleurs pas de raison de penser que l'exposition est réservée aux personnes initiées. Les pièces peuvent parler à tout le monde. Didier Devaux souligne que "la monnaie est représentative de faits historiques". Passionné depuis plus de 40 ans, les pièces l'ont amené à s'intéresser à moult évènements de la grande histoire de France et d'ailleurs. Ainsi, il est possible de se faire une idée d'Ostie, le port antique de Rome désormais rattrapé par les terres, car il apparaît sur les pièces émises sous l'empereur Néron.
Toujours plus de pièces d'or
Toutes ces pièces appartiennent en partie au musée (qui peut rarement les exposer pour raison de sécurité), mais surtout à des collectionneurs à droite à gauche qui ont voulu en faire bénéficier cette exposition inédite. On y retrouve aussi ce qu'on appelle un noble d'or. Une monnaie atypique, car anglaise, mais frappée... en France. "C'est l'un des chefs-d’œuvre de l'exposition", confie Frédéric Hardouin. "Il a été frappé par Edouard III, [roi d'Angleterre], pour commémorer la puissance de l'Angleterre d'un point de vue naval". Elle rappelle la bataille navale de L'Écluse, l'une des premières à préfigurer la maîtrise totale des mers puis des océans par les Britanniques durant les siècles à venir. C'est l'une des raisons pour laquelle, initialement, les Anglais déferleront et seront si puissants face aux troupes françaises, notamment à Crécy et à Poitiers, où, on le rappelle, le roi de France sera fait prisonnier.
"Édouard III y est identifié comme le maître des mers, sur un navire doté de nombreux canons. Il y est représenté, par ses emblèmes de fleurs de lys et de lions, à la fois comme roi de France, par sa mère Isabelle, et roi d'Angleterre par son père Edouard II. Jusqu'à Napoléon, les souverains d'Angleterre porteront les emblèmes des rois de France. Cette monnaie est devenue emblématique de l'Angleterre." Et Didier Devaux d'ajouter que "la particularité, c'est que cette monnaie anglaise a été frappée sur le sol français, à Calais, en fait. On le sait car on y voit un C au niveau central."
L'exposition enseigne aussi, par des affiches très descriptives, comment les pièces étaient fabriquées. Mais également comment chaque atelier faisait savoir qu'il était celui à avoir poinçonné telle pièce, une mesure utile pour éviter la contrefaçon, très sévèrement punie. Il était envisagé de montrer un véritable atelier de frappe monétaire (avec une production évidemment factice), mais il faut se concentrer seulement des panneaux (qui sont déjà pas mal instructifs).
Pas que des pièces : des médailles aussi
La numismatique (et Frédéric Hardouin notamment) ne s'intéresse pas qu'aux pièces de monnaie. Les médailles sont aussi un champ d'expertise qui peut apprendre beaucoup de choses. "C'est un vecteur de communication. On y représente de manière magnifiée les dirigeants de l'époque." Par exemple Napoléon III en a fait frapper à son effigie et les a remises à des dignitaires, pour légitimer sa prise de pouvoir et s'inscrire dans la lignée des rois de France.
Le passionné explique aussi qu'apparaissent "aussi sur ces médailles des héros de guerre, comme le chevalier Du Guesclin". Un preux chevalier, connétable de France (chef des armées), qui ramena dans le giron français une quantité impressionnante de provinces au début de la Guerre de cent ans. "Il se trouve que Jeanne d'Arc y est aussi représentée de manière très importante, notamment à l'époque contemporaine. Elle a été fortement mise en valeur", alors que s'écrivaient les pages de notre roman national. C'est pour ça que l'exposition a ouvert au premier jour des Fêtes johanniques, et que l'intéressée est d'ailleurs venue y jeter un œil durant la matinée.
Certaines médailles, c'est assez insolite pour être souligné, sont rectangulaires (des plaques, en somme : celles-ci ont été trouvées par hasard en brocante) : on y voit même Jeanne d'Arc "représentée avec plus de majesté" que le roi lui-même. D'autres peuvent s'inscrire dans la mouvance artistique de leur temps, par exemple l'Art-déco. Dans une vitrine à part, on découvre une médaille extrêmement précieuse (ou plutôt sa réplique, qui ne vaut donc pas cher) : une Calaisienne. "C'est la première médaille française qui a été frappée par Charles VII, pour commémorer la fin de la Guerre de cent ans, et l'expulsion des Anglais de Calais... même s'ils y sont restés pendant encore un siècle."
