Un rapport du professeur Yves Ville de l'hôpital Necker recommande d'arrêter les accouchements dans les petites maternités pour des raisons de sécurité. Il souhaite un regroupement avec les grosses structures. Un rapport qui interroge les sages-femmes et les parents.
Exit les accouchements dans les maternités qui en pratiquent actuellement moins de 1.000 par an. A l'avenir, les futures mères devraient accoucher uniquement dans les maternités de type 2 ou 3 plus sûres. C'est en substance ce que dit le rapport choc présenté ce mardi 28 février à l'Académie de médecine par le professeur Yves Ville de l'hôpital Necker. En cause : le manque de sages-femmes et de gynécologues-obstétriciens qui rendrait ces accouchements plus dangereux.
Si le constat est juste ce sont les solutions de ce rapport qui sont inadaptées voire ridicules
Camille Dumortier, sage-femme et présidente de l'ONSSF
Ce rapport n'a pas manqué de faire réagir. A commencer par Camille Dumortier, la présidente de l'Organisation Nationale Syndicale des Sages-Femmes elle-même sage-femme au CHRU de Nancy :
"c'est un rapport qui a été fait sans que les sages-femmes, qui s'occupent de 80 % des accouchements, ne soient sollicitées. Si le constat est juste, ce sont les solutions qui sont inadaptées et même ridicules", se désole la praticienne.
"La question seule du transport médicalisé pose problème. On pratique environ 2.000 accouchements par jour en France. Si on ferme 1/4 des maternités, cela représente 500 femmes enceintes par jour dans les transports, car mathématiquement les femmes seront plus éloignées des grosses maternités. Mais aujourd'hui il n'y déjà pas assez de transports médicalisés ! Il y a beaucoup de "y a qu'à faut qu'on" dans ce rapport qui est déconnecté de la réalité quant aux solutions proposées".
Si les maternités pratiquant moins de 1.000 accouchements par an devenaient des centres de périnatalité comme le préconise le rapport, cela concernerait la plupart des petites maternités de Lorraine : "seuls resteraient les grosses structures comme la maternité de Nancy, sachant qu'elles sont déjà saturées. Pour les agrandir, il faudrait beaucoup d'argent. C'est un non sens ! ".
Réaction à Saint-Avold
Les maternités de type 1, ne sont pas des maternités au rabais.
Sylvie Lallouette, responsable de la maternité de Saint-Avold
Si l'on se fie à ce rapport, la maternité de Saint-Avold en Moselle serait menacée. Interrogée dans le 12/13 de ce jeudi 2 mars, Sylvie Lallouette responsable de la maternité de la clinique Saint Nabor a défendu ses équipes et son établissement :
"je ne pense pas que les maternités de type 1 soient des maternités au rabais. Ici, on réalise presque 1.000 naissances par an et nous sommes certifiés avec mention. Nos médecins ont les mêmes diplômes que dans les maternités de type 2 ou 3. Nous sommes un établissement de proximité dans un gros bassin de population et on a besoin de nous", explique la sage-femme, "la plupart des naissances se passent sans problème, nous n'avons que 3% de transferts par an, c'est anecdotique."
Camille Dumortier ne dit pas autre chose : "le professeur Ville (auteur du rapport) dit qu'on ne fait bien que ce qu'on fait souvent. Oui et non ! Ca n'est pas parce qu'on est dans une maternité de type 3 qu'on est toujours confronté à des situations critiques, pas plus qu'en type 1. Par exemple, en 23 ans de métier, je n'ai jamais eu à gérer un arrêt cardio-vasculaire chez une femme, c'est aussi du hasard. C'est très réducteur de dire : on fait moins d'accouchement donc on sait moins faire en cas de problème. L'idéal selon moi, c'est une harmonisation des connaissances, par exemple quand un médecin de maternité de type 3 fait ses gardes en type 1. Ca fait parti des pratiques à encourager".
Un réseau à repenser
Au total, il y a 18 maternités en Lorraine. Parmi celles qui pratiquent plus de 1.000 accouchements par an, on retrouve :
- La maternité Adolphe Pinard de Nancy avec 2.780* naissances.
- La polyclinique Majorelle avec 2.125 naissances.
- Le CHR de Metz-Thionville avec 3.020 naissances.
- L'hôpital-clinique Claude Bernard de Metz : 1.492 naissances, qui est passé en type 1.
- L'hôpital Emile Durkheim d'Épinal : 1.250 naissances.
Juste en dessous du seuil avec 998 naissances en 2021, on retrouve la maternité de Forbach.
Certaines maternités sont très isolées et doivent être confortées, c'est le cas pour Saint-Dié ou Neufchâteau
Margaux Creutz-Leroy, médecin coordinateur du Réseau Périnatal Lorrain
Si l'on suivait à la lettre les recommandations du rapport, ce sont donc les douze autres maternités de Lorraine qui seraient appelées à fermer leurs portes ? Pas si simple, car seules les maternités de type 1 seraient concernées, ce qui exclurait par exemple la maternité de Remiremont de type 2, un temps menacée de fermeture.
"Le seuil, c'est une chose, mais ce qui est important pour les femmes, c'est un recours cohérent à la fois en termes de proximité et d'expertises. Certaines maternités de type 2 sont en difficultés démographiques. D'autres font moins de 1.000 accouchements par an, mais sont très isolées et doivent être confortées. C'est le cas pour Saint-Dié ou Neufchâteau" nous explique le Docteur Margaux Creutz-Leroy, médecin coordinateur du Réseau Périnatal Lorrain.
"Dans le même temps, des maternités proches de Nancy comme Toul et Lunéville peinent à maintenir un plateau technique 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Celles-ci gagneraient à devenir de vrais centres périnataux de proximité comme à Gérardmer ou Bar-le-Duc. Dans la Meuse, ça devient d'ailleurs compliqué, car la maternité de Verdun pourrait être dans le collimateur alors que Bar-le-Duc a déjà fermé. C'était une bonne chose de fermer Bar-le-Duc, mais on aurait dû dans le même temps renforcer Verdun. Il faut une logique de territoire et parfois la fermeture est nécessaire, même si les élus ont du mal à l'entendre".
*Chiffres du Réseau Périnatal Lorrain pour 2021.
Et les femmes dans tout ça ?
Selon le rapport, les futures mères préfèreraient accoucher dans une maternité de type 2 ou 3, ce qui étonne Camille Dumortier, la président de l'ONSFF : "ça ne correspond pas à ce que me disent les patientes que je rencontre ni à certaines études qui révèle que 17 à 20% des femmes voudraient accoucher chez elles". Pour éviter les accouchements sur la route, le rapport préconise aussi le logement des femmes à l'hôtel avant le terme si la maternité est éloignée : "c'est n'importe quoi ! On n'a pas envie d'aller à l'hôtel quand on va accoucher ! On a envie d'être avec son conjoint chez soi et on veut une maternité de proximité" conclut la praticienne.