Dominique Heinrich attend la fin du 3e confinement pour rallier la cité des Doges… En Trabant ! Le chauffagiste à la retraite est tombé amoureux de la voiture est-allemande il y a une quinzaine d’années. Depuis il en a restauré 7, ce qui fait de lui le plus important collectionneur français.
Il pousse la passion jusqu’au moindre détail. Sur ses épaules, le costaud sexagénaire porte une polaire aux couleurs de la Trabant, avec le mythique logo en S (pour Sachsenring Automobilwerke) de la marque de Zwickau. A côté du portail de la grange où il stocke ses pièces et restaure ses véhicules, Dominique Heinrich a vissé la plaque d’un ancien atelier de la marque.
Au-dessus de la porte d’entrée de la pièce où il nous sert le café, trône le portrait d’Erich Honecker, dernier président de la RDA.
L’ancien dictateur, poursuivi en 1992 pour avoir donné l’ordre de tirer sur ses compatriotes qui voulaient franchir le rideau de fer, a fui au Chili, où il est mort en 1994. D’où notre interrogation sur la présence de cette photo poussiéreuse : "je m’intéresse à l’histoire des pays de l’ex-bloc de l’Est, ces voitures en font parties, je ne fais pas l’apologie du système de l’époque" explique le jeune retraité.
Voyage
Lors d’un séjour en Pologne à la fin des années 2000, le collectionneur de motos jette un œil curieux et amusé sur une Trabant.
Amateur de deux-roues, en mode tout terrain, il est intrigué par la mécanique de la voiture : "c’est un moteur deux-temps, du même type que celui qu’on trouve sur les motos, je me suis dit que c’était dans mes cordes". Il en achète alors plusieurs, pour une bouchée de pain, car "lorsque le mur est tombé, les voitures de l’Ouest ont déferlé à l’est, plus personne ne voulait de Trabant dans l'Allemagne réunifiée".
Conçues dans les années 50, elles n’ont que peu évolué. Sans confort, polluantes, il fallait quand même attendre parfois jusqu’à dix ans pour en acheter une.
Symbole de la chute du Mur de Berlin, au volant de laquelle des milliers d’Allemands de l’Est ont pu se rendre à l’Ouest, la petite voiture au moteur de 500/600 cm3 devient aussi celle d’un régime honni, celui de la RDA. "Aujourd’hui, ça a changé, il existe tous les ans un rassemblement à Zwickau de passionnés de la Trabant, on est plusieurs centaines, et souvent, je suis le seul Français", plaisante Dominique Heinrich.
Daily
Avant d’en faire son véhicule de tous les jours, le retraité en a acheté plusieurs, beaucoup même : "une vingtaine au total à ce jour, mais au début, j’en ai acheté seulement pour les démonter et comprendre comment la voiture était conçue. Ça m’a fait un stock de pièces, que j’utilise régulièrement pour restaurer celles que je trouve".
Quand on lui parle finance, Dominique Heinrich devient malicieux. Il évolue aux antipodes des autres collectionneurs automobiles, qui dépensent des fortunes pour importer et faire rouler des voitures américaines par exemple.
Une Trabant restaurée, entre l’achat et les pièces, me revient au maximum à 2.000 euros. C’est très raisonnable, et ça me permet d’en avoir plusieurs, ce que je ne pourrais pas faire si je collectionnais des véhicules américain.
Certaines voitures lui ont été données : "j’en ai eu une à 1 euro sur ebay !". Il restaure lui-même, et passe plusieurs centaines d'heures sur chaque modèle.
La mécanique est simple, la carrosserie également.
Cette dernière est en Duroplast, un mélange de plastique recyclé et de matières végétales, typique de l’Allemagne de l’Est qui devait compenser un déficit d’accès aux produits pétroliers par une industrie chimique de substitution. La côte ne flambe pas, elle n’existe pas. L’intérêt pour la marque de Basse-Saxe dépasse rarement les frontières allemandes, ce qui amuse le Toulois : "j’ai pourtant appris ce matin qu’il y avait un club de collectionneurs en Turquie!"
Art de vivre
Une tente sur le toit ! Le constructeur est-allemand avait tout prévu. Jusqu’à transformer la voiture en camping-car rustique, avec une tente deux places, qui se fixe sur la galerie : "le matelas est super confortable" selon le collectionneur.
Capot ouvert, penché sur le moteur de son modèle break bleu qu’il vient de reconstruire, le mécanicien amateur détaille les impératifs pour voyager loin avec sa monture : "le plus important, c’est de nettoyer les freins à tambours avant chaque périple, je change aussi les bougies, je vérifie le niveau d’huile de la boîte de vitesses, je nettoie le filtre à air et c’est tout, c’est une voiture fiable". A son volant, il a déjà rallié Berlin cinq fois, "et la seule panne que j’ai eue, c’est les bougies, mais bon, je prends quand même avec moi de quoi la réparer, des câbles de rechange, des outils, au cas où".
En route
Sur l’asphalte sinueux des côtes de Toul, l’automobile ne peine pas. "Elle ne dépasse pas le 80, mais de toute façon, on ne peut plus non plus, alors elle est très bien adaptée aux routes françaises" rigole Dominique Heinrich. Pas mal pour une voiture dont la puissance culmine à… 26 chevaux !
La voiture est immatriculée en voiture de collection : "impossible de faire autrement, elle n’a jamais été importée en France". Trop légère, dépourvue des organes de sécurité modernes, la petite voiture n’avait aucune chance d’être homologuée dans notre pays, "mais elle l’a été en Belgique, j’ai retrouvé de la documentation en français qui le prouve" poursuit l’historien amateur.
Dans le décor
Dominique Heinrich sait qu’il détonne dans le paysage, et pas seulement : "quand on fait des rassemblements à la Madine, je suis en permanence sollicité par les visiteurs curieux de cette voiture, bien plus que par d’autres modèles allemands pourtant bien plus puissants".
Pour l’heure, tout déplacement au-delà des dix kilomètres lui est interdit. Il prend son mal en patience, et prépare le voyage avec sa femme vers Venise, qu’il repousse à des jours meilleurs. Sa passion est contagieuse, plusieurs de ses amis restaurent également des Trabant : "on s’aide, on partage notre expérience. J’ai en projet d’en refaire une prochainement que je voudrais échanger contre une Wartburg". C’est l’autre marque mythique de l’Allemagne de l’Est, "la gamme au-dessus" plaisante celui possède actuellement sept Trabant.
Au temps de la RDA, la Wartburg était réservée à l’élite. Même au volant de l’une d’entre elle, Dominique Heinrich ne compte pas se départir de ce qui constitue un état d’esprit.
Aucun risque de le voir un jour au volant d'une américaine.