"Elle existe en huit types différents, en plusieurs métaux : or, argent, bronze, métal doré... En 1867, on comptait 29 exemplaires de Calaisiennes dans le monde. Un collectionneur nous a prêté cette reproduction d'une des 29 médailles, selon l'un des huit modèles existants." Une Calaisienne en argent de Charles VII s'est vendue récemment pour une coquette somme aux enchères (ce n'est pas du tout celle exposée, qui est une réplique on le rappelle). Une vidéo de huit minutes, réalisée par la maison de vente (Lugdunum) est projetée au mur à côté de l'entrée pour en apprendre plus sur ces rarissimes Calaisiennes (voir ci-dessous).
"Pour la petite anecdote, huit des 29 Calaisiennes sont en or. L'exposition sur Charles VII [jusqu'au 16 juin au musée de Cluny, dans le cinquième arrondissement de Paris; ndlr] présente sept de ces médailles en or : elles appartiennent toutes à la Bibliothèque nationale de France, qui les a prêtées. La dernière médaille en or fait partie d'une collection privée à New York : une semblable en bronze doré a donc été présentée. Voir ces sept Calaisiennes en or exposées, c'est absolument exceptionnel." Pour Didier Devaux, "on ne voit ça qu'une fois dans sa vie. Et cette partie de l'exposition parisienne, elle est dans la continuité de la nôtre à Reims." (voir localisation de Saint-Remi sur la carte ci-dessous)…
À voir également au musée Saint-Remi
On l'a dit, le musée Saint-Remi est à découvrir en plus de cette exposition temporaire. Et il y a de quoi y passer des heures, dans un calme assez apaisant. L'occasion de se plonger dans l'histoire de Saint-Timothée (prêcheur devenu martyr), Saint-Rémi évidemment, ou de l'archevêque Hincmair, en découvrant de précieux objets remontant parfois jusqu'à l'époque médiévale (remarquable quand on connaît les destructions révolutionnaires).
Sans oublier l'étage, où attendront, à ne plus savoir où tourner la tête : les galeries de vestiges préhistoriques, celles avec les trésors archéologiques de l'antiquité, les couloirs dévolus à l'art funéraire, les salles remplis d'objets utilisés à l'époque de l'abbaye... On y apprend notamment que Reims, anciennement Durocortorum en latin, tire son nom de la tribu locale des Rèmes. Il y a même une section dédiée à plusieurs siècles d'armes et d'équipements militaires. On pourrait s'y perdre.
Toujours en empruntant le fameux escalier en fer forgé (de Lecoq et Revel, à qui l'on doit la somptueuse porte de Paris aux Promenades), vous aurez accès aux fameuses tapisseries de Saint-Remi (on en apprend plus sur leur conservation et restauration), complétées pour celles en réserve par une restitution contemporaine et colorée de l'artiste Laura Ozymko. Les tapisseries anciennes sont l'un des biens les plus précieux du musée, comme le confiait Bénédicte Hernu, la conservatrice devenue pompier volontaire en charge de la préservation de la culture, auprès de France 3 Champagne-Ardenne.
Le rez-de-chaussée présente quant à lui des salles de vastes proportions, présentant des vestiges et des mosaïques, sans oublier une maquette de la cité antique que l'on peut admirer sous toutes les coutures. L'occasion de se souvenir que le secteur de l'avenue de Laon abritait un imposant amphithéâtre romain et de nombreuses tombes.
Et qu'à l'époque, la fameuse porte de Mars était très probablement flanquée d'un quadrige, comme la porte (contemporaine celle-là) de Brandebourg à Berlin. Peut-être l'objet d'une future reconstruction, maintenant que les travaux de restauration sont achevés ?
À savoir
Les portes ouvrent du mardi au dimanche, de 10h00 à 18h00. Pour 5,50 euros, vous pouvez visiter le musée, et avoir accès à cette exposition temporaire qui court jusqu'au dimanche 23 juin. Le tarif est réduit (3,50 euros) pour les 18-25 ans (gratuit pour les personnes ayant une carte étudiante) et pour les plus de 65 ans. Les mineurs ne payent pas. Des casiers bien pratiques permettent de stocker manteaux, chapeaux, et sacs qui encombreraient (prévoir une pièce d'un euro, rendue).