Inflation, pouvoir d'achat, salaire : vivre ou survivre avec le Smic en Lorraine ?

Comme Julie, ils sont employés, ouvriers ou fonctionnaires et aimeraient tout simplement vivre dignement de leur travail. Les “Smicards” n’ont jamais été aussi nombreux en France, plus de trois millions en 2024. En Lorraine, certains se décident même à franchir la frontière du Luxembourg avec l’espoir d’un meilleur niveau de vie. Analyses et témoignages.

Ils sont caissiers, coiffeurs, ouvriers, vendeurs, employés dans la restauration ou l’aide à la personne. Rémunérés au Smic, ils peinent à boucler leurs fins de mois. Malgré les revalorisations annuelles de ce revenu minimum, l’inflation les empêche de vivre correctement. Ces Français touchent 1398,69 euros nets mensuels pour un temps complet, pas assez pour joindre les deux bouts. En Lorraine, Julie nous raconte son quotidien au salaire minimum.

Une course d’obstacles au quotidien

Julie, 42 ans, est hôtesse de caisse dans la grande distribution depuis plus de deux décennies. Célibataire et sans enfants, son salaire est d'environ 1150 euros pour 30 heures de travail hebdomadaires, faute d’un poste à temps complet. Elle perçoit environ 200 euros de prime d’activité. Pour son petit deux-pièces aux environs de Briey (Meurthe-et-Moselle), à 45 minutes de la frontière luxembourgeoise, cette Lorraine doit débourser 450 euros de loyer et une centaine d’euros d’électricité. Soit 600 euros par mois pour finir de régler ses différentes factures, faire ses courses, payer son carburant pour aller au travail et subvenir à ses autres besoins.

Avec le Smic, on travaille juste pour payer ses factures

Julie, 42 ans, caissière dans la grande distribution

Le coût de la vie, chaque fois plus élevé, lui rend la vie impossible. Sa situation financière l’inquiète. “Je n'y arrive plus, tout augmente. Le prix de l’essence a explosé, l’alimentaire aussi. Avant, je remplissais mon caddie pour moins de 100 euros mais depuis le Covid, les tarifs se sont envolés. Il y a bien longtemps aussi que je n'ai pas acheté de poisson ou une côte de bœuf”, ironise la quadragénaire. Pour Julie, comme pour des millions de Français, peu de place pour les écarts dans ces conditions. “Je n’ai jamais été dépensière, je calcule tout, mais les loisirs n’existent plus. Je me prive d’aller chez le coiffeur, de m’acheter des vêtements. Avec le Smic, on travaille juste pour payer ses factures”, soupire l’hôtesse de caisse.

Pour le sociologue et économiste vosgien Bernard Friot, professeur émérite à l'université Paris-Nanterre, on constate un poids croissant des dépenses incompressibles, autrement dit tous les prélèvements obligatoires, dans le budget des ménages français les plus modestes : “toutes les dépenses contraintes ont particulièrement augmenté, en particulier le logement. Dans les années 1970, celui-ci représentait 15 % du salaire, ça n’est plus du tout le cas. Les loisirs et les transports aussi sont fortement impactés, ils sont devenus inaccessibles pour beaucoup de personnes. Il en est de même pour les dépenses liées à l'alimentation et à l’éducation des enfants”.

Devenir travailleur au Luxembourg, la solution ?

Avec la proximité du Luxembourg, la tentation peut être grande pour les Lorrains de franchir la frontière. Dominant le reste des salaires minimums de l'Union européenne, l'équivalent luxembourgeois du Smic dépasse les 2000 euros nets pour un travailleur non qualifié (2570,93 euros bruts). “En tant que Lorraine, j’ai forcément été tentée de partir travailler au Luxembourg car on ne peut pas vivre correctement avec le Smic en France. J’ai vite été découragée par le temps passé sur la route avec les bouchons, l’état d’usure de la voiture, l'essence et les loyers prohibitifs à la frontière luxembourgeoise mais je comprends ceux qui partent au Luxembourg ou même en Suisse”, avoue Julie, caissière depuis plus de vingt ans.

Non, on ne peut pas vivre décemment avec le Smic en France

Bernard Friot, sociologue et économiste vosgien, professeur émérite à l'université Paris-Nanterre

En France, les personnes au Smic touchent 1766,92 euros bruts par mois, soit 1398,69 euros nets pour 35 heures hebdomadaires. Mais alors, peut-on vraiment vivre correctement avec le Smic ? Le sociologue et économiste vosgien Bernard Friot a un point de vue bien tranché sur la question. “Non, on ne peut pas vivre décemment avec le Smic en France. Il faut augmenter massivement son montant qui est notoirement insuffisant. Pour ce qui me concerne, le Smic net devrait être augmenté d’au moins 500 euros. Dans une période d’inflation, la hausse des salaires doit être automatique”, argumente le spécialiste.

Au Luxembourg, un travailleur non qualifié touche au minimum 2570,93 euros bruts pour un emploi à temps plein, 3085,11 euros bruts pour un travailleur qualifié. Pour Philippe Manenti, président du comité de défense et d'initiative des frontaliers au Luxembourg, si la hausse du salaire est directement perceptible par les travailleurs français au Grand-Duché, il convient de peser le pour et le contre : “au Luxembourg, le salaire minimum est le plus élevé de l'Union européenne mais on travaille 40 heures par semaine et il n’y a pas de RTT. Avant de devenir frontalier, il faut bien mesurer les effets sur la vie personnelle. Entre le temps passé dans les transports et des conditions de circulation infernales, les contraintes peuvent être très pesantes”.

Le Smic, une “trappe à pauvreté”

Avec 3,1 millions de Français concernés en 2024, il n'y a jamais eu autant de salariés français au salaire minimum, et ce, dans tous les secteurs professionnels et géographiques. “Le Smic est à l’origine une grande conquête car c’est le seul salaire qui est indexé sur les prix. Le problème, c’est que ce filet de sécurité est devenu une trappe à pauvreté. Dans le système actuel, il n’y a pas grand intérêt pour un employeur à augmenter un salarié au Smic, car celui-ci l’exonère de cotisations patronales. Pour éviter cette généralisation du Smic, il faut rétablir le même taux de cotisations patronales pour tous les salaires et intégrer la prime d’activité à la rémunération”, conclut l’économiste et sociologue vosgien Bernard Friot.

En vingt ans de carrière en supermarché, je n’ai pas eu d'évolution de salaire

Julie, 42 ans, caissière dans la grande distribution

Dans l’Hexagone, les travailleurs rémunérés au Smic sont en majorité des femmes (57 %) et souvent des jeunes. Bon nombre d’entre eux occupent des postes à temps partiel et la précarité est d’autant plus grande chez les familles monoparentales. Si des aides comme la prime d’activité viennent compléter leurs revenus, certains restent plafonnés au Smic toute leur vie. “J’ai toujours été au Smic. En vingt ans de carrière en supermarché, je n’ai pas eu d'évolution de salaire. Évidemment, j’ai conscience qu’il y a plus pauvre que moi. Pourtant, je ne suis pas assez précaire pour avoir accès à toutes les aides de l’État et pas assez riche pour faire ce que je veux”, regrette Julie.

Après deux décennies de travail dans un supermarché en Meurthe-et-Moselle, Julie vient d'emménager en Bretagne, pour des raisons personnelles, où elle a trouvé un travail à temps complet. Elle touche désormais 1450 euros nets mensuels, toujours comme caissière, mais cette fois-ci sans pouvoir percevoir la prime d’activité. Toujours pas assez pour joindre les deux bouts.

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