Tribulations d'un journaliste échoué à son domicile. "Ce qui ne peut être évité, il faut l'embrasser", disait Shakespeare. Alors j'embrasse ce qui m'arrive. Je travaille dans mon salon.
Lundi 30 mars 2020. Jour 14 du confinement en plein Covid-19.
Tous les articles qui parlent de télétravail font les mêmes recommandations. A la maison, il faut s'imposer un rythme de travail, au moins pour être efficace, sinon pour ne pas perdre les pédales. Mais alors, c'est quoi le bon rythme, demanderez-vous. Il n'y en a pas, vous répondrais-je. Chacun doit déterminer ce qui lui convient le mieux. Voila. Fin de ma chronique.
Il serait prétentieux de dire qu'il existe une seule façon de faire du télétravail. Il y a toutefois des paramètres incontournables, et chacun doit placer le curseur là où ça lui convient le mieux. Au risque de tâtonner un moment pour trouver le parfait équilibre. Il va falloir prendre quelques habitudes et s'y tenir. Interviewée dans Marianne ce mois-ci, la psychothérapeute Sylvaine Perragin insiste: "il faut essayer de casser le moins possible son rythme habituel". Voici une liste non hiérarchisée et non exhaustive des paramètres à régler si l'on veut être un télétravailleur digne de ce nom.La tenue de travail
La tenue vestimentaire est un moyen qui vous permet psychologiquement de passer de la maison au boulot. Pour autant, pas besoin de sortir le costard-cravate (surtout pour un journaliste, c'est plutôt rare). S'habiller normalement est un marqueur, un signal qui vous rappelle que, quand même, il va falloir bosser un peu aujourd'hui. Après, rien de proscrit le pyjama de pilou, mais vous serez impitoyablement jugé lors de la prochaine visio-conférence. Après, tout dépend de votre degré d'assumation (oui, le mot assumation est très moche, mais il existe) et d'autodérision.La plupart des articles vous invitent fortement à vous habiller de manière correcte. Après, rien ne vous empêche de rester dans une tenue confortable. Personnellement, j'ai du mal à quitter mon ensemble sweat à capuche et pantalon de jogging, mais la possibilité de me revoir un jour porter un jean n'est pas si saugrenue ni lointaine que ça.Avant de clore ce premier point, je ne peux m'empêcher de vous partager l'astuce d'Eric B. qui a posté son rituel sous un article du site Cadreemploi.fr : "dès que j'enfile mes chaussures, je me mets en mode "worker". Ce qui me permet, le soir venu de couper court en ôtant mes souliers, un moyen de marquer franchement la rupture, ce qui remplace avantageusement le trajet "travail-domicile" qui fait souvent office de sas de décompression entre la vie au bureau et les joies du foyer". J'espère que vous serez convaincu du bienfait de travailler en chaussures à la maison, et ainsi de faire claquer vos talonnettes sur le parquet du salon.
Un espace adéquat
Dans l'idéal, il faudrait un espace de travail séparé des autres espaces de vie de la maison. Pour résumer: pas de conf-call dans la cuisine, pas de coups de fil dans la salle de bain, pas d'ordinateur portable devant la télé (sauf à 11h50 et 18h50 pour regarder le journal de France 3 Lorraine). Exit donc, le canapé. Malheureusement, tout le monde n'a pas les moyens d'avoir une pièce à part pour s'isoler durant sa journée de télétravail, surtout en ce moment. La situation est clairement improvisée pendant ce confinement et on se retrouve plus souvent à bosser sur la table du séjour (on en a déjà parlé dans l'épisode 2 de cette chronique).Après, ne croyez pas que les distractions familiales, conjoint, enfants, animaux... soient un véritable frein à votre productivité ou votre efficacité. Au bureau, nous sommes dérangés toutes les quinze minutes environ, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Alors si la conjointe écoute les podcasts de l'émission Blockbusters de France Inter, ou si le chat miaule pour une raison inconnue (pour changer), ce n'est pas bien différent du collègue qui vous demande comment utiliser un logiciel ou qui vous invite à la machine à café. "On estime qu’il faut en moyenne entre soixante secondes et trois minutes pour se replonger dans une tâche après s’être dispersé", assure un article de Welcome to the Jungle.Malgré tout, il sera difficile d'éviter un dérangement intempestif. On se souvient de l'interview de Robert Kelly, ce professeur de l'université de Pusan en Corée du Sud, en direct sur la BBC, perturbée par l'irruption de ses enfants en arrière-plan. Comme lui, il faudra faire avec.
Robert Kelly a d'ailleurs repris la parole en fin de semaine dernière, le 27 mars 2020. "Les employeurs dont les salariés ont des enfants de cet âge (doivent savoir) que c’est très difficile," a-t-il déclaré.
Petite parenthèse pour parler du chat. Pour ceux qui ont suivi l'épisode 3, le lézard a été retrouvé derrière la télé. Merveilleux.
Les incontournables rituels d'équipe
Le journaliste est en général un animal social. Au moins est-il sociabilisé dans sa manière de travailler. A France 3, le journaliste web côtoie, dans des mesures différentes, d'autres êtres humains au cours d'une journée traditionnelle de travail, au sein de l'entreprise:
- avec l'ensemble des collègues lors de la conférence de rédaction du matin
- ponctuellement avec des collègues la journée pour échanger infos et/ou contacts
- lors de la validation des sujets avec le rédacteur en chef adjoint du jour
En dehors de ces points imposés, le journaliste est un électron libre qui travaille en autonomie et dont le métier n'est, en théorie, pas soumis à des horaires. Voilà l'occasion rêvée d'organiser sa journée comme on l'entend, à condition de respecter quelques impératifs.
Peu importe vos horaires d'activité, il est important que vos collègues sachent à quel moment vous êtes joignables et à quel moment vous ne l'êtes pas. "Ne vous sentez absolument pas coupable d’avoir des horaires légèrement décalés avec ceux de vos collègues", rassure Julien Ott, CEO et co-fondateur d'Appaloosa.io, dans une interview à Welcome to the Jungle. Certains voudront commencer à 5h du matin (je leur souhaite bon courage) pour finir plus tôt. Mais on peut plus décemment entendre qu'un collègue arrête de bosser à 11h pour commencer à cuisiner, quitte à reprendre plus tôt que les autres dans l'après-midi. Le télétravail a cela de bien qu'il permet d'adapter la vie professionnelle à la vie personnelle, sans vraiment perdre en efficacité.
Planifier ses distractions
Vous laissez-vous distraire facilement? Êtes-vous bien au point avec la notion d'autodiscipline? Si vous avez répondu oui à la première question et non à la seconde, pas de panique!Au bout d'un moment, il va falloir être honnête: puisque vous savez que vous allez craquer, planifier vos pauses et vos activités de détente.
Un tour sur les réseaux sociaux, une sieste, finir le dernier livre de l'économiste Thomas Porcher "Les délaissés", ne pas louper l'épisode quotidien de votre série, aller courir moins d'une heure dans un rayon d'un kilomètre autour de son domicile... Bref, parce que vous serez amené à effectuer une coupure dans votre travail pour une quelconque raison, autant tout planifier.
L'important, c'est de bien séparer son temps de travail et son temps de pause. Et je m'y suis mis dès la première heure.
Le point jeu vidéo
Une fois n'est pas coutume, je vais vous parler d'une expérience vidéoludique que je n'ai pas vécue, mais dont mon confrère Patxi Berhouet, éditeur web à la Croix, s'est chargé. Dans le blog La Croix directionnelle, il fait la part belle à l'univers jeux vidéo. Cette semaine, il ose un parallèle entre la pandémie du coronavirus et certains jeux vidéo d'horreur. Avec, pour postulat de départ: "un confinement général, avec un virus qui rôde dehors et peut contaminer tout le monde, c’est digne d’un scénario de jeu d’horreur, non ?"Pour répondre à ses questions, il a fait appel à Eugen Pfister, directeur de recherches à l'université des Arts de Berne (Suisse), un boss final en matière de connaissance des jeux d'horreur. Heureusement, le titre tente d'emblée de rassurer les lecteurs. "Face au coronavirus, nous ne réagissons pas comme dans les jeux d’horreur"
Un des jeux qui se rapprocheraient le plus de la situation que nous vivons serait, aux yeux d'Eugen Pfister, The Last of Us, sorti en 2013 sur PlayStation 3.
En résumé: une infection due à un champignon contamine peu à peu la population. Les journaux annoncent une augmentation des admissions dans les hôpitaux. L’armée tente d’abattre toute personne suspectée d’être porteuse du champignon. L’infection finit par devenir une pandémie qui dévaste l’humanité et contraint les habitants restants à fuir dans des camps militaires sous quarantaine. Le personnage que vous êtes amené à incarner, Joël, décide de s’enfuir alors avec sa fille et son frère Tommy.
Il n'est pas particulièrement conseillé ou déconseillé de jouer à The Last of Us en ce moment, mais le jeu vidéo prouve une nouvelle fois qu'il est un objet complexe et plein de richesses et de questionnements.
Il est toujours question pour Sony, le créateur de la PlayStation, de sortir le deuxième opus de The Last of Us au mois de mai 2020. Dans un communiqué, le constructeur japonais souligne qu'à ce jour, aucun souci majeur n'est susceptible de perturber son calendrier de production.
A demain!
J'éteins l'ordinateur jusqu'à demain, je traverse le séjour et m'affale dans le canapé. L'abîme de l'ennui me guette. Je vous laisse, je dois apprendre à jongler avec les rouleaux de papier toilette. Bonsoir.A propos de l'auteur
Journaliste à France 3 Lorraine, basé à Nancy.Quand je n'ai pas de caméra ou de micro dans les mains, je joue au snooker. Si vous ne savez pas ce qu'est le snooker, je ne peux plus rien pour vous.
Essaie d'être féministe et écolo.
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