Le "Nancy Jazz Pulsations" fête ses cinquante ans. Une longévité exceptionnelle pour un festival qui a su se réinventer en s'ouvrant à des genres musicaux divers. Deux anciens journalistes de France 3 racontent leurs expériences les plus marquantes.
Le Nancy Jazz Pulsations (NJP) fête cette année 2023 ses cinquante ans. Une longévité exceptionnelle pour un festival qui a su se réinventer en permanence en s'ouvrant à de genres musicaux divers. Deux confrères de France 3 Lorraine ont couvert le festival depuis 1980, autant dire qu'ils ont suivi de près son évolution au fil des ans. De beaux souvenirs avec de belles rencontres, mais aussi des artistes devenus de plus en plus inaccessibles.
"ce n'était pas l'interview du siècle mais le baiser du siècle !"
Martine Alcan, journaliste à FR3
Quand Martine Alcan est envoyée le 30 octobre 1989 au NJP pour interviewer Miles Davis, elle n'y est pas allée par quatre chemins. Direction les coulisses et attente devant la porte close de la loge du magicien de la trompette. Elle sera une des rares journalistes françaises à réussir à interroger le maître pour l'interview la plus courte de l'histoire du journalisme musical : "on a poireauté une heure devant la porte, il était en train de boire, il ne voulait pas répondre. Finalement il a ouvert et au lieu de me répondre, il m'a claqué la bise !"
Miles Davis lâchera tout de même une phrase lapidaire à la consœur: "je n'aime pas perdre de l'énergie en parlant." Et Martine de résumer toujours très pro dans ses formules : "ce n'était pas l'interview du siècle mais le baiser du siècle !" Le musicien de conclure l'échange avec une grimace dont il gratifiait souvent le public (quand il ne lui tournait pas le dos...).
Ces souvenirs les plus marquants sont ses rencontres avec Ray Charles, Dee Dee Bridgewater et Césaria Evora. :"Dee Dee Bridgewater a été une vraie découverte pour moi et Césaria Evora un moment de grâce. Elle était très sympathique et ouverte à toutes questions."
Quant à l'évolution du festival, Martine a un regret : le mur qui s'est édifié au fil des années entre les artistes et les journalistes. Ce mur c'est celui élevé par les intermédiaires de la communication, passage devenu obligé pour espérer obtenir une interview. Ou peut-être pas...
Une spontanéité disparue que regrette aussi Patrick Germain. Notre confrère et son complice Guy Grunberg ont couvert le festival tous les ans à partir de 1980 : "Avant, nous étions admis en coulisses, aujourd'hui, ça ne se passe pas du tout comme ça. Il y a un rempart qu'on appelle des agents artistiques et des attachés de presse."
Et de raconter cette anecdote qu'il se plaît à qualifier de "délicieuse": Une attachée de presse vient lui signifier le refus d'une interview en ces termes : " je suis désolée, je ne peux pas vous accorder d'interview." Et le confrère de répondre : "ça tombe bien parce que ce n'est pas vous que nous venons interviewer, c'est l'artiste."
Il faut bien mourir de quelque chose
Michel Petrucciani, musicien, pianiste de jazz
Patrick n'emploie pas le mot "backstage" mais "coulisses" pour évoquer le temps béni où il suffisait de rester à proximité des loges pour obtenir un entretien avec des sommités du jazz: "neuf fois sur dix, c'était oui !"
Ainsi sa rencontre avec Michel Petrucciani entre deux balances :"Je lui ai dit : Bonjour Michel Petrucciani, est-ce que vous accepteriez qu'on fasse une interview ? Nous sommes entrés dans sa loge, il a allumé une cigarette, nous a regardés un moment et a lâché : il faut bien mourir de quelque chose."
Notre confrère garde cette image du musicien porté sur scène. Cette difficulté terrible à marcher : "et puis quand il était au piano, tu te demandais comment il arrivait à joindre les deux bouts du clavier et ça c'était extraordinaire. Voilà. La musique transcendait le corps et le handicap."
Un festival qui a su se réinventer
Quant à sa longévité, le festival la doit à sa capacité à s'ouvrir à différents courants musicaux : "en abordant d'autres rivages musicaux, il a attiré un public beaucoup plus large et beaucoup plus étendu qu'à l'origine."
Car le plaisir reste tout de même devant la scène. L'équipe du NJP a dévoilé jeudi 15 mars la programmation de la 50e édition qui se déroulera du 7 au 21 octobre 2023. Une centaine de noms parmi lesquels Hubert Félix Thiéfaine, Marcus Miller ou encore le rappeur Disiz.
Autre ingrédient du succès selon l'emblématique président du NJP, Jean-Claude Antoine dit "Tito" : la délocalisation des concerts dans divers lieux de l'agglomération, notamment à Poirel et à l'Autre Canal (salle de musiques actuelles) : "ça fait 50 ans que nous avons un fort ancrage local. C'est un festival urbain et on essaie de le maintenir. Donc il est important que les Nancéiens soit les premiers spectateurs."
Une démarche appréciée bien au-delà de Nancy (Meurthe-et-Moselle) puisque 100.000 visiteurs (dont 35.000 entrées payantes) investissent chaque année la ville pour quinze jours de joies et de découvertes musicales.