"Nous vivons un moment historique, cruel comme une rafle". Dans un texte, Nicolas Mathieu évoque notre situation inédite. Lundi 23 mars, il est confiné chez lui. Avec son fils. Toute cette semaine nous vous proposons "réflexions de confinés", avec des écrivains, des dessinateurs, des artistes.
Il est originaire d’Epinal dans les Vosges. Nicolas Mathieu a obtenu le prix Goncourt en 2018 pour son livre "Leurs enfants après eux" aux éditions Actes Sud. Un livre qui est une saga sociale. Elle nous entraîne dans une vallée de l’est de la France rongée par la désindustrialisation et la paupérisation.
Il vit à Nancy. Et comme tous les français il est confiné chez lui. "Cette situation à quelque chose de paradoxale. Ma vie quotidienne ne change pas beaucoup dans les faits car en général je reste très souvent chez moi pour lire, regarder des films, écrire", dit Nicolas Mathieu, joint par téléphone lundi 23 mars 2020 dans la matinée.
Pendant notre temps commun de confinement et de lutte contre cette pandémie, confiné, comme tout le monde, cette situation inédite apporte de l’anxiété chez Nicolas Mathieu. "J'ai des montées d'angoisse. Plusieurs fois par jour. J'ai la poitrine serrée. Je suis très inquiet. Je pense beaucoup à mes parents qui habitent dans les Vosges. Et moi je suis enfermé ici à Nancy. J'ai peur pour eux car ils sont âgés et malades."
Très sincèrement je ne pense pas que cette situation sera la source d'un nouveau livre.
- Nicolas Mathieu, Prix Goncourt 2018, confiné
"Le point de butée où trébuche notre civilisation du déni permanent"
Nicolas Mathieu est un écrivain très sensible, très juste dans ses livres. Et ce lundi matin au téléphone, il nous parle avec cette inquiétude qui peut l'envahir dans la journée. Et aussi la nuit. Un peu comme les émotions que ressentent les personnages de ses livres. "On a l'impression que la qualité de l'air s'est modifiée. C'est lourd. C'est très lourd car cette menace, ce virus, a la particularité d'être invisible".
Mais, finalement comme beaucoup de monde, lui aussi profite de cette période pour lire, regarder des films, jouer aux dames avec son fils. Passer du temps avec son fils. "J'ai peur pour lui. L'autre matin, au réveil il a débarqué dans mon lit en disant: "papa j'ai mal à la gorge". Et là... Ça me serre les tripes."Je rêve que ce virus soit le point de butée où trébuche notre civilisation du déni permanent.
- Nicolas Mathieu
"Mettre des mots sur les choses"
Pour ne pas rajouter de l'anxiété à l'anxiété, il regarde les infos à peine vingt minutes par jour, "et c'est déjà trop". Puis à la fin de la discussion, il cite La Peste de Albert Camus, publié en 1947. "Mal nommer les choses", jugeait Camus, "c'est ajouter au malheur du monde. Ne pas nommer les choses, c'est nier notre humanité. Alors je continue à écrire. Cela me permet de mettre des mots sur les choses. C'est important. C'est pour mes textes les lecteurs peuvent les retrouver sur Facebook et Instagram".Le texte que nous publions ci-dessous a été écrit initialement pour la page Facebook de l’écrivain Nicolas Mathieu. (Nous le publions avec son autorisation).
"Depuis plusieurs jours, tu attends le pic. Ils l’ont prédit sur BFM et à l’Elysée. Les médecins se succèdent sur les plateaux de télé, ils savent et plus personne n’a envie de couper leurs paroles ni leurs crédits. Chaque matin, tu t’éveilles avec cette seule pensée, la vague invisible qui a déferlé autour de toi, ta chambre comme une île, les histoires que tu lis encore à ton fils, au coucher, le frigo qui se vide peu à peu, tu n’es pas sorti depuis cinq jours, le dehors s’est perdu dans une sorte de brouillard vague dont tu n’as de nouvelles que par la radio et les trois écrans auxquels tu t’es arrimé. Au passage, tu as appris de nouveaux noms: Jérôme Salomon, Alexandre Yersin, le professeur Raoult. Chaque matin, tu es pris dans la même angoisse sobre. Il ne t’est rien arrivé et ta vie ressemble encore à d’étranges vacances."
"Tu travailles peu, tu lis mal, toujours un œil sur ton téléphone, à 8 heures ta mère t’envoie un message : Je vais bien, je vous embrasse fort, je vous aime. Tout se tient encore, mais à l’horizon, il y a le pic et sa silhouette de bascule. Peut-être n’as-tu jamais connu de semblable lundi matin, un jour qui ressemble si nettement à un seuil. Au-delà, une vie t’attend qui ne sera peut-être plus la même. Dans ta tête, tu fais la liste de tes amis, de tes oncles et tantes, tu reprends les maux de chacun, diabète, anémie, AVC et problèmes coronariens, tu te demandes qui sera frappé, qui est déjà pris dans la vague sans le savoir. Ce qui t’étonne, c’est de retrouver ce sentiment de vie antique, où le destin pèse d’un poids si clair, où le sort des hommes semble rendu à sa forme de poussière."
"Et pourtant, le débit d’Internet est bon, les films de Miyazaki sur Netflix excellents et, hier soir, tu as vu "J’accuse", ce dont tout le monde se fout à présent. Ce matin, tu t’es levé avec la poitrine prise dans un étau, et ton fils est venu te dire dans ton lit qu’il avait mal à la gorge. Comme les hommes d’Athènes, de Babylone ou de Carthage, tu es devenu infiniment sensible aux signes. Le moindre d’entre eux déclenche en toi un tempête d’interprétations, de mondes possibles. Cette nuit, sur les marches devant ta porte, tu as éprouvé le froid glacial et le vide de ta rue. Le silence avait la densité d’un nouvel hiver. Alors, tu t’es senti peu de chose, terriblement fraternel, et tu t’es surpris à prier pour des jours meilleurs."
Les conseils "culture" de Nicolas Mathieu pour mieux vivre le confinement :
- Un livre : Vanda de Marion Brunet.
- Un film : Midsommar film réalisé par Ari Aster
- Une série télévisée : Black Books, série télévisée britannique
- Un compte à suivre sur les réseaux sociaux : les relations père/fils