Témoignages de Gilets Jaunes dans la Marne : "On ne vit plus, on survit"

Ils s'appellent Didier, Marie-Jo, Sandra ou encore André. Ils sont retraités, à la recherche d'un emploi ou en exercent un et depuis le 17 novembre 2018, ils ne quittent plus leur gilet jaune. Emus, ils exposent les raisons qui les ont poussés à se mobiliser.
 

Il fait froid, ce lundi 3 décembre dans la Marne. Au rond-point de Cormontreuil, près de Reims, ou celui de la Lune à Châlons-en-Champagne, les "gilets jaunes" ont construit des abris en palette de bois. Devant les cabanes de fortune, des feux de bois ont été dressé pour pallier le froid et l'humidité. Ils sont une dizaine, un peu plus parfois, à chaque rond-point. Les automobilistes klaxonnent en signe de soutien.

Des petits signes qui ne laissent pas André, Marie-Jo, Didier ou encore Sandra indifférents. Tous ont décidé de revêtir un gilet jaune dès le 17 novembre. "Ce n'est plus une histoire de taxe, mais de pouvoir d'achat", entonnent-ils en cœur, "écœurés" des réponses avancées par le gouvernement.

Contrairement à certains rassemblements, ceux de Cormontreuil, de Châlons et d'autres, sont remplis de personnes pacifistes, proposent des croissants et des cafés. Ils questionnent, répondent, argumentent, tentent de comprendre "la machine médiatique". Surtout, ils attendent des réponses concrètes à leurs situations. Retraités, sans-emploi, actifs… tous sont unanimes : les fins de mois sont de plus en plus difficiles.

Sandra Kowalezyk, sans emploi, mère de deux enfants : "On ne vit plus, on survit"

Emmitouflée dans sa parka orange fluo, Sandra se réchauffe discrètement près du feu du rond-point des lunes, à Châlons-en-Champagne. A ses côtés, sa fille de 14 ans se blottie dans son écharpe épaisse, silencieuse.
 

Ancienne auxiliaire de vie pour personnes âgées, Sandra Kowalezik ne peut plus exercer son emploi à cause de sa santé. Elle vit désormais avec 620 euros par mois, et deux enfants à nourrir. "C'est très très dur, avoue-t-elle. A partir du 15 du mois, je suis dans le rouge. Je suis toujours à découvert pour pouvoir nourrir mes enfants."

"On ne vit plus, on survit", assène la mère de famille, les yeux humides. J'ai ravalé ma fierté, pour pouvoir aller parler à une assistante sociale. J'ai mis plusieurs mois avant d'aller voir une assistante sociale, pour demander des aides, pour donner à manger à mes enfants."

Voici son témoignage en vidéo : 
Le message qu'elle veut transmettre n'est pas très différent de ceux des autres "GJ", comme ils se nomment sur les réseaux sociaux.

J'aimerais avoir plus d'argent pour donner à manger à mes enfants. Qu'ils arrêtent de me dire : 'Maman, on va encore manger des pommes de terre.'

Quand on la questionne sur les réponses qu'elle attend, elle hésite, ne trouve pas les mots. Après une ou deux secondes d'hésitation, elle énumère : "Qu'on puisse vivre avec notre argent. Que je n'ai pas à me rabaisser devant une assistante sociale. On ne peut pas vivre comme ça. J'ai l'intention de retravailler, je ne peux pas car ma santé ne me le permet pas, mais j'ai bien l'intention de retrouver un travail."

Derrière elle, un quadragénaire lui glisse à l'oreille : "Dis-leur que grâce aux gilets jaunes, tu as retrouvé une nouvelle famille." Et de répondre, dans un sourire : "Oui, c'est un peu ça."
 

Marie-Jo, veuve et victime de deux AVC : "Est-ce que c'est normal de laisser des personnes handicapées mourir de faim ?"

Ancienne employée dans l'hôtellerie, Marie-Jo est veuve et retraitée. "Aujourd'hui, je ne m'en sors que grâce à la pension de reversion (sic) de mon mari", explique-t-elle, sous sa capuche et son manteau.

On demande toujours de travailler plus plus plus. Finalement pour quoi ? Travailler plus et tomber malade ?

Il y a dix ans, Marie-Jo travaillait entre dix et douze heures par jours dans un hôtel de luxe. Son corps a décidé de dire 'Stop'. A la suite de deux AVC, le verdict tombe : handicapée à 80%, elle ne peut plus exercer son métier. Quelques temps plus tard, son mari décède. Elle ne touche plus que sa pension d'invalidité et la pension de reversion de son mari. "Je sais juste une chose, c'est que prochainement, je vais avoir 350 euros de moins dans ma poche", analyse-t-elle (voir encadré).

Elle termine, la voix tremblante : "Je vais y aller, dans la rue".

Voir ici son témoignage en VIDEO

Est-ce que c'est normal de laisser les handicapés finir dans la rue ?
 

Didier Thomas, gardien au CHU de Reims : "On s'en sort en se privant" 

Malgré le fait qu’on travaille tous les deux, les restaurants, c’est terminé. Les sorties en tête à tête c’est fini.

Voir ici son témoignage en VIDEO

Didier Thomas
est gardien au CHU de Reims. Depuis le 17 novembre 2018, il campe au rond-point de Cormontreuil, près de Reims avec son gilet jaune. Un mouvement "non politisé", "sans syndicat", qui a convaincu le Marnais, lui-même ancien syndiqué. "C'est un mouvement pacifiste, on prône la non violence, on va à la rencontre des gens."

Cela fait longtemps que Didier et son épouse ont tiré un trait sur la viande du boucher. Qu'ils courent les promotions chez Lidl, ne vont plus au restaurant. "Les sorties en tête à tête, terminé. Les vacances, cela fait cinq ou six ans qu'on ne part plus, sauf pour rendre visite à la famille."

"A nous deux, on fait 3 200 euros, auxquels vous retirez 800 euros de saisie sur salaire car mes parents, qui sont décédés, avaient des dettes. Ensuite, il faut retirer 700 euros de loyer, 100 euros d’électricité, l’assurance auto de 129 euros, toutes les assurances habitations confondues, 60 euros", énumère-t-il. Une fois ces dépenses obligatoires, il leur reste 300 euros pour aller faire les courses "Et on n’est pas les plus malheureux, je tiens à le dire. On se plaint d’aise. On fait partie des gens qui arrivent encore à tenir le cap."
 

André Guy, retraité du bâtiment : "On s'est jamais plaints, mais ce n'est plus possible"

André a travaillé dès l'âge de ses 16 ans, comme ouvrier dans le BTP. Docile, il ne "s'est jamais plaint". Il sait qu'il fait partie d'une génération heureuse, qui a bénéficié de beaucoup d'avantages : "On fait partie de la génération du baby-boom, beaucoup de gens sont arrivés à la retraite en même temps, alors on a accepté de recevoir moins." 
 

On a pris des complémentaires retraite, des assurances vie, car on se doutait que ça ne suffirait pas. On en avait trois. On en a déjà bouffé deux.

En 2017, André Guy a "voté Macron". A la fois parce qu'il "y croyait" et "parce qu'il n'y avait personne d'autre. Le Pen ce n'était pas possible. C'est une belle connerie, mais n'empêche que je suis là. C'est le Président des riches. On pensait qu'il changerait les choses, mais il est trop jeune, il n'a jamais tenu ne serait-ce qu'une mairie. C'est un banquier voilà tout."

Désabusé, il ne souhaite pas "que Macron dégage". Tout ce qu'il souhaite, c'est qu'il ne soit pas obligé de vendre sa maison à cause de sa situation. 

Retrouvez son témoignage :
 

Voir le reportage

Pension de reversion : où en est-on?
La pension de reversion correspond au montant qu'un veuf ou une veuve touche après le décès de son conjoint. Pour le moment, la question n'est pas encore étudiée, mais l'inquiétude est souvent soulignée par les "gilets jaunes". Beaucoup parlent de suppression.

Pour le moment, le dossier doit être ouvert au printemps prochain, dans le cadre de la réforme des retraites. Le dossier a été confié au député Jean-Paul Delevoye, le haut commissaire à la réforme des retraites. Dans un tweet, il a assuré que les personnes qui touchent actuellement une pension de reversion ne seront pas touchées par la réforme : "Non le gouvernement ne cherche pas à supprimer ou à faire des économies sur les pensions de #reversion. La future réforme ne touchera pas les personnes qui perçoivent aujourd’hui une pension de réversion ou en percevraient une avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles."

En revanche, les pensions de reversion sont dans le viseur pour les retraités à venir. Pour le moment, les pistes envisagées n'ont pas encore été dévoilées. Dans le quotidien L'Humanité, Gérard Filoche dénonce une baisse drastiques des pensions de reversion à venir.
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