Aujourd'hui, 25 novembre, c'est la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes. À cette occasion, nous avons recueilli le témoignage de Magali Kaiser. Celle qui est aujourd'hui vice-présidente du Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de la Marne a subi pendant plusieurs années des violences physiques et psychologiques de la part de son ex-conjoint.
À 48 ans, Magali Kaiser ne se définit plus comme victime de violences conjugales, mais plutôt comme survivante. Elle qui a subi pendant plusieurs années la violence psychologique et physique du père de ses enfants a mis du temps à se reconstruire. Aujourd'hui, elle s'investit pleinement dans l'accompagnement des victimes.
À l'occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes, ce 25 novembre 2023, elle a bien voulu revenir sur son parcours au micro de notre journaliste Céline Lang.
Quelle est l'origine des violences que vous avez subies ?
Magali Kaiser : "J'ai rencontré celui que j'appelle le monstre – puisque je n'arrive pas à dire mon ex-conjoint – en 1997. À l'époque, j'étais toute jeune, j'avais une vingtaine d'années.
À cet âge-là, j'étais une fille assez timide et surtout très romantique. Comme toutes les jeunes filles, on rêve au prince charmant. On a plein d'idées, plein de projets.
On s'est rencontré par l'intermédiaire d'amis communs. Comme toute histoire, au début, elle démarre bien. Puisque malheureusement, ce genre de personne ne montre pas son vrai visage dès le début de la relation.
C'était quelqu'un de très jaloux, très possessif, maladivement. Quand vous êtes jeune et que vous avez des rêves plein la tête, vous vous dites : 'D'accord, il est jaloux et possessif, mais personne n'est parfait.'"
Comment ont commencé les violences ?
"Ça a commencé par des violences verbales, psychologiques, des phrases assez assassines. Si je mettais une robe ou quelque chose d'un petit peu plus joli que d'habitude, il me faisait me changer. Ce n'était que des choses comme ça.
Tout était contrôlé : les sorties, le portable. Il me surveillait aussi.
Si je me coiffais ou je me maquillais, il me regardait d'un air vraiment furieux en disant : 'Tu ne peux pas aller te changer ? Regarde-moi ça, je te préviens, je ne sors pas avec un pot de peinture.'
Ce sont des phrases qui sont extrêmement violentes. Et des exemples comme ça, je pourrais vous en donner plein."
Comment est-on passé des violences psychologiques aux violences physiques ?
"Tout était contrôlé : les sorties, le portable. Il me surveillait aussi. Dès qu'il avait du temps libre, il savait que de telle heure à telle heure, j'étais à un endroit, et il me surveillait.
À l'époque, je travaillais comme aide maternelle dans une école. J'avais des collègues instituteurs hommes. Ce jour-là, je ne l'avais pas vu, j'étais en train de discuter avec un collègue instituteur.
Le soir, quand je suis rentrée à la maison, il était dans un état pas possible. Il m'a dit : 'Je t'ai vu discuter avec untel, j'ai bien vu comment que tu le regardais'. J'ai osé lui répondre et hausser le ton. Là, la gifle est partie. À ce moment-là, je me suis retrouvée vraiment en état de choc.
Lors de nos disputes, pour des énièmes crises de jalousie, il pouvait y avoir des objets qui se cassent, parce qu'il s'en prenait au mobilier. C'était quelqu'un d'incontrôlable.
Il est allé dans la cuisine, il a pris un couteau de cuisine et il m'a plantée.
Quelques heures après, il revenait et me disait : 'Je suis vraiment désolé de ce qui s'est passé tout à l'heure, mais tu sais bien comment que je suis quand je suis en colère, je ne me contrôle pas'. C'est une personne qui s'est mise à genoux, en pleurs devant moi, me suppliant de le pardonner.
C'était un peu comme un cycle. Vous avez la phase où vous retrouvez à nouveau le mari amoureux attentionné qu'il est, et la phase où il vous culpabilise."
Quel a été le point de bascule ?
"Un jour, il a voulu avoir un rapport. J'ai osé dans un premier temps refuser le rapport. Il a essayé de me forcer. Des viols, j'en avais déjà subi auparavant parce que je n'étais pas toujours d'accord, mais je subissais. Je n'avais pas le choix.
Soit je satisfaisais sa demande, soit entre guillemets, je me faisais défigurer façon Picasso. Je n'avais pas le choix. Là, non seulement, j'ai osé lui dire non. Et en plus, j'ai osé me débattre. Je l'ai griffé. Pendant quelques secondes, il est resté presque en état de choc parce qu'il ne s'y attendait pas.
J'ai essayé de partir précipitamment pour m'enfermer dans la salle de bains, parce que je savais que ça allait partir en cacahuète. Lui est allé dans la cuisine, il a pris un couteau de cuisine et il m'a plantée.
Ça a été le trou noir. Je me suis évanouie. Je me suis réveillée à l'hôpital. Quand il a appelé les secours – parce qu'il a quand même paniqué – il a dû inventer une excuse. Il ne pouvait pas dire aux pompiers : 'J'ai pété les plombs, je l'ai plantée'.
Il racontait plus ou moins la même version aux médecins des urgences. Mais le personnel médical est formé. Entre la version qu'il avait racontée et l'état de mes blessures, ça ne collait pas.
Donc des infirmières, des médecins, ont essayé de me faire parler. Mais j'étais morte de peur, j'étais en état de choc.
Le point de bascule, c'est quand il est venu me voir à l'hôpital. Il a eu cette phrase que je n'oublierai jamais : 'Je ne voulais pas que ça en arrive là. Mais je préfère te prévenir, la prochaine fois que tu n'as pas envie, la lame ira beaucoup plus loin.'
Je n'avais pas peur de mourir, mais mourir en sachant qu'il allait rester tout seul avec les deux enfants, ça je ne pouvais pas.
Ça a été un véritable déclencheur. J'étais maman de deux petits-enfants. À l'époque, mes enfants avaient 4 ans et 6 mois. Dans ma tête, je n'avais pas peur de mourir, mais mourir en sachant qu'il allait rester tout seul avec les deux enfants, ça je ne pouvais pas.
Je me suis dit ce jour-là : 'Il faut que tu prennes les enfants et que tu partes. Parce qu'un jour, il va te tuer, ou il nous tuera tous les trois.' Il fallait vraiment que je fasse quelque chose.
Aujourd'hui, vous me voyez en fauteuil roulant. Mais à l'époque, j'étais encore debout, je pouvais marcher. J'avais surtout une voiture et un permis de conduire, chose très importante qui me laissait une certaine part de liberté.
J'ai été hébergée dans un premier temps dans un hôtel, en hébergement d'urgence. J'ai été dirigée ensuite vers un foyer de femmes battues dans la Meuse. Puis je me suis reconstruit une nouvelle vie sur Paris."
À un moment, vous avez décidé de faire confiance à la justice. Comment cela s'est passé ?
"Quand je suis arrivée sur Paris, je pensais à tort – je vous dis ça aujourd'hui avec le recul – que je pouvais oublier tout ça, me construire et passer à autre chose.
Sauf que mon fils aîné avait subi des violences de la part de son père. Aujourd'hui, il a 24 ans, mais à l'époque, il avait 5 ans. Il a commencé à faire des dessins, il a commencé à parler de choses qu'un enfant de son âge ne pouvait pas connaître.
Donc je me suis enfin décidée à porter plainte, j'ai voulu le faire pour mon enfant. Je me suis rendue à la brigade des mineurs de Paris pour déposer plainte pour mon fils. C'est l'officier de police judiciaire qui m'a incité à déposer plainte également pour moi. Moi aussi, j'avais été victime de violence. De là, la machine judiciaire s'est enclenchée."
Il y a ensuite eu un procès ?
"L'enquête a été donnée à un juge d'instruction, puisqu'il y avait des faits criminels sur ma personne et sur mon fils aîné. Ensuite, le monstre a été interpellé. En garde à vue, il a avoué tout en détail. Il vous raconte ça comme une histoire banale de tous les jours.
Il a réitéré ses aveux devant la juge d'instruction. Il avait un profil psychiatrique assez particulier. Je l'ai découvert plus tard, à l'issue du procès.
À la fin du procès, il n'a eu aucuns remords et aucuns regrets.
Le procès s'est déroulé à la cour d'assises de Meurthe-et-Moselle de Nancy. Il a été condamné à dix ans de réclusion criminelle.
À la fin du procès, il y a cette fameuse phrase qui dit : 'Est-ce que vous avez un mot à ajouter ?' Il n'a eu aucuns remords et aucuns regret. Aujourd'hui, pour pouvoir me reconstruire, j'ai dû faire le deuil de ce pardon pour pouvoir avancer."
Où en êtes-vous aujourd'hui ?
"Le jour du verdict, je me suis fait deux promesses. La première promesse, c'était que plus jamais je serai soumise à la violence de quiconque. La deuxième promesse, c'était que je mettrai ma pierre d'édifice pour pouvoir aider toutes ces femmes qui ont vécu la même chose que moi. Et aussi, quelque part, pour rendre la pareille à toutes ces mains qui m'avaient été tendues.
Aujourd'hui, je suis la vice-présidente du CIDFF de la Marne. J'essaie d'être présente à toutes les actions, à tous les événements, parce que les violences faites aux femmes et aux enfants, c'est le second combat de la vie depuis presque vingt ans.
J'essaie d'être un maximum présente sur le terrain, pour pouvoir témoigner et aussi tendre des mains.
C'est comme ça que j'ai réussi à me reconstruire. Même si encore, l'année dernière, j'ai dû recourir à un dispositif de sécurité qu'on appelle le téléphone grave danger.
Il est sorti de prison et j'avais reçu une lettre de sa part, des appels malveillants. J'avais dû déposer plainte. Heureusement, mes collègues du CIDFF de la Marne m'ont très bien entourée. Je les remercie encore aujourd'hui pour leur confiance et leur soutien."
Vous n'avez plus peur aujourd'hui ?
"J'essaie de ne pas y penser. J'essaie simplement de vivre, de me raccrocher à l'amour, l'affection et la tendresse de ma famille et de mes proches.
J'essaie aussi d'être un maximum présente sur le terrain, pour pouvoir témoigner et aussi tendre des mains. Aujourd'hui, je suis en reconversion. J'ai toujours cette idée de pouvoir tendre la main aux autres. Donc je viens d'obtenir la certification pour pouvoir faire de la thérapie cognitive comportementale."