Depuis ce mardi 25 mai, les députés examinent une loi sur la régulation de l’accaparement des terres agricoles. Un texte qui est censé éviter le rachat et la concentration des terres par des sociétés, mais "qui rate sa cible" selon le député lorrain Dominique Potier (PS).
Ce sont les membres de la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural) qui tirent les premiers la sonnette d’alarme. Les faits sont là, nos terres agricoles sont de plus en plus détenues par des sociétés, parfois étrangères, et de moins en moins par des agriculteurs-exploitants.
Le texte de Loi qui est étudié ce mardi 25 et ce mercredi 26 mai 2021 par les parlementaires a pour but de stopper les dérives de l’agrandissement agricole démesuré par des sociétés. Si l’intention est bonne, le texte en réalité n’est pas suffisamment contraignant et risque au contraire d’aggraver la situation avec des conséquences assez importantes à la fois sur l’élevage, les possibilités d’installation de jeunes agriculteurs, mais aussi sur la qualité de nos sols et de notre environnement.
De plus en plus de sociétés agricoles
Habituellement, lorsqu’un agriculteur part à la retraite, il cède son exploitation à ses enfants pour qu’ils reprennent, ou la vend à de nouveaux agriculteurs, sous l’œil de la Safer qui veille à ce qu’il n’y ai pas de spéculation sur des terres agricoles, et qui peut d’ailleurs préempter pour éviter l’inflation du prix des terres et la préservation des terres nourricières.
Mais la Safer n’a pas légalement de droit de regard légal sur les transactions de part sociales de sociétés. Ce qui pousse certains agriculteurs à transformer leur exploitation en société afin de pouvoir soit revendre des parts sociales plus chères à d’autres agriculteurs pour s’agrandir ou à des investisseurs. Cela leur permet aussi de louer les terres à des entreprises de travaux agricoles qui vont exploiter les sols, tout en conservant les aides de la PAC (Politique agricole commune). Une sous-traitance qui permet de contourner le fermage.
Blocage des nouvelles installations
Le souci, c’est que les gros exploitants agricoles ou les entreprises de travaux agricoles continuent ainsi d’augmenter leurs surfaces, et de monopoliser le foncier, au détriment de jeunes ou de nouveaux agriculteurs qui ne trouvent plus de terres pour s’installer. Dans la prochaine décennies, près d’un agriculteur sur deux va partir à la retraite, (150.000 en France) et les terres risquent fort d’être accaparées toujours par les plus puissants, et les plus riches, quand ce n’est pas par des investisseurs étrangers… comme c’est déjà le cas dans le Pays-Haut en Lorraine, très convoité par des investisseurs Luxembourgeois, prêts à payer trois fois le prix pour acquérir les sols.
Selon le député de Meurthe-et-Moselle, Dominique Potier (PS), qui se bat pour limiter le phénomène depuis 2013, "le risque est grand de ne pas pouvoir mettre en place dans nos campagnes l’agro-écologie dont nos terres ont le plus besoin pour faire face aux enjeux climatiques, mais aussi préserver la qualité des sols et de l’eau. Les jeunes agriculteurs, mais aussi les maraîchers et éleveurs bio ont de plus en plus de mal à trouver des terres pour s’installer".
Des cultures intensives
Par ailleurs, le passage des terres entre les mains d’entreprises de travaux agricoles ne va pas du tout dans le sens de la protection de l’environnement. Ces entreprises ont des impératifs de rentabilité qui les poussent notamment à arrêter l’élevage, trop chronophage et trop contraignant, au profit de grandes surfaces céréalières, avec des monocultures de blé, d’orge ou de maïs, et l’utilisation massive de pesticides et autres produits phytosanitaires. Ils peuvent aussi décider de raser les haies, les fossés ou d’exporter toute leur marchandise…
Réguler l'accaparement des terres, c'est une question de sécurité alimentaire, et de protection des sols, de l'eau et de la biodiversité
Or, aujourd’hui, on sait que seule la rotation des cultures permet de réduire les intrants et de faire une agriculture plus respectueuse de la biodiversité et de la qualité des sols et de l’eau. Et que les circuits courts sont les garants d’une plus faible émission de gaz à effet de serre. Pour Rémy Toussaint, de la Confédération Paysanne 54, "le seul modèle économique qui est résilient aujourd’hui, et qui répond aux enjeux climatiques comme au maintien de l’emploi et des paysages dans la région, c’est la polyculture-élevage telle qu’elle est pratiquée en Lorraine et de préférence en bio".
Une loi qui rate le coche
Or, "si les transactions de parts de sociétés agricoles continuent d’échapper à tout contrôle comme c’est le cas aujourd’hui, c’est le modèle agricole industriel mondialisé qui risque fort de prendre le dessus", nous explique Dominique Potier. Le député Lorrain qui connait bien le dossier pour avoir mené une mission parlementaire sur le sujet, a déposé récemment un projet de loi visant à limiter ces transactions et permettre une accession aux terres agricoles équitable à tous.
Pour lui, la loi déposée par la majorité ne "s’attaque pas à l’essentiel", à savoir contrôler les investisseurs étrangers et les dérives des sociétés de travaux agricoles. Le projet de loi examiné ne permet pas non plus un traitement équitable puisque les seuils de surface à partir desquels l’Etat a un droit de regard sur les transactions ne sont pas les même pour un simple agriculteur que pour les sociétés qui bénéficieront de tailles de surfaces trois fois plus grandes… et de dérogations quand il y a un bénéfice prouvé pour l’emploi.
Dominique Potier, dont aucun des 17 amendements n’a été accepté lors des commissions qui ont examiné la proposition de loi, estime que "les accapareurs ont de quoi se réjouir". De leur côté, le principal syndicat agricole, la FNSEA, et les chambres d’agriculture soutiennent le texte de Jean-Bernard Sempastous, député de la majorité, et appellent les autres députés "à un large consensus sur cette proposition".