L’application au 1er janvier 2025 du nouveau texte qui régit les relations fiscales entre la France et le Luxembourg devrait entrainer une augmentation de l’imposition pour les foyers qui cumulent des salaires au Grand-Duché et en France. Les associations de défense des travailleurs frontaliers se mobilisent.
Le sujet est technique, et sensible. À tel point que la convention fiscale signée en 2018 entre la France et le Luxembourg, n’a jamais été appliquée jusque-là ! Mais cette fois, si l’on en croit les autorités françaises, elle sera effective au 1er janvier 2025, sur les revenus 2024, pour tous les contribuables qui cumulent des revenus dans les deux pays, ou les couples dont l’un des deux partenaires travaille dans l’hexagone et l’autre au Grand-Duché.
La nouvelle convention fiscale devait s’appliquer en 2021 sur la base des revenus 2020, mais la pression a été tellement forte que le gouvernement français a cédé, et reporté sa mise en œuvre jusqu'à aujourd'hui
Philippe Manenti, président du comité de défense des travailleurs français au Luxembourg
Concrètement, les impôts luxembourgeois entreront dans le calcul du taux d’imposition tricolore, alors qu’ils en étaient exemptés jusque-là. Le revenu global sur lequel est calculé le taux d'imposition va donc augmenter. Exemple, pour un couple avec 10 000 euros de revenus au Luxembourg et 20 000 euros en France : l’impôt, qui se montait à 2 000 euros par an, pourrait monter à 2 666 euros. Les retraités qui perçoivent une pension des deux pays, verront aussi la prise en compte de leur pension luxembourgeoise dans le calcul du taux français.
Techniquement, il ne s’agit pas d’une double imposition, interdite par la loi française. Mais les frontaliers lorrains peuvent légitimement se sentir lésés par la nouvelle convention puisque leur impôt va mécaniquement augmenter. Pour le comité de défense et d’initiative des travailleurs au Luxembourg, on crie à l’injustice.
Une convention jamais appliquée depuis 2018
L’association, qui revendique plus d’un millier d’adhérents, a fait partie de ceux qui se sont battus pour obtenir les reports successifs de l’application de la convention, qu’ils ont obtenus : "elle devait s’appliquer en 2021 sur la base des revenus 2020, mais la pression a été tellement forte que le gouvernement français a cédé, et reporté la mise en œuvre" explique Philippe Manenti, son président.
Carmelo Cannizzaro est retraité de la sidérurgie. Il a effectué la majeure partie de sa carrière au Luxembourg, tout comme son épouse. Il a calculé que la mise en place de la nouvelle convention lui coûterait "800 euros d’impôts en France, alors que jusqu’à présent on n’en payait pas, forcément ça nous inquiète, d’autant qu’on paie déjà des impôts au Luxembourg sur nos retraites". Il mise sur une baisse du taux d’imposition annoncée au Luxembourg "pour compenser un peu, mais c’est pas du tout sûr qu’on s’en sorte".
Silvana Silvani, sénatrice communiste de Meurthe-et-Moselle, confirme l’inquiétude des frontaliers concernés : "ils ne contestent pas le principe de l’impôt, mais ils se sentent pénalisés parce qu’ils considèrent comme une double imposition". La parlementaire lorraine, qui a participé aux discussions d’avril 2024 avec Bruno Le Maire alors ministre de l’économie, affirme que celui-ci leur a laissé entendre que le report actuel serait le dernier et que la convention s’appliquerait au 1er janvier 2025 : "mais on a changé deux fois de gouvernement depuis… Néanmoins je suis pessimiste parce que la convention ne peut pas être amendée : elle doit être dénoncée puis renégociée, ce qui fait qu’on est dans une sorte d’impasse politique". La sénatrice évoque une étude d’impact de la convention sur les ménages mixtes promise par le gouvernement au printemps dernier, "mais nous ne l’avons jamais eue, on ne sait même pas si elle a été réalisée".
Un autre effet pervers se dessine pour les frontaliers concernés par la nouvelle convention fiscale. Philippe Manenti a déniché un autre lièvre dans le dispositif. Le financement du chômage au Luxembourg s’organise via le "fonds pour l’emploi", un prélèvement de 7% sur les revenus perçus au Grand-Duché. Il n’existe pas de cotisations chômage.
Or, depuis un changement de législation au Luxembourg en 2018, les autorités fiscales appliquent ce qu’elles nomment le "revenu mondial" : tous les revenus perçus dans le pays et à l’étranger sont soumis à l’impôt. Mécaniquement, un revenu fiscal plus élevé en France entraînerait une hausse de la participation du salarié frontalier à l’indemnisation du chômage au Luxembourg : "le monde à l’envers," pour Philippe Manenti.
Frontaliers:La «double imposition» entraînera d'importantes hausses d'impôts pour certains contribuables, en particulier les foyers aux revenus mixtes, chez lesquels existe un fort écart entre le revenu luxembourgeois et le français.https://t.co/BkPotAuOjC
— Conrad Henri (@CHenri21786) October 25, 2024
Seul espoir des frontaliers : un nouveau report ! Ou, comme le propose le comité de défense et d’initiative des travailleurs au Luxembourg, une mise en place progressive de la convention. Philippe Manenti, son président, plaide pour "faire comme avec la convention franco-belge : c’est-à-dire l’appliquer pour ceux qui entrent dans le marché du travail frontalier, et prévoir pour ceux qui y sont déjà une période transitoire de 25 ans".
Si pour la France l’application de la nouvelle convention fiscale avec le Luxembourg va permettre de nouvelles rentrées fiscales, précieuses pour les comptes publics, l’intérêt pour le Grand-Duché reste relatif : "le Luxembourg n’a rien à gagner à sa mise en œuvre. Il risque de perdre une partie de son attractivité… Un frontalier qui devra payer plus d’impôts y regardera peut-être à deux fois avant d’accepter un emploi de l’autre côté de la frontière, surtout si l’écart est mince entre sa rémunération en France et celle à l’étranger, en tenant des transports, du coût de l’immobilier" explique Philippe Manenti.
"Il y a un consensus au sein des parlementaires des zones frontalières pour dire qu’il faut revoir les accords actuels entre la France et le Luxembourg, pour plus d’équité" estime Silvana Silvani, qui va demander dès la semaine prochaine une nouvelle réunion de concertation avec le Ministère de l'économie.