L’indemnisation du chômage des frontaliers inquiète l’organisme paritaire. Selon un rapport qu’il vient de publier, l’Unédic (Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce) estime que la hausse du nombre d’allocataires menace ses comptes. Les salariés qui perdent leur travail à l’étranger retombent en effet entièrement sur le système français, sans réelle compensation de leur ancien pays d’emploi.
Le sujet est technique mais il passionne les élus des zones concernées depuis des années. En application de la réglementation européenne, les travailleurs frontaliers qui perdent leur emploi dans un État membre sont indemnisés dans leur pays de résidence. Même si les cotisations d’assurance chômage n’ont pas été versées en France, mais dans le pays d’emploi. En 2023, 120 000 Lorrains travaillaient au Luxembourg.
Petit rappel : "un travailleur frontalier est une personne qui exerce son activité professionnelle dans un État autre que son État de résidence où elle retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine".
Le chômage des frontaliers coûte 803 millions d'euros à la France
Selon le rapport que vient de publier l’Unédic, 17 000 frontaliers ont été indemnisés en France en 2023 après avoir travaillé au Luxembourg, un chiffre en augmentation de 64% par rapport à 2011. En 2023, les dépenses pour les frontaliers luxembourgeois ont représenté 164 millions d’euros, soit 16% de l’indemnisation totale des frontaliers français. Les indemnisations s'élèvent à 803 millions d’euros sur l’ensemble des pays frontaliers (Suisse, Luxembourg, Allemagne, Belgique).
En 2022, le salaire annuel moyen au Luxembourg était de 81 000 euros, contre 44 000 en France. Comme les salaires sont plus élevés au Grand-Duché, les indemnisations suivent. "Les allocataires frontaliers sont, en moyenne, mieux indemnisés que l’ensemble des allocataires" écrit l’Unédic : 1781 euros par mois en 2023, contre 1265 pour l’ensemble des allocataires indemnisés par le régime d’assurance chômage français.
La réglementation européenne ne prévoit qu’une compensation limitée. L’Unédic estime qu'"avant 2010, il n’y avait aucun remboursement entre pays membres de l’Espace Économique Européen (EEE). Depuis le 1ᵉʳ mai 2010, en application du règlement (CE) n°883/2004, l’État frontalier rembourse les prestations de chômage dans la limite de trois mois à l’État de résidence (…) Dans les faits, la durée d’indemnisation des allocataires frontaliers résidant en France dépasse largement les cinq mois maximum remboursés par le pays d’emploi".
Une excellente opération financière pour le Luxembourg ?
Alain Casoni, ancien maire (PCF) de Villerupt, où 70% de la population active travaille au Grand-Duché, décrit "une excellente opération financière sur le dos du voisin qui conduit le Luxembourg : d'une part à économiser 137 millions d’euros en laissant la France supporter le coût de l'indemnisation du chômage des frontaliers et d'autre part à encaisser près de 605 millions d’euros (de cotisations chômages NDLA) de ces mêmes frontaliers (…) un tour de passe-passe dont le Luxembourg a le secret".
Les comités de défense des travailleurs frontaliers lorrains n'ont pas tardé à réagir. Dans un communiqué commun, ils estiment que "le travail frontalier est la première entreprise à l’exportation qui ramène grosso modo 7 milliards d’euros de devises à la France et fait vivre les zones frontalières. Imaginons le coût pour la France si France Travail devait prendre en charge les 300 000 travailleurs frontaliers ? Celui-ci serait d’environ 4 milliards d’euros. Donc les 700 millions tant mis en lumière ne pèsent pas lourd dans la balance (...) les travailleurs frontaliers ne le sont pas devenus par convenance personnelle mais par nécessité ; le phénomène frontalier est la résultante de la casse industrielle en Lorraine : sidérurgie, textile, charbonnage…"
Plusieurs élus des zones frontalières lorraines réclament une rétrocession au Luxembourg, sur le modèle de la Suisse, qui a reversé 350 millions d’euros environ en 2022 sur le milliard d’impôts et de cotisation payé par ses frontaliers français. Mais elle nécessiterait un accord bilatéral entre la France et le Grand-Duché, qui n’a jamais été à l’ordre du jour des échanges entre les deux pays.
Philippe Manenti, président du Comité de défense et d’initiative des frontaliers au Luxembourg, réclame lui aussi la rétrocession, de même qu'Arsène Schmitt, président du Comité de défense des travailleurs frontaliers de la Moselle : "la rétrocession doit se faire selon un montant équitable que les États doivent déterminer entre eux. Ou alors les États doivent laisser le choix aux frontaliers du système dans lequel ils veulent être indemnisés".
L’Unédic propose une "révision du règlement européen de la Commission européenne (qui) vise à conférer la charge de l’indemnisation à l'État membre ayant perçu les cotisations lorsque le frontalier y a travaillé pendant au moins douze mois et la faire supporter par l’État de résidence dans les autres cas. En conséquence, la procédure de remboursement actuelle serait supprimée". Mais elle écrit que "depuis 2016, malgré deux accords provisoires obtenus en trilogue en 2019 et 2021, un accord sur la révision du règlement de coordination des systèmes de Sécurité sociale n’a pas pu être trouvé".