Il récupère sa matière première à la déchetterie ou dans la rue. A Chavigny au sud de Nancy, Benjamin Kuntz découpe ses ferrailles patiemment avant de les recomposer en sculptures qu’il soude minutieusement. Depuis deux ans, il peut même vivre de la vente de ses œuvres.
A même le sol s’éparpille la ferraille, réduite en petits morceaux. D’anciens outils, des clés plates, des tarauds, des boulons. Dans son garage d’une cité ouvrière de Chaligny, Benjamin Kuntz travaille ses sculptures : "je suis connu maintenant, on me donne beaucoup de déchets métalliques, parfois j’en achète, et je récupère tout ce que je peux. Il n’y a que les disques que j’achète en gros sur internet". A l’aide d’une simple disqueuse, sans gants, il oublie parfois de mettre ses lunettes de protection : "récemment un éclat m’est rentré dans l’œil droit".
Il dispose bien de plusieurs établis et même une scie à ruban, mais il préfère bosse comme ça. Le béton devant la porte témoigne des coups de lame, creusés en sillons rouillés, autant de traces que de souvenirs dans la tête du jeune homme de 34 ans : "j’ai commencé il y a dix ans, j’ai toujours aimé ça, mais ça fait seulement deux ans que je peux en vivre".
Je déteste la rouille, il faut que ça soit propre et que le métal brille !
Benjamin Kuntz, sculpteur sur acier
Le procédé est rudimentaire, mais il réclame une grande patience. L’artiste conçoit d’abord des moules en plâtre, dans lesquels il dispose une à une les petites pièces en acier qu’il a découpées et meulées. Il les soude ensuite à l’arc : "il faut faire très attention, d’abord à la disposition pour que les motifs tiennent, et ensuite pour que la soudure prenne tout de suite, sans coller plusieurs éléments ensemble". Son modèle favori, un buste de femme, qu’il réplique actuellement : "j’en ai quatre à faire ! Les client ont déjà payé, je dois me dépêcher".
Star de TikTok
Benjamin est pressé, il ne s’arrête jamais. Il livre des bribes de son histoire et veut tout montrer en même temps. Soucieux d’expliquer ses trouvailles il se révèle curieux de partager ses réalisations et ses inspirations, comme cette boule d’un mètre de diamètre conçue sur le même procédé de découpe/soudure, avec une lampe à l’intérieur : "elle tourne sur elle-même, ça fait comme un photophore".
ll nous présente sa tortue, et sort même son boa du vivarium. Le salon de sa petite maison de cité sert de show-room, entre les meubles qu’il a lui-même conçus et habillés d’acier, et les plus petites pièces qu’il décline en magnet pour réfrigérateur ou en porte-clés. Les animaux prennent une grande place dans son inspiration : il décline notamment des boules de pétanques en placides tortues à la tête sur ressort. Les billes de roulement se métamorphosent en grenouilles. Il meule aussi des vis dont il réduit le filetage jusqu’à former une surface plane. Assemblées en étoile, elles forment une superbe feuille de cannabis, qui vient se rajouter au puzzle de ses grosses pièces.
Depuis deux ans, il dispose du statut d’auto-entrepreneur, ce qui lui permet de vivre de son travail, "vu comme ça continue, bientôt je pourrai embaucher" éclate-t-il de rire, surpris de l’intérêt qu’on porte à sa démarche. Dans une autre vie il a été jardinier. Grand, frêle, à la voix douce, le jeune homme aux yeux noisette ne cache pas ses fragilités. Son corps en porte les stigmates. Aux coudes, sur les genoux, les avant-bras, des cicatrices : accidents de skate, de moto-cross, accidents de la vie. "Ma chérie m’aide beaucoup" glisse l’artiste, sans s’épancher plus. Sur TikTok, une de ses vidéos a dépassé le million de vues. Il détaille ses pièces, et n’est pas avare de ses trucs et astuces. Benjamin répond aux grincheux avec humour, présente ses trouvailles et se réjouit "des gens qui jettent n’importe quoi" en montrant les outils qu’il récupère chez un ferrailleur du coin.
@benjimetal54 #sculputure #soudure #artist #art #voili #voilou #foryou #foryoupage #recyclage #recuperation #zboob #ecolo ♬ Calm LoFi song(882353) - S_R
Lorsqu’on lui demande quand il expose ses pièces, il rigole doucement : "mais j’en ai pas besoin ! Grâce aux vidéos, j’ai des commandes qui tombent tout le temps, j’ai même pas de site, je ne fais jamais de promo". Pendant le temps que nous passons ensemble, son téléphone vibre sans cesse. En une demi-heure, deux commandes et une demande de devis. Il achève la pièce qu’on lui achète d’un coup de vernis en bombe aérosol : "je déteste la rouille, il faut que ça soit propre et que le métal brille".