A Rodange, au Luxembourg, à 500 mètres de la frontière française, des milliers de voitures et de camions transitent chaque jour sur la N5 pour faire le plein à prix cassés. Un commerce qui ne connaît pas la crise mais un véritable calvaire pour les habitants. Reportage Complètement à l'Est.
Annabelle habite au Luxembourg, à Rodange, depuis plus de trente ans. A l’époque, quand elle s’installe route de Longwy, la municipalité lui certifie une chose : il n’y aura pas de nouvelles installations de stations-services. Aujourd’hui, sa maison est encerclée. Dans le jour qui tombe, les néons clignotent autour d’elle, à peine masqués par les murs anti-bruit de trois mètres montés autour de son jardin par les géants du pétrole. Total, Aral, Q8, Lukoil, Esso, Shell et d’autres encore. En tout, 13 stations-services se partagent la clientèle sur une portion de moins d’un kilomètre.
Dans leur sillon, le ballet des voitures et surtout des poids-lourds se joue dans le chaos. Les cris fusent, un bouchon se forme, les insultes sortent des cabines, un camion double un collègue déjà en double file. La petite route est saturée. Comme tous les jours. « Quand je pose une bouteille d’eau sur ma table de cuisine, elle vibre à cause de la circulation qui ne s’arrête jamais. J’en ai ras-le-bol. Mes murs sont bourrés de fissures. C’est invivable. Je ne rêve que d’une chose : me barrer...», lance Annabelle désabusée avant de poursuivre « Et changez mon nom, qu’on ne me reconnaisse pas… sinon ils vont me faire chier. » La porte se referme et claque dans le brouhaha du soir et le bruit des moteurs.C’est invivable. Je ne rêve que d’une chose : me barrer...
Une situation d’autant plus difficile à supporter que les poids lourds n’ont pas le droit de rouler devant sa maison. Un arrêté grand-ducal leur interdit la circulation sur la nationale mais personne ne le respecte laissant la police luxembourgeoise bien impuissante. Ce soir-là, ils sont trois à tenter de mettre de l’ordre dans l’anarchie ambiante, résignés. « Les patrons les obligent à venir faire le plein ici. Tous les jours, c’est pareil. On ne peut pas verbaliser tout le monde, ce n’est pas possible. Donc on ne verbalise personne. On fait ce qu’on peut mais on a l’impression de perdre notre temps. » Un routier baisse sa vitre et confirme. « Moi je viens ici tout le temps. Je décharge dans le coin et je repars le réservoir plein. Avec, je fais mon aller-retour jusqu’à Nevers. Y’a pas photo pour les prix. Alors oui, on sort de la voie rapide pour venir ici même si on n’a pas le droit.»Les patrons les obligent à venir faire le plein ici. On ne peut pas verbaliser tout le monde. Donc on ne verbalise personne.
Jusqu'à 300 euros d'économie
Si les véhicules, camions et voitures, sont si nombreux, c’est évidemment à cause du prix de l’essence. Ici, le gazole se négocie à 1,10 euro le litre contre un peu plus d’1,40 en France. Le calcul est vite fait. Pour un plein de poids lourds, soit entre 700 et 1000 litres, l’économie peut monter à 300 euros. Pour une voiture légère, le passage en caisse est allégé de 15 euros en moyenne.
Personne ne fait le plein en France. On vient tous ici à Rodange au Luxembourg.
Côté camions, les plaques d’immatriculation sont de toutes nationalités, côté voitures en revanche, la majeure partie des conducteurs vient de France. Delphine, jeune maman de 28 ans habite à une vingtaine de kilomètres de la frontière et ne se pose même plus la question. « Tous les frontaliers font comme moi. Tous les copains aussi. Personne ne fait le plein en France. On vient tous ici. » A ses côtés, Claude n’a pas acheté d’essence ailleurs depuis 15 ans. « Je suis Belge, je travaille en France et au Grand-Duché. En France, j’achète mon lait, en Belgique l’électronique et au Luxembourg mon Diesel. Aujourd’hui, je suis avec ma voiture, demain je prendrai celle de ma femme pour faire le plein, après-demain, je remplirai le réservoir de mon fils. Je passe du temps dans les stations-services mais ça vaut tellement le coup », dit-il souriant.
Un business qui attise les convoitises. Une nouvelle station-service est en train de sortir de terre. Le projet, le plus grand de la rue, fait rêver Jérôme, employé de l’enseigne d’en face. « Si j’avais de l’argent, j’investirais dans un truc pour les routiers. Ils vous font le plein, achètent de quoi manger. Ici, c’est la guerre parfois quand les poids lourds sont en double file voire en triple file pour attendre une place à la pompe. C’est l’enfer, ça hurle, les gens s’engueulent mais à la fin, tout le monde y gagne.»
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