Selon une étude de l’INSEE publiée vendredi 22 septembre 2022, la recherche d’un meilleur salaire est devenue une motivation majeure pour les nouveaux frontaliers qui travaillent au Luxembourg. Mais selon les associations qui les défendent, beaucoup ignorent que leurs conditions de travail peuvent être très différentes au Grand-Duché. On vous explique pourquoi (première publication en septembre 2022 avec actualisation).
Max travaillait comme chauffeur-livreur pour un grossiste de la banlieue de Metz. Son boulot lui plaisait "mais le salaire n’avançait pas, alors que je savais qu’on cherchait des gens comme moi au Luxembourg". Il a franchi le pas en juin dernier, et quitté son poste pour rejoindre la filiale d’un grand transporteur au Grand-Duché : "mon salaire a augmenté de 50%, et comme j’ai trois enfants, les allocations familiales sont vraiment plus conséquentes".
Avant on traversait la frontière parce qu’on ne trouvait pas de travail en Lorraine, aujourd’hui, certains peuvent quitter leur emploi en France pour bosser au Luxembourg
Philippe Manenti, président du comité de défense et d'initiatives des frontaliers au Luxembourg
L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) s’intéresse de près à cette nouvelle population de frontaliers. Elle confirme cette tendance dans sa dernière publication, où elle écrit que "la progression régulière de l’emploi frontalier au Luxembourg en provenance de Moselle et de Meurthe-et-Moselle s’accompagne d’un fort renouvellement des individus, de 20 % par an en moyenne. Les trois quarts des nouveaux frontaliers occupaient un emploi en France l’année précédente et six sur dix habitaient déjà dans l’un de ces deux départements".
Changement de paradigme au Grand Duché
Pour Philippe Manenti, président du comité de défense et d’initiative des frontaliers au Luxembourg, "on assiste effectivement à un renversement de ce qu’on a connu depuis les années 70, avant on traversait la frontière parce qu’on ne trouvait pas de travail en Lorraine, aujourd’hui, certains peuvent quitter leur emploi en France pour bosser au Luxembourg". Le phénomène est récent, dopé par la croissance du Grand-Duché, et son appétit de main d’œuvre jamais rassasié : d’après une étude de l'Agence d'Urbanisme et de Développement Durable Lorraine Nord (AGAPE) publiée en juin 2022, « la moitié de la main d’œuvre dont le Luxembourg a besoin pour ses entreprises dépend directement de la capacité des territoires voisins à accueillir voire fournir cette main d’œuvre ».
Or le secteur de la construction notamment, gros pourvoyeur d’emploi, est bien en peine de couvrir tous ses besoins luxembourgeois. Il aspire donc la main d’œuvre frontalière française, belge et allemande, mais sans parvenir pour autant à remplir ses objectifs, comme le démontrait la même étude : "le secteur de la construction n’a jamais été en capacité de produire plus de 4.500 logements par an au cours des 15 dernières années".
Tout comparer
Si le bénéfice immédiat est directement perceptible par les nouveaux frontaliers, avec un salaire minimum brut au Luxembourg de 2.313,38 euros pour un travailleur non qualifié, et de 2.776,05 euros pour un travailleur qualifié, "il convient de tout mettre dans la balance" selon Philippe Manenti. Au Luxembourg on travaille 40 heures par semaine. Il n’y a pas de RTT : "il faut bien faire son calcul, et mesurer les effets sur la vie de famille. Le temps passé dans les transports, les conditions de circulation infernales… les contraintes peuvent être lourdes".
Le responsable associatif, dont les permanences quotidiennes ne désemplissent pas, met en garde contre les fausses idées et la méconnaissance des textes luxembourgeois : "pour la retraite par exemple, il faut avoir travaillé dix ans au minimum au Luxembourg pour en percevoir une". En cas de chômage au Grand-Duché, le frontalier français est indemnisé dans son pays de résidence, et suivi par Pôle Emploi : "dès que vous perdez votre emploi, vous n’êtes plus rien pour le Luxembourg" explique Philippe Manenti.
Enfin, l’augmentation continue du nombre de frontaliers au Luxembourg, que confirme l’étude de l’INSEE, accélère le phénomène d’assèchement de l’emploi dans les zones frontalières. En clair, les entreprises locales ont les plus grandes difficultés à trouver de la main d’œuvre. En 2020, l’INSEE recensait 99.340 frontaliers en Moselle et Meurthe-et-Moselle, 92.460 en 2018 (sources : inspection générale de la sécurité sociale luxembourgeoise).