Drôle d'idée que de produire du whisky français. Mais pourquoi pas, après tout ? En Lorraine, à Rozelieures, en Normandie et dans les Alpes, trois paysans se sont lancés le défi de produire du whisky français, à partir de leurs propres céréales. Voici trois raisons de regarder le documentaire de Thierry Carlier "Whisky français, une aventure paysanne".
En matière d'alcool, le terroir français tient ses lettres de noblesses de ses vignobles, célèbres dans le monde entier. Et s'il faut évoquer les distilleries, chaque territoire possède ses particularités : en Lorraine, la mirabelle, en Normandie, le Calvados et dans les Alpes, le Génépi, sans oublier le rhum des Antilles ou de la Réunion. Mais du whisky, on glorifie plutôt l'écossais, l'irlandais voire le japonais.
C'est sans compter sur une poignée d'irréductibles gaulois, bien décidés à se mesurer à ce celte breuvage. Christophe à Rozelieures en Meurthe-et-Moselle, Fred à Cornillon-en-Trièves (Isère) et Léo à la Chapelle-Saint-Ouen (Seine-Maritime). Chacun de son côté, ces trois agriculteurs se sont lancés dans le défi du whisky. De la graine au plaisir, voici trois bonnes raisons de regarder "Whisky français, une aventure paysanne" de Thierry Carlier en replay ci-dessus.
1. Pour leur petit grain de folie
Il fallait être un peu fou pour vouloir battre les écossais à leur propre jeu. Ou pour le moins décalé. Et pour ça, Christophe l'était déjà à 15 ans. "Je ne suis pas fils d'agriculteur, explique-t-il, je suis venu à ce métier par goût. Quand j'ai dit à papa que j'aimerais bien aller en seconde au lycée agricole de Nancy, ça a été une catastrophe familiale." La famille l'imaginait rejoindre d'autres cieux, mais c'était la terre qui l'appelait.
Fred, fondateur du Domaine des Hautes Glaces, est un innovateur. "J'ai fait une proposition nouvelle pour le monde du whisky, c'est-à-dire que j'ai reconnecté le whisky à sa matière première et j'ai essayé de mettre la céréale au cœur des produits et des goûts". Vaste programme.
Quant à Léo, il a quitté sa campagne pour aller étudier à Paris aux Arts et Métiers, unité chimie. Après avoir travaillé dix ans dans l'industrie pharmaceutique, il est revenu à ses premières amours et s'est installé dans une ferme proche de sa ferme de famille. Il y a créé sa ferme-brasserie à la Chapelle-Saint-Ouen , où il coule en continu sa vie d'agriculteur. Il y cultive son orge et fabrique sa bière et son whisky à partir du malt, qu'une malterie produit pour lui.
2. Pour se reconnecter à la nature
"Nous, ce qu'on essaye de faire, explique Fred, c'est de laisser le vivant s'exprimer. Cette intuition n'est pas si folle que ça : tu le constates dans le vin, le fromage, dans tout ce que tu manges ; la matière première est quand même essentielle." Alors, avec le concours de l'INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), il sélectionne et fait mûrir lui-même les graines qui vont devenir sa matière première.
Moi, en tant que producteur, ce qui m'intéresse c'est le goût.
Fred, paysan fondateur du Domaine des Hauts de Glace
"En tant que producteur, ce qui m'intéresse, c'est le goût." Et non pas les critères habituels de sélection des graines par les industries semencières : la résistance aux maladies, le rendement, etc. D'autant que s'il veut développer des goûts différents, il a besoin de céréales différentes. Et ne peut se contenter du nombre restreint de variétés proposées par les industries. "Nous, en tant que producteur de whisky, on veut s'ouvrir à la diversité. C'est le moteur de mon travail."
Avec un souci du climat et des ressources en eau en plus : "s'il y a une bascule climatique, peut-être que les semences plantées dans le Queyras ou dans l'Atlas au Maroc seront plus adaptées à notre climat de demain ?" Le tout en agriculture bio. Une approche de la nature et du vivant, de sa biodiversité, un concept global.
Christophe va passer en bio aussi : "c'est l'avenir. Pour habiter à la campagne, il faut aimer la nature. Si tu mets des produits qui la déglinguent, ça ne donne pas envie." CQFD.
3. Pour tout savoir sur la fabrication du whisky
Une bonne graine d'orge à longue barbe, d'épeautre ou blé gaulois, une céréale méditerranéenne ancienne et rustique, ou du blé rouge de Bordeaux, des variétés de grains choisies pour leur goût, leur typicité. Puis le temps des moissons qui laisse entrevoir le travail à venir. Le concassage, le maltage et la fermentation et ses secrets. "On profite de la fermentation pour faire de l'alcool ; on profite de détourner le chemin de la nature pour notre plaisir." Il faut faire tremper le grain dans l'eau quelques jours avant que le procédé ne s'enclenche. "Le grain pense que c'est le printemps, on l'a trempé dans l'eau".
Le reste est affaire de magie : un soupçon d'amidon, une pincée de levure, le maltage et la fermentation, puis le sucre et l'alcool. Et surtout la chaleur, les odeurs et les tuyaux cuivrés de l'alambic. Une distillation, puis une seconde. Enfin, pour les liquides les plus chanceux, la rondeur et le temps des tonneaux.
Le champ des possibles est si vaste, avec les terroirs, ses parcelles, ses variétés, ses procédés comme le tourbé ou les blends, que la filière du whisky français a des beaux jours d'aventure paysanne devant elle.