L’humanité est entrée dans « l’ère de l’ébullition » climatique, a averti Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations Unies, ce jeudi 28 juillet 2023, pile 20 ans après la canicule de 2003. Quelles mesures ont été prises depuis dans les hôpitaux et les EHPAD ? Seront-elles suffisantes pour l’avenir. Deux professionnelles de santé du CHRU de Nancy ont répondu à nos questions.
Juillet 2023 sera "le mois le plus chaud jamais mesuré", dépassant le précédent record de juillet 2019 selon l’ONU. L’humanité est entrée dans "l’ère de l’ébullition climatique", a averti, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, ce jeudi 28 juillet 2023, pile 20 ans après la canicule de 2003.
L’été, 2003 a durablement marqué les consciences. La France et l’Europe découvraient un phénomène jusque-là assez rare et réservé à des zones habituées aux fortes chaleurs : la canicule. Une vague de chaleur d'une intensité exceptionnelle est survenue durant les quinze premiers jours du mois d'août avec des températures largement au-dessus des normales le jour et la nuit.
Selon Santé Publique France : " La surmortalité a touché l'ensemble de la France, même dans les départements dans lesquels le nombre de jours caniculaires était faible. Début août 2003, un anticyclone recouvre les deux tiers de l’Europe." Pendant plus de deux semaines, une masse d’air tropicale s’installe au-dessus de nos têtes et les thermomètres s’affolent.
"Le nombres de décès qui ont eu lieu à domicile et en maison de retraite ont été multipliés environ par 2 par rapport à leur valeur habituelle."
INSERMinserm.fr
Selon une étude de l’INSERM : 14.800 personnes décèdent entre le 1ᵉʳ et le 20 août 2003, une surmortalité de + 60 % par rapport à cette période les années précédentes. Le rapport indique : "Le nombre de décès qui ont eu lieu à domicile et en maison de retraite ont été multipliés environ par 2 par rapport à leur valeur habituelle, 42 % des décès en excès sont survenus dans des hôpitaux, 35 % à domicile, 19 % dans des maisons de retraite et 3 % en clinique privée.
La surmortalité a été particulièrement importante dans les régions Centre (+103 %) et Île-de-France (+134 %), notamment dans l'agglomération parisienne (+127 % à Paris, +147 % dans l'Essonne, +161 % dans les Hauts-de-Seine, +160 % en Seine-Saint-Denis et +171 % dans le Val-de-Marne)".
Un plan canicule dans les hôpitaux depuis 2003
Isabelle Castin, qui est aujourd’hui cadre supérieur du Pôle urgences réanimation médicale au CHRU de Nancy, a connu la canicule de 2003. Elle travaillait alors dans un tout autre service. "C’était une période compliquée qu’on n'avait pas anticipée à l’époque. On n'avait pas beaucoup de moyens pour faire face : pas de ventilateurs, pas de matériel suffisant."
Depuis fin 2003, "il existe un plan canicule. On peut anticiper pour une bonne prise en charge de nos patients. On a du matériel qui peut se distribuer rapidement : brumisateur, ventilateurs, et même climatiseurs pour la partie ancienne des bâtiments. Il y a eu des travaux pour améliorer la situation. À certains endroits, la climatisation a été installée comme certains couloirs par exemple. En cas de fortes chaleurs, on ouvre les portes des chambres tout en fermant les fenêtres et les volets. On ne peut évidemment pas climatiser tout l’hôpital."
"Quand un plan canicule se déclenche", ajoute Sylia Mokrani, qui est directrice en charge des plans canicule du CHRU de Nancy, "des fenêtres Pop-up s’ouvrent sur tous les ordinateurs de l’Hôpital. De cette façon, tous les personnels sont informés. Ils ont un rappel de toutes les mesures à appliquer pour les patients, mais aussi pour les personnes qui travaillent à l’hôpital. On organise des distributions d’eau. Les personnes les plus vulnérables font l’objet d’une attention particulière."
Les PC sécurité des différents établissements stockent brumisateurs et ventilateurs de secours s’il devait manquer du matériel durant un week-end. "Il y a une veille saisonnière qui va du 1ᵉʳ juin au 15 septembre et qui peut être élargie." nous indique Sylia Mokrani. "En cas d’alerte orange ou rouge, on est organisé en cellule de crise. Il est géré par un binôme medico-administratif. C’est un médecin référent de crise. Depuis 2003, le "plan ORSEC" au sein de chaque établissement sous l’autorité du préfet. Tous les acteurs du territoire sont dans la boucle. Il existe un comité départemental canicule. Il s’est réuni début juin 2023. Il s’est assuré que chacun était prêt pour la phase de "veille saisonnière". Depuis 2003, ce plan canicule niveau rouge a été activé trois fois au niveau national 2007, 2019, 2022. Avec la covid, on était déjà dans un épisode de gestion de crise depuis 2020".
Le plan canicule a quatre niveaux d'alerte (verte, jaune, orange et rouge) en fonction des conditions météorologiques. Les plus vulnérables à la canicule sont les personnes âgées à domicile. Elles peuvent arriver aux urgences dans une situation actuelle déjà sous tension avec la fermeture de lits pour la période estivale liée aux vacances des personnels. 220 lits ont été fermés, cet été, au CHRU de Nancy.
"Depuis 2022, on a constaté au niveau des urgences une augmentation des personnes âgées qui viennent du domicile. Les gériatres et les urgentistes nous indiquent qu’il y a un effet retard de la crise covid. Des personnes qui n’ont pas consulté et qui arrivent dans un état plus dégradé." Sylia Mokrani précise : "en cas de canicule, il y a les personnes vulnérables qui peuvent arriver dans nos services. Mais c’est toute la population qui peut être concernée en réalité."
L'avenir avec encore plus de canicules
Le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) a publié son sixième rapport au printemps 2023. Il y prévoit des phénomènes météorologiques plus importants. "Il atteste d’une augmentation des risques (vagues de chaleur, précipitations extrêmes, sécheresses, fonte de la cryosphère, changement du comportement de nombreuses espèces…)"
Selon Météo France, l’été 2022 a été le 2ème été le plus chaud depuis 1900. 2 816 décès en excès (+ 16,7 %) ont été observés. La classe d’âge des plus de 75 ans est la plus touchée (Santé Publique France).
Des oasis solidaires
"Depuis 2004, les EHPAD ont l’obligation d’avoir un espace collectif climatisé pour protéger les résidents de la chaleur", nous rappelle le site "Petits frères des pauvres", qui ajoute : "une majorité des personnes âgées veulent rester vivre chez elles. Or, les nouveaux modes d’habitat pour personnes âgées en plein développement comme les résidences seniors ou les habitats partagés ne sont pas soumis à l’obligation d’une salle climatisée. En 2003, 35 % des décès de la canicule ont eu lieu à domicile. Une tendance qui se poursuit aujourd’hui. D’ailleurs, en 2022, les Petits Frères des Pauvres ont recensé plus d’une dizaine de personnes âgées mortes seules chez elles et retrouvées des semaines, des mois, voire des années après leur décès".
L’association a lancé le mouvement "Osasi solidaire." Il s’agit de demander aux particuliers, aux entreprises et aux communes de signaler leur espace frais et de les partager